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Marie Papillon : « L’humour a une limite quand il est blessant »

Marie Papillon : « L’humour a une limite quand il est blessant »

Marie Papillon fait partie de ces artistes propulsé·e·s du jour au lendemain sur le devant de la scène pendant le confinement grâce à Instagram. L’artiste aux multiples casquettes joue avec les codes du réseau social pour proposer un humour libre et sans tabous qui fait rire des centaines de milliers de personnes quotidiennement. Aujourd’hui, elle sort des écrans verticaux avec deux séries et une bande dessinée. L’occasion de revenir sur son parcours et le pouvoir de l’humour féministe dans une période réactionnaire.

Toujours accompagnée de son chien Bibi – sûrement un des plus connus de l’Instagram français –, Marie Papillon enchaîne les projets avec une facilité déconcertante. Depuis mai 2021, elle a écrit une série, Marie et les choses, diffusée sur Téva, joué dans l’excellente série Jeune et Golri d’Agnès Hurstel et écrit le texte d’une bande dessinée, Marinette – 20 histoires sur la vie illustrée par Blanche Sabbah (alias @lanuitremueparis). Dans la continuité de son travail de vidéaste Instagram, ce dernier projet s’attèle à déconstruire les préjugés et les tabous avec un ton léger et bon enfant. L’humour rafraîchissant de Marie Papillon rompt avec une tradition de l’humour français où la moquerie et l’humiliation des minorités ont souvent été la norme dominante. À l’instar de Lison Daniel (« Les Caractères »), Laura Felpin ou encore Anaïde, elles aussi stars du confinement, Marie Papillon montre qu’il est possible de rire non pas des gens, mais avec les gens. Rencontre.

Manifesto XXI – Comment va Bibi ? 

Marie Papillon : Bibi va bien ! En ce moment, elle va bien. Quand tu manges quelque chose et qu’elle en demande, c’est qu’elle va très bien. Le jour où elle ne demande pas, c’est mauvais signe (rires) !

Bien avant d’être dans le milieu artistique, vous avez eu une carrière d’entrepreneuse à succès en investissant le champ des food trucks et des traiteurs en créant pas moins de cinq sociétés en moins de dix ans, dont le Food Market et le Réfectoire à Paris. Comment êtes-vous passée de l’entreprenariat à la création ?

Au moment du confinement, l’activité dans l’évènementiel s’est arrêtée. J’étais déjà présente sur les réseaux et les gens me connaissaient pour les blagues que je faisais sur Instagram. J’ai donc laissé ma part de créativité prendre toute la place et j’ai accepté de signer en agence. J’ai vu ça comme un signe que c’était le moment de me lancer, de m’autoriser à dire que je voulais faire du cinéma et être artiste. C’était la merde dans le monde, je me suis dit : « Vas-y lance-toi et prends le risque de changer complètement de vie » !

Ma vie d’entrepreneuse a été très similaire à la vie artistique que je mène aujourd’hui.

Marie Papillon

Qu’est-ce qui vous avait retenu jusqu’alors de vous lancer ? 

Mes parents ne m’ont jamais mis de pression mais quand j’étais plus jeune, le poids de la société et l’importance d’avoir des diplômes, de passer le bac – de préférence pas littéraire parce que ES et S c’était mieux vu – me pesaient beaucoup. Il ne fallait pas être artiste parce qu’on nous inculquait qu’on ne pouvait pas gagner sa vie comme ça. Je me suis donc très tôt dit qu’il fallait que je fasse des études, que j’aie un CDI, un travail stable, pour que tout le monde soit content. Finalement je n’ai même pas vraiment réussi à faire cela car ma vie d’entrepreneuse a été très similaire à la vie artistique que je mène aujourd’hui. C’est un mode de vie où tu dois gagner ta vie toi-même, porter des projets seule, et si tu ne te lèves pas, tu ne bosses pas. 

Vous venez du Havre, quel rôle a joué l’arrivée à Paris dans votre parcours ? 

Quand j’étais au Havre, je n’avais qu’une peur, c’était que mes parents découvrent que j’étais lesbienne avant que je leur dise. J’ai commencé à parler à des copines que j’avais rencontrées sur un site qui s’appelait Gaypax, une version plus moche que Skyblog qui mettait longtemps à charger, avec des photos nazes et tout… mais je m’étais créé un petit groupe avec des filles de Paris qui étaient lesbiennes, et moi je ne connaissais pas d’autres filles comme moi au Havre. Les seules représentations que j’avais étaient très clichés et limitées. Elles m’ont pris sous leur aile et m’ont invitée à la Gay Pride. J’ai dit à mes parents que je devais voir ma grand-mère de toute urgence, comme si elle allait partir du jour au lendemain. Lorsque je suis arrivée dans le Marais, j’ai eu le sentiment très puissant d’être complètement à ma place et d’avoir trouvé une famille. C’est là où j’ai compris qu’il fallait que je passe mon bac uniquement pour aller à Paris et vivre mon homosexualité. Ce n’est que quand je me suis acceptée et que j’ai été acceptée par mes ami·e·s et ma famille que j’ai pu me projeter et réfléchir à ce que je voulais faire dans ma vie professionnelle. Cela m’a donné l’assurance de faire des choses et de me lancer dans mes propres projets. 

Comment cette « première vie » influence-t-elle votre « deuxième vie » d’autrice/humoriste/actrice ? 

J’ai gardé l’enthousiasme de faire plein de projets mais surtout l’intérêt pour l’aspect humain du travail, car je suis persuadée que ce sont les rencontres qui m’ont permis d’être là où je suis. Tout l’aspect organisationnel et gestionnaire de l’entreprenariat te pousse à ne pas procrastiner. Ça, je l’applique beaucoup dans ma vie maintenant et c’est pour ça que je fais toujours un milliard de choses. Par contre, c’est important pour moi de bien choisir mes projets et de les faire quand cela me semble être le bon moment pour que je puisse m’y impliquer totalement. 

L’autodérision permet à chacun·e de s’identifier et de ne pas être moralisateurice. Ça te permet de rire de toi et de rire avec les autres.

Marie Papillon

Vous faites partie des personnalités qui ont été révélées avec leurs vidéos Instagram pendant le confinement. Qu’est-ce qui vous a inspirée sur cette plateforme ? Comment êtes-vous passée du « fait maison » à des projets plus complexes et avec d’autres moyens ? 

Quand j’ai découvert Instagram, j’étais un peu comme mon père qui découvre le smartphone : « Oh mais c’est génial, tu peux te filmer la journée, prendre des photos, c’est marrant ça ! » Petit à petit, les gens ont commencé à réagir et j’ai rencontré des gens que je ne connaissais pas grâce à Instagram. Le réseau te permet aussi de découvrir le travail des autres et c’est très enrichissant. Très rapidement, j’ai compris que l’on pouvait aussi véhiculer des messages et donner son avis sur des sujets variés. Je le fais toujours sous couvert d’humour car je ne veux pas être moralisatrice mais cela m’a permis de parler de mon homosexualité, d’homophobie et d’autres sujets que l’on n’aborde pas souvent. Je suis très fière de voir les copines qui sont d’excellents comédiennes et autrices comme Lison Daniel des « Caractères » (aussi au casting de Jeune et Golri, ndlr), Laura Felpin, Anaïde qui viennent toutes d’Insta et qui, maintenant, ont des premiers rôles et écrivent des séries. On avait toutes des vies totalement différentes avant, et grâce à Instagram on a réussi à transformer l’humour sur les réseaux en quelque chose de plus installé, plus cadré, en dehors de la plateforme. 

Vous êtes aussi l’autrice d’un album jeunesse qui met en scène une petite fille, Marinette, qui pose des questions à sa mère sur des sujets aussi variés que le consentement, la masturbation, le racisme, la mort… De manière très légère et décomplexée, vous abordez des sujets « tabous » entre enfants et adultes. De quelle manière avez-vous abordé ce projet d’écriture ? 

Le livre parle aux enfants mais surtout aux enfants que nous étions. L’idée de Marinette part de cette question : « Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir comme support quand j’étais plus jeune pour briser des tabous et comprendre le monde ? » Le livre s’adresse aux enfants pour qu’iels puissent se construire comme iels le souhaitent, mais c’est aussi un clin d’œil aux adultes pour qu’iels puissent déconstruire à leur tour certains préjugés. La plupart des adultes d’aujourd’hui n’ont pas eu le choix d’assimiler ces modèles rigides imposés par notre société. Beaucoup d’entre nous aurions aimé avoir ce genre de supports pour grandir et se dire qu’on avait le droit d’être qui l’on voulait. 

En rencontrant des gens, en s’éduquant sur les réseaux, en écoutant, les gens comprennent la nuance entre humiliation et humour.

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Marie Papillon

Le ton enfantin, presque naïf, de Marinette est aussi présent dans les séries Jeune et Golri ou Marie et les choses dans lesquelles vous jouez. Pourtant, votre humour n’en est pas moins féministe et politique. Comment définiriez-vous votre humour ? Vous imposez-vous des limites ?

Je ne sais jamais trop répondre à cette question car je ne vois pas forcément ça comme de l’humour mais de l’autodérision. L’humour a une limite quand il est blessant. L’autodérision permet à chacun·e de s’identifier et de ne pas être moralisateurice. Ça te permet de rire de toi et de rire avec les autres. Les blagues sur les homosexuel·le·s, les noir·e·s et les arabes, ça ne me fait pas rire. 

Une des vidéos qui vous a révélée est celle où vous tournez en dérision les propos d’Alain Finkielkraut après qu’il a déclaré être perturbé par les crop tops des jeunes femmes dans la rue. Les personnalités comme lui s’opposent à ce qu’ils appellent « le politiquement correct » en prenant souvent l’humour comme le lieu ultime où l’« on ne peut plus rien dire ». Vous montrez pourtant que l’on peut être drôle sans être humiliant·e. Qu’est-ce qui a changé selon vous pour que l’on passe de Bigard à Marie Papillon ?

Dans cette vidéo, je n’attaque pas personnellement Finkielkraut, je ne me moque pas de son physique par exemple. Je cherche à déconstruire son discours pour en montrer l’absurdité et faire appel au bon sens en lui disant que s’il est perturbé par les crop tops, il n’a qu’à arrêter de sortir ! Il y a vingt ans, il n’y avait que des Bigard et des Michel Leeb dont les blagues étaient humiliantes, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je pense que l’on peut rire de plein de choses sans se moquer et sans attaquer les gens. La nouvelle génération d’humoristes, dont je fais partie, cherche à démontrer cela en décryptant autrement la société. On a appris que l’on ne pouvait pas tout dire quand cela blessait des gens et qu’il était important de respecter les autres ! Je viens d’une famille ouverte sur beaucoup de choses mais il y a pourtant plein de sujets sur lesquels je n’étais pas éduquée et éveillée. J’apprends tous les jours, et des blagues qui pouvaient me faire rire quand j’avais 15 ans ne me font plus rire du tout. En rencontrant des gens, en s’éduquant sur les réseaux, en écoutant, les gens comprennent la nuance entre humiliation et humour. Ça n’a rien à voir avec le « on ne peut plus rien dire », il s’agit juste de dire les choses différemment. Ce n’est pas drôle de rire des gens, il faut plutôt rire avec ! Même des humoristes qui font carrière depuis des années ne font plus les mêmes blagues qu’il y a vingt ans et tant mieux, ça veut dire que la société change ! 

Marie Papillon © Rita Braz

L’homosexualité est, et a toujours été, un élément de moquerie et d’humour dans les films, les séries, les stand-up. D’ailleurs, à part Muriel Robin et Pierre Palmade, peu d’humoristes connu·e·s ont assumé leur homosexualité par le passé. Pourtant, vous ne vous êtes jamais cachée. Quelles figures artistiques vous ont inspirée ou ont été des modèles pour vous ? 

Avant de s’autoriser à chercher des représentations, il faut d’abord s’accepter soi-même. J’ai beaucoup grandi avec des modèles que je comprends comme queers aujourd’hui. Grace à ma famille, j’ai découvert plein d’artistes comme Mylène Farmer, Boy George, George Michael, plutôt des musicien·ne·s. Mylène Farmer était un vrai modèle avec ses clips incroyables mais aussi en tant que femme qui s’en fout et fait ce qu’elle a envie de faire ! En revanche, dans le milieu de l’humour, Muriel Robin a fait un coming-out très tardif donc le sujet est resté tabou très longtemps et ce n’était pas vu comme quelque chose de positif.

En quoi votre travail participe-t-il à un désir de visibiliser des identités minoritaires ? 

Je ne mets pas systématiquement cet engagement en avant car, normalement, cela ne devrait pas être un sujet. Cependant, j’essaye de représenter cette communauté correctement pour montrer que l’on peut être lesbienne, humoriste, et être bien avec soi-même. Des femmes viennent me voir pour me dire qu’elles ont fait leur coming-out grâce à moi donc c’est évidemment important pour moi d’être engagée sur la PMA, toutes les questions LGBTQIA+ et contre les thérapies de conversion. Mon Instagram est d’abord un endroit où l’on rit, mais si je peux défendre des causes, je le fais car il le faut.


Retrouvez Marie Papillon :
• comme actrice dans Jeune et Golri, disponible en streaming sur OCS
• comme autrice de la bande dessinée Marinette – 20 histoires sur la vie, illustrée par Blanche Sabbah, Hachette, 19,95€
• comme réalisatrice et actrice de la série Marie et les choses, sur Téva

Image à la une : Marie Papillon © Rita Braz

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