Traiter les enjeux féministes et donner une voix aux luttes sociales nécessite bien plus d’investissement que ce que les médias « traditionnels » veulent bien leur accorder. Le podcast s’impose aujourd’hui comme un format privilégié pour visibiliser ces questions. Avec « Mécréantes », nouvel arrivé dans le paysage audio, sa fondatrice Léane Alestra, 22 ans, veut « donner à toustes les clés pour comprendre des sujets complexes et actuels ».
Créé en mars 2020 pendant le premier confinement, « Mécréantes » assume son côté do it yourself mais peut bien se targuer d’avoir déjà totalisé des milliers de téléchargements en seulement trois premiers épisodes. En une demi-heure mensuelle, le podcast s’attache à déconstruire les stéréotypes de genre, en vulgarisant ces sujets complexes, des violences sexuelles à la nature zoo-sociologique de la domination masculine. Aujourd’hui, sa fondatrice veut aller plus loin et réussir à rémunérer l’équipe qui l’accompagne dans ce projet : plus qu’une semaine pour contribuer au crowdfunding qui devrait servir à développer ce média prometteur.
Manifesto XXI – Bonjour Léane, peux-tu nous expliquer ce qui t’as poussée à vouloir fonder « Mécréantes » ?
Léane Alestra : J’ai fondé « Mécréantes » essentiellement parce que j’en avais marre de devoir expliquer les concepts de base du féminisme en soirée ou à tout autre occasion sociale, à des potes et à des connaissances, en me prenant souvent la tête. J’avais envie de créer un format que je puisse envoyer aux gens en disant : « Tiens voilà, là il y a tout ce qu’il faut savoir. » Le but est donc de faire de la vulgarisation. Le confinement est tombé et c’était le moment parfait pour s’y mettre.
Tu as sorti trois épisodes (« Il fallait porter plainte » ; « Il fallait partir » ; « C’est dans la nature des choses, le mâle est dominant »), tu es contente de l’audience récoltée ?
Oui carrément. Ces trois épisodes ont fait environ 15 000 téléchargements et je ne sais pas combien d’écoutes, mais sans doute plus. C’est pourquoi je voudrais aller plus loin avec ce crowdfunding, rémunérer correctement mon équipe, composée essentiellement de personnes précaires, et terminer la première saison qui devrait compter 10 épisodes.
Est-ce que tu penses que le format podcast possède en soi la capacité de mieux véhiculer certains messages ? Comment expliques-tu qu’il soit autant utilisé par les milieux queers et féministes ?
Le podcast permet de créer quelque chose rapidement, avec peu de moyens et des compétences techniques accessibles. Il est une réaction au manque de moyens déployés par les rédactions pour couvrir les thématiques féministes et LGBTQIA+. Tout comme Instagram par ailleurs, largement utilisé aussi pour mener ces luttes et aborder l’actualité par un autre prisme. Dans le milieu du podcast, on est beaucoup et en même temps pas encore assez, il y a de la place et les gens sont friands de nouveauté à ce sujet. Il y en a pour tout le monde. Si j’ai créé « Mécréantes », c’est parce que justement il me manquait quelque chose en tant qu’auditrice, un format qui résume et simplifie les actualités liées aux questions de genre.
Il y a donc toujours une incompréhension des médias dits « traditionnels » (lire : hétéro blancs occidentalo-centrés) envers la nécessité urgente de s’ouvrir, de devenir réellement représentatifs des publics d’aujourd’hui selon toi ?
Oui. Et aussi une incompréhension des formats journalistiques dont on a besoin. Si j’avais proposé les sujets que j’aborde dans « Mécréantes » à des médias « traditionnels », ils me les auraient refusés. D’autant plus que je ne pense pas avoir tout à fait les codes pour m’introduire dans les rédactions les plus fermées. J’ai 22 ans, je ne viens pas d’un milieu spécialement privilégié, je n’ai pas fait d’école de journalisme. Les vieilles rédactions ne sont pas très ouvertes à ce genre de profils et de propositions.
Il faut bien comprendre qu’en France aujourd’hui on ne peut toujours pas dire certaines choses : Le Génie lesbien d’Alice Coffin a été quand même suivi par une vague de haine très violente et la tribune écrite par des journalistes en sa défense n’est jamais passée. Alors qu’on laisse tranquillement passer un papier sur la liberté d’importuner ou une espèce de manifeste anti-féministe (voire misogyne) par Mazarine Pingeot !
Tu as décidé de démarrer « Mécréantes » par la thématiques des violences sexuelles. Pourquoi précisément celle-là ?
Parce que c’est une thématique encore largement incomprise et autour de laquelle on a peu d’instructions concrètes sur comment se comporter, comment réagir. Aussi, mine de rien, c’est un sujet qui, j’espère, met tout le monde d’accord à gauche comme à droite : personne, je pense, ne souhaite que les femmes subissent des violences et je me dis que ça peut être un bon point de départ pour s’entendre entre gens qui ont des perspectives politiques un peu différentes.
Tu m’as dit être inscrite en formation professionnelle à HEC. Pas trop dur de se confronter à un milieu aussi machiste ?
Si, c’est dur. Je ne pensais pas que cela était possible mais à HEC il y a des hommes qui pensent encore pour de vrai, de manière assumée, en le disant haut et fort, que les femmes sont inférieures. Je ne pensais même pas que ce prototype de mec pouvait encore exister. Ce qui est violent dans une grande école de commerce c’est la vision qui est véhiculée du « savoir » : une approche extrêmement viriliste de la supposée « rationalité ». Je pense à la remise en question des sciences dures par Mona Chollet dans Sorcières, et c’est vraiment cela.
Au-delà, cette école m’apprend des méthodes efficaces pour mener à bien mon projet : je détourne les techniques qu’on m’apprend, par exemple pour créer une start-up, pour mon podcast, et pour servir une cause urgente et nécessaire. Ce ne sont que des moyens que l’on peut ensuite utiliser pour servir nos propres luttes.
Des podcasts à recommander qui t’ont inspirée ?
Comme beaucoup de monde, j’ai commencé par « La Poudre ». Je pense que ça a été une porte d’entrée pour pas mal de gens. Ensuite « Transfert », « Les couilles sur la table » et « Un podcast à soi ». Aujourd’hui mes préférés sont (en plus de mes premières découvertes) : « Intime et politique », « Les pieds sur terre », « Culture 2000 », « Vénus s’épilait-elle la chatte », « Outsiders », « Môme », « Kiffe ta race » et « Le bureau des mystères ».
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