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Malvina Meinier : autopsie d’une sensibilité charnelle

Malvina Meinier : autopsie d’une sensibilité charnelle

La compositrice, productrice et cheffe d’orchestre Malvina Meinier, du label Kowtow Records, dévoilait l’an passé Anima, la première moitié de son concept-album Corpus/Anima. Complétant le diptyque, elle présente Corpus, nouveau chapitre organique dans lequel elle explore la « physicalité » du corps humain. 

Malvina Meinier joue des codes de sa formation classique et brise les carcans pour créer des œuvres toujours plus magistrales et protéiformes. À cette image, dans une démarche quasi-scientifique, Corpus/Anima réunit sonorités acoustiques et nappes auto-tunées, un mélange expérimental d’une cohérence fascinante. Les cinq titres de Corpus, sorti le 19 juin, mêlent bruits in utero, chœurs célestes et instruments acoustiques. L’artiste, dont la beauté de sa voix cristalline rappelle celle de Björk ou de Kate Bush, repousse les frontières musicales par ses projets toujours plus déconcertants. 

© Amaury Grisel

Manifesto XXI — La deuxième partie de ton diptyque Corpus/Anima vient de sortir. Comment es-tu arrivée à cet album conceptuel ? 

Malvina Meinier : J’ai commencé à écrire les esquisses de l’album en 2014, peut-être même en 2013, donc ça fait déjà un bon moment que j’y réfléchis. Ça a mis un peu de temps à se mettre en place parce que j’avais besoin de régler des choses dans ma vie avant d’y arriver. J’ai pris le temps de faire les choses au fur et à mesure. 
Au départ, je ne voulais pas faire un album en deux EP. Ça devait être un double-album avec une partie Corpus avec tout ce qui est électro, et une partie Anima, où je voulais carrément écrire un choral de 45 minutes pour chœur uniquement. Dans ma vie, c’est un peu un challenge que je me suis mis, d’écrire un choral. Finalement, je me suis dit que c’était peut-être encore un peu ambitieux de faire ça et du coup j’ai préféré tout réunir en un. Il y a peut-être un peu tout mélangé, des parties chœur qui s’entremêlent dans l’électro.
L’idée de séparer l’album en deux parties et d’en faire deux EP est plutôt venue avec mon label, parce que je venais de signer sur Kowtow Records. Je pense qu’on n’était pas encore prêts pour sortir un album aussi conséquent donc on s’est dit qu’on allait le couper en deux. Pour moi finalement, ça avait pas mal de sens parce que j’avais vraiment conçu l’album en deux parties très différentes donc ça ne me dérangeait pas du tout de le couper.
Pour l’aspect thématique, j’ai toujours été très fascinée par le corps humain, j’avais très envie de devenir chirurgien quand j’étais petite (rires). Je regardais des vidéos d’autopsies et ça me plaisait beaucoup. C’est un peu glauque mais j’avais envie de faire un disque là-dessus et de mélanger les deux parties, la partie physique et la partie un peu plus spirituelle. 

Quelles ont été tes influences musicales pour ce diptyque ?

Pour les deux parties, j’ai eu des inspirations assez différentes. Disons que pour Anima, j’ai été très inspirée surtout par des producteurs, pas tant par des compositeurs, et surtout des productrices d’ailleurs. J’ai été très inspirée par des femmes. J’ai beaucoup écouté Charli XCX à ce moment-là, et puis surtout Arca, SOPHIE, deux productrices qui m’ont beaucoup inspirée. Pour Corpus, c’est différent. J’ai beaucoup plus puisé dans mes inspirations classiques. Je suis allée chercher plutôt dans les Arvo Pärt, dans les John Tavener, dans la musique pour chœur du XXe siècle.

Je voulais vraiment que cet album soit comme un bouquin de médecine.

Malvina Meinier

Tu as une approche particulièrement médicinale dans ce projet…

C’est pour ça que tous les morceaux ont juste un mot pour titre. C’est très spécifique, on sait tout de suite de quoi ça parle et je voulais que ce soit vraiment comme des chapitres dans un bouquin de médecine. Particulièrement Corpus, que j’ai vraiment construit comme un bouquin d’étude. En choisissant des sons un peu spécifiques, je l’ai un peu plus défini. J’ai pas mal puisé dans une bibliothèque de sons in utero que j’avais beaucoup aimé. J’ai récupéré plein de sons de fluides, de sons du fœtus dans le ventre parce que je les trouvais vraiment super, tous hyper différents. J’en ai fait des rythmiques, d’autres des nappes dans les morceaux, mélangés à pas mal d’instruments acoustiques. C’est en ça qu’il est très différent d’Anima, produit 100 % dans ma chambre avec mon ordi. Mon petit clavier midi et rien d’autre. Alors que pour Corpus, on a enregistré les cordes, on a de l’orgue d’église. On a ré-enregistré toute ma voix aussi, tous les chœurs sont enregistrés avec ma voix alors que sur Anima, les chœurs sont des synthés.

© Amaury Grisel

Corpus et Anima sont deux EP aux univers complètement différents, qui ont besoin comme pour le corps et l’âme, de cohabiter, en quelque sorte, pour pouvoir se distinguer, sans pour autant s’opposer ?

En effet, je n’ai pas l’impression qu’ils s’opposent, même s’ils ont été produits de manière différente. Pour moi, c’est vraiment un tout. Ils fonctionnent ensemble. En vérité, je n’ai jamais écouté l’album du début à la fin, sans interruption, je devrais peut-être le faire du coup… (rires).
J’ai composé les morceaux sur la même période, aussi bien les épisodes de Corpus que ceux d’Anima, c’est juste que je les ai un peu répartis dans les cases. Par exemple, « Desire » je l’ai composé quasiment en même temps que « Blood ». Finalement, dans l’esprit, ils fonctionnent bien ensemble, il y a de l’homogénéité du temps.

De la naissance jusqu’à la mort, en passant par la puberté, avec un accent sur le sang, la chair et les nerfs pour Corpus et sur le tempérament, le désir et la foi pour Anima, tu présentes les nombreuses facettes d’une personnalité complète finalement ?

Bien sûr, je ne pouvais pas parler de tous les sujets. J’ai dû faire un choix, j’ai des maquettes sur mon ordinateur d’autres sujets jamais aboutis et que je ne sortirai probablement pas. Il a fallu faire un choix, j’ai choisi les choses qui me touchaient le plus. Je ne me suis basée que sur la musique. C’était vraiment « est-ce que je le sens ce morceau ou je ne le sens pas ? ». Il y a des choses que j’ai vite abandonnées parce que je le sentais moins.

Dans la chronologie, c’est sûr qu’il y a cette progression, de la naissance à la mort. 

Quel rapport as-tu à ton corps, ou plus généralement au corps; qu’il soit au singulier ou au pluriel ?

Comme tout le monde, c’est un peu compliqué. Après, j’ai appris à aimer mon corps et à le respecter, ce que je faisais peut-être moins avant parce que je suis très maigre. Malgré le fait que je mange des tonnes et des tonnes de nourriture, je suis toujours très maigre, on voit mes côtes et mes os partout. J’avais beaucoup de mal à montrer ça. Maintenant, je n’en ai absolument plus rien à faire. Je suis à moitié nue sur scène maintenant, et je m’amuse beaucoup de ça parce que j’ai vraiment pris confiance en moi là-dessus.
Pour cet album, je n’avais pas forcément envie de parler de mon corps, ou du corps de l’autre. J’ai vraiment eu une approche beaucoup plus objective. Il n’était pas forcément question de m’auto-analyser, je l’avais déjà pas mal fait dans les deux albums précédents.

© Amaury Grisel

Ton corps est pourtant depuis longtemps au centre des visuels : que ce soit dans les tenues, le maquillage mais aussi dans tes clips et performances. Pourquoi ?

Il y a quelques années, j’ai rencontré Amaury Grisel. Je pense qu’il a énormément participé aussi dans ma quête de l’acceptation de mon corps. Il fait du shibari et est photographe. On s’est rencontrés sur un shooting. On est devenu très amis, ça a tout de suite bien matché et puis il s’est mis à m’inviter chez lui. On s’est alors dit « allez, on va faire un shooting pour rigoler ». Finalement, il s’en est suivi des dizaines et des dizaines de shooting. Plus les shootings avançaient, plus j’enlevais de vêtements, puis on a fini par faire des photos hyper porn. C’était vraiment bon enfant, c’était hyper cool. Il a fait tous les visuels de l’album. La photo de mon corps nu derrière une bâche, c’était chez lui dans son salon. Je trouvais que ça avait du sens de faire ça parce que j’ai écrit mon album tout en travaillant avec lui : donc on a mûri ça ensemble. Quand j’ai vu cette photo, je me suis dit que c’était forcément la photo de l’album. L’univers visuel s’est vachement centré autour de ça, il m’a aussi ouvert à cet univers un peu BDSM. Il y a un peu cet univers-là qui entoure l’album, mes performances et mes clips. 

Tu as sorti une version live sublime de « Nerves » à l’église du Gesu. Qu’est-ce que tu apprécies dans le fait de jouer dans des églises ?

J’ai une relation assez particulière à l’orgue. C’est pour ça qu’il y en a beaucoup dans mes morceaux. Quand j’étais petite, j’étais pianiste et je me souviens qu’on allait au temple le dimanche matin dans le village d’enfance. Il y avait beaucoup d’orgue pendant la messe. Dans les cultes protestants, les gens chantent beaucoup, il y a beaucoup de musique et tout le temps de l’orgue. Au départ, je n’aimais pas trop l’orgue, puis j’ai appris à le comprendre et à l’apprécier. Ce n’est vraiment que maintenant que c’est devenu le truc. Dans mon travail, j’en mets partout, tout le temps. C’est vraiment un instrument qui me fascine. Forcément, ça m’a amenée à faire des concerts en église, parce qu’en France, les seuls endroits où on peut en trouver, c’est dans les églises. Et puis forcément c’est hyper majestueux. Tu fais un concert en église, ça change l’ambiance. 

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Ta musique a quelque chose de spirituel, et le côté organique notamment de Corpus renforce ce côté spirituel. C’est quelque chose que tu voulais transmettre ?

Peut-être inconsciemment. Ce n’était pas une démarche particulière mais je pense que si j’étais inspirée par des John Tavener ou Arvo Pärt, il y a forcément un truc hyper spirituel qui ressort. John Tavener n’écrivait que de la musique religieuse. Moi-même je suis hyper fascinée par ça.

Tout ce qui gravite autour de la religion me fascine donc je pense que ça se ressent.

Tu as déjà une idée du prochain thème, voire de la prochaine dualité que tu souhaites traiter dans le futur ? 

Pour être tout à fait honnête, j’ai presque quasiment fini d’écrire mon prochain album parce que forcément avec ce confinement, on se faisait chier. Je devais partir en tournée avec Jehnny Beth pendant tout l’été et je devrais y être en ce moment. Avec Jehnny Beth, on a pu faire qu’un seul concert de la tournée, à Londres. Le lendemain je suis revenue à Paris et je suis tombée malade, j’ai eu le coronavirus direct. On est tous tombés malade. Puis, il y a eu le confinement donc on a tous compris que la tournée allait s’annuler. J’étais d’ailleurs hyper triste parce que c’est un projet qui me plait énormément. Je n’ai pas l’habitude d’accompagner des gens en tant qu’instrumentiste sur un projet. Ce n’est pas quelque chose qui me fait si plaisir que ça d’habitude et là c’est vrai que c’est un projet qui me fascinait réellement. Du coup, j’étais d’autant plus triste que ça s’arrête aussi vite parce que j’avais hâte que ça commence, on avait déjà fait tellement de répétitions. 
Du coup, en attendant qu’on puisse reprendre les concerts, j’ai été enfermée dans ma chambre. J’ai pas mal écrit et j’ai déjà pas mal de matière. Le prochain album n’est pas du tout un concept-album, c’est l’opposé. Je n’ai d’ailleurs jamais fait ça, c’est la première fois. C’est très pop. Je ne suis plus du tout dans l’analyse de moi, c’est un album hyper léger, des morceaux que j’ai écrit en deux heures dans ma chambre. C’est vrai que ça fait des années que je travaille des albums hyper lourds, des concepts où je dois me remettre entièrement en question, où je dois vivre des choses intenses dans ma vie. Ayant dernièrement un peu passé un cap dans ma vie, j’ai eu envie de choses plus légères et plus fun; et surtout de moins réfléchir à ce que j’allais faire. 

À la une : © Igor Ramonatxo

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