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Lesbien·nes au coin du feu, Ep 1: Mon pays sera toi

Lesbien·nes au coin du feu, Ep 1: Mon pays sera toi

Lesbiennes au coin du feu
Bienvenue dans Lesbien·nes au coin du feu. Ici, on tend le micro à des femmes et personnes lesbiennes, bies ou pans, seules ou à plusieurs, pour qu’elles nous racontent un souvenir heureux de leur vie amoureuse. Histoires d’amour en cours ou passées, rencontres d’une nuit ou amourettes de vacances… Nous voulons diffuser des histoires lesbiennes pour donner le sourire, émouvoir et faire rêver.

Voici la retranscription écrite de notre premier épisode, dans lequel Alex et Lu ont accepté de nous raconter leur histoire.

Alex et Lu se rencontrent à l’université en Argentine. Alex tente directement d’aborder Lu, qui, barrière de la langue et lesbianisme obligent, ne comprend pas ses signaux. Un an plus tard, Alex se décide finalement à lui proposer une bière. Mais Lu est déjà rentrée en France.

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Lu : On est en Août 2017, je viens juste d’arriver à La Plata en Argentine pour un échange universitaire. C’est la première fois que je pars vivre dans un pays hispanophone, je parle quasiment pas espagnol et j’arrive une semaine avant le début de mes cours à la fac. Donc j’arrive à la fac en connaissant personne, et je croise par hasard deux meufs qui me proposent d’aller, à la fin de la semaine, à une réunion pour préparer un voyage pour des rencontres féministes qui ont lieu un peu plus tard en novembre.

Comme j’ai pas grand chose à faire et que je connais personne je me dis que c’est l’occasion, et j’y vais en imaginant que c’est une grosse réunion avec plein de gens, et que je vais juste pouvoir y aller pour écouter ce qu’il se passe. Sauf que le vendredi, j’arrive à la réunion, et je me rends compte qu’on est six ou sept et qu’il va falloir quand même que je participe un petit peu. Je suis assez stressée, je comprends rien, du coup je décide de juste plus au moins répéter ce que dit la personne à côté de moi quand on me demande mon avis, et j’essaye de partir assez vite pour pas être trop mal à l’aise.

Alex : Du coup, Moi j’arrive dans cette réunion avec une de mes meilleures copines. On avait trop envie d’y aller car c’est une rencontre plurinationale de lesbiennes, trans, pédé et de personnes non binaires. C’est une rencontre féministe de ouf en Argentine. On arrive dans une salle où il y avait effectivement pas trop de monde, et la première personne que je repère c’est une blonde très belle. Donc j’arrive, je m’assois à côté d’elle, et à un moment donné on commence à faire une présentation. Ils posaient une question très gênante mais rigolote, il fallait dire quelle était notre partie érogène la moins courante. J’ai pensé au fait que quand je fume de la weed, j’aime beaucoup toucher les mains. Du coup j’ai dit les mains, et la blonde à côté de moi a dit « les mains » aussi, donc j’étais comme : « Ok trop bien, je la kiffe. » 

Après cette réunion, on commence à se croiser dans la fac, et moi j’essaye de voir comment établir un contact. À ce moment, c’est le début du semestre et je commence un cours de théories féministes. Et là je vois que cette meuf est dans le cours, du coup je lui souriais, nana… Et un jour, à la fin du cours, elle est entrain de sortir de la salle, j’arrive vers elle et je lui dis « Bon, salut, ça va, ça se passe bien, tu t’appelles comment ? » Et j’avais deux copines juste derrière moi, et une d’elles qui demande à l’autre « c’est qui cette meuf ? » et elle répond assez fort « c’est la meuf qu’Alex elle kiffe. » Moi j’étais trop gênée, Lucie elle a fait comme « haha », et elle est partie tout de suite, j’ai eu trop la honte.

Lu : Moi après la réunion, je fais un petit peu ma vie à la fac, je commence à prendre mes marques, à comprendre un peu mieux la langue et à connaître les gens. Je prends un cours de théories féministes où il y a beaucoup de monde, et dans ce cours je croise une des personnes qui était à la réunion. Je la reconnais, on s’était jamais vraiment parlé mais on s’était déjà recroisées à la fac. Je lui dis bonjour, et au moment où on allait échanger quelques mots, j’entends qu’elle est avec d’autres amies et qu’elle commence à rigoler beaucoup toutes les 3. Moi j’étais assez gênée, je comprenais toujours pas très bien ce qu’il se passait en espagnol, et j’avais l’impression peut-être que j’avais dit un truc pas correctement donc je suis vite partie. Après on s’est un peu recroisées mais j’avais l’impression, je sais pas, qu’elle se moquait un peu de moi. Donc on se disait bonjour de loin et voilà. J’essayais pas du tout d’entrer en contact.

Alex : Après ça, moi j’ai un peu laissé tomber l’affaire. D’ailleurs à ce moment-là j’étais vers la fin d’une relation avec une autre personne, avec qui on s’était dit que c’était ok de voir d’autres gens, mais j’avais pas l’énergie, j’étais un peu fatiguée émotionnellement. J’avais cherché le Facebook de Lucie quand même pour la stalker, et je l’avais ajoutée, mais j’avais laissé tomber l’affaire.

Un an plus tard, je me rappelle de l’existence de cette meuf, et je me dis : « Allez je vais lui écrire, je vais lui proposer d’aller boire un verre. » Donc je lui envoie un message, et elle me répond : « Non mais je peux pas aller boire un verre, je suis à Paris, je suis rentrée en France ». J’étais trop deg, mais bon c’était comme ça, et j’ai continué ma life.

Six mois plus tard, en mai 2019, j’étais avec des ami·es en train d’attendre dans la queue d’un concert de Chocolate Remix (C’est du reggaeton lesbien, allez écouter), et là je regarde à ma gauche, et je vois Lucie qui arrive. Je la vois en train de marcher et je me dis « Waw. » J’étais avec une copine, celle qui avait rigolé et un peu gâché l’affaire à la sortie de ce cours de théories féministes, donc là je lui ai dit : « Non attends, tu vas rien faire cette fois, là c’est moi qui gère. » Donc on a commencé à se parler avec Lucie, et dans ce concert j’ai vraiment tout donné, je me suis dit : « Allez, c’est mon moment là. »

Lu : Quand Alex m’a écrit après mon retour en France, j’avais compris que potentiellement il pouvait se passer quelque chose entre nous. Mais c’était longtemps avant et on se connaissait pas du tout, donc j’étais pas sûre. Quelques mois après mon retour, je décide de repartir à La Plata, toujours plus ou moins dans le cadre de l’université, mais aussi pour continuer à connaître les gens que j’avais rencontrés, à développer les relations que j’avais commencé à construire là-bas. 

Après le concert j’étais très contente de l’avoir croisée, on s’était bien parlé, et assez rapidement on s’est revues. Deux jours après on a été à une manif ensemble, on a été boire des verres, je l’avais invitée à l’anniversaire d’une pote à moi, on a fait un repas chez des amies à elle… Bref très vite on a commencé à apprendre à se connaître, à se voir pas mal. En fait, en une semaine, on s’est vues quasiment tous les jours. Et on s’écrivait beaucoup. 

Alex: Je sais pas d’où viennent les désirs, ni pourquoi je me suis sentie si attirée par Lucie, mais je voulais construire un type de relation avec elle, sans savoir qu’est-ce que je voulais exactement. Mais pour moi draguer c’est pas si simple. J’avais plusieurs choses à gérer avec cette situation. D’abord, il fallait savoir si Lucie était gouine, et si elle était dispo quoi. Aussi, il fallait communiquer discrètement et pas bizarrement, pour lui montrer que j’étais intéressée par elle. Du coup, je l’ai invitée dans des manif, parce qu’à ce moment je militais dans la campagne pour la légalisation de l’avortement et j’avais pas d’autres idées d’activités à proposer. Je commençais à la connaître et à me rendre compte que cette meuf n’était pas seulement magnifique sinon aussi très intelligente, critique et drôle… Je la kiffais quoi. 

Lu : D’autant plus qu’à la fin de cette semaine-là, j’allais partir dix jours en voyage avec des ami·es à Mendoza, une autre ville d’Argentine. Donc j’avais un peu envie de voir ce qu’il pouvait se passer avant mon départ. 

Finalement, quand je pars à Mendoza, il s’est toujours rien passé de très concret, mais pendant tout le voyage on s’écrit énormément, tous les jours. Moi qui n’ai pas trop l’habitude de faire ça, je suis tout le temps sur mon téléphone en train d’écrire à Alex, de lui raconter ce que je fais, de lui envoyer des photos. Assez bizarrement, notre relation se développe pas mal par écrit, via Whatsapp. Et pendant ces dix jours, elle m’avait raconté ses galères dans son appart. Elle avait plus de gaz, du coup je lui ai dit que chez moi j’avais une petite plaque électrique d’appoint, que j’allais lui apporter le jour de mon retour, et que j’allais lui cuisiner un truc que je venais d’apprendre à cuisiner : une soupe de cacahuètes. J’étais assez contente de rentrer de ce voyage et le soir même je suis passée chez moi, j’ai pris une douche, la plaque électrique, et je suis allée chez elle pour cuisiner cette soupe de cacahuète.

On s’était dit que ce qui était bien aussi les dimanche, c’était de regarder des films qu’on avait fait semblant d’avoir vu toute notre vie, et un de ces films pour nous c’était Fight Club. Donc ce soir-là on décide de regarder Fight Club, mais bon on voit à peu près 30 secondes du film. Assez rapidement on s’est rapprochées physiquement, ça a d’abord commencé par des caresses, on faisait semblant de regarder le film mais il y avait beaucoup de tensions. Et j’ai fini par me retourner pour l’embrasser, et on a passé la nuit ensemble.

Alex : En fait, on a passé trois jours ensemble. On s’est donné tous les bisous et caresses qu’on s’était pas donné pendant les deux semaines passées. Il faut clarifier qu’on ne s’avait pas pécho ou touché avant. En fait, j’aime beaucoup la tension et je suis ok avec ça. J’aime bien éviter de toucher les gens quand j’ai beaucoup trop envie de le faire, ça me fait trop plaisir d’attendre l’explosion de sensations physiques, quand tu sens que tu peux plus. 

Et là, j’ai littéralement disparu de la circulation pendant trois jours. Je suis restée dans la chambre d’Alex trois jours non-stop. Et il faut savoir que pendant le voyage à Mendoza j’avais cassé mon téléphone, donc quand je suis repassée chez moi chercher des affaires après trois jours chez Alex, j’ai ouvert mon ordi et j’ai découvert que j’avais plein de messages de gens qui étaient très inquiets de savoir où j’étais passée. Dont une de mes tutrices de mémoire, qui était la directrice d’un centre de recherche de notre université à La Plata, et à qui j’avais eu quand même un peu honte d’avouer que j’avais pas du tout été enlevée, mais que j’étais juste chez quelqu’un que j’avais rencontré.

Alex : Il faut dire aussi que pendant ces 3 jours, l’unique chose qu’on a mangé c’était la soupe de cacahuètes. Et à la fin de ces 3 jours, je regarde Lucie et je lui demande quel type de relation elle aimerait construire avec moi. Parce que depuis des années, je relationnais avec les gens mais j’avais pas du tout envie de construire des relations de couple. J’ai pas proposé à Lucie de se mettre en couple, mais je lui ai dit que si elle le voulait, moi j’étais ok. Du coup on a eu cette petite conversation où on était d’accord toutes les deux pour continuer à être ensemble et voir ce qui allait se passer.

En fait, Lucie avait prévu de partir d’Argentine à la fin de l’année, et on a commencé à construire notre lien en sachant qu’on allait se séparer, et en même temps c’était très intense. De ma part, je voulais juste tout prendre de ces moments, parce que c’était très explicite qu’on avait un CDD, alors je sentais qu’il fallait en profiter chaque instant.

Lucie : Il y a un mois qui passe, à la fin duquel, avec ma coloc de l’époque, on décide de lâcher notre appart, pour différentes raisons. À ce moment-là, je fais un peu le point sur le mois qui vient de passer, je me rends compte que j’ai dormi chez moi qu’une seule fois, et tout le reste chez Alex. Du coup je me dis que ça va effectivement pas changer grand-chose si je lâche mon appart. Je décide de reprendre mes affaires tranquillement et de les amener chez Alex, dans le but de chercher un autre appart, je me laisse jusqu’à la fin du mois suivant. Je galère, j’ai pas mal d’histoires un peu extravagantes avec des proprios, des apparts, des colocs qui s’avèrent complètement pourries, et à la fin de ce mois-là et de beaucoup de tergiversations, on se demande si on doit pas tout simplement s’avouer qu’on vit quand même déjà ensemble, même si c’est très bizarre vu qu’on s’est rencontrées deux mois plus tôt. Et vu que j’allais repartir maximum en décembre de la même année, on s’est rendues compte qu’on avait pas du tout envie que je quitte cet appart là, donc on a décidé d’officialiser que j’allais habiter dans l’appartement qu’Alex avait avec son frère à La Plata.

Alex : On fait notre coming out de vivre ensemble, on passe tout notre temps ensemble, et ça se passe trop trop bien. On commence à déborder notre affection et notre vulnérabilité, et on se sentait très bien comme ça, c’était le début de notre tendresse, et on avait très envie de gérer ça.

À un moment donné, Lucie avait prévu un voyage au Nord de l’Argentine pendant une semaine avec des potes. Pendant qu’elle était là-bas, j’ai pu prendre du recul sur ce qu’il s’était passé, et j’ai commencé à angoisser beaucoup en réalisant que la meuf avec qui je vivais depuis quelques mois, allait effectivement partir à la fin de l’année. Je me rends compte que ça ne va pas du tout, j’ai pas envie d’accepter ça. Je commence à pleurer avec mes copines et dire : « Oui je suis en couple libre, je veux que Lucie soit un être libre, mais je suis trop triste, j’ai juste envie d’être avec elle pour un temps plus indéfini, ça va être trop triste quand elle partira, là elle est partie une semaine et je sais pas quoi faire. » J’écris à Lucie, je lui dis : « Bon cette semaine est un peu intense pour moi, je vois qu’il faut qu’on parle de notre relation ». Et basiquement, je voulais lui dire que j’avais envie de trouver une manière de continuer avec elle, même si elle partait.

Quand Lucie arrive une semaine plus tard, on commence à pleurer toutes les deux et on s’avoue qu’on n’a pas du tout envie de se séparer à la fin d’année. Alors on se dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? » 

Moi à ce moment-là, j’en ai un peu marre de vivre en Argentine parce que j’y suis depuis déjà cinq ans, et je réfléchis à partir en Uruguay. Mais Lucie, elle voulait rentrer en France. Donc moi je me suis dit : « Allez, pourquoi pas. Je vais aller en France, je vais apprendre le français, allez, on y va, on fait ça. »

Lu : On est fin novembre 2019, le moment est venu pour moi de quitter l’Argentine. À cette période c’est les vacances d’été en Argentine, et avant mon départ, on décide avec Alex de se prendre un mois ensemble en Colombie. Pour aller passer du temps chez sa famille, voir des amies colombiennes, et aussi pour avoir une transition entre tout ce qu’on avait vécu en Argentine et tout ce qui allait se passer en France, mais qui était encore très très flou, parce qu’il fallait organiser plein de choses administratives avant qu’elle puisse venir me rejoindre.

On part là-bas dans un contexte un petit peu tendu étant donné qu’Alex avait avoué à sa mère juste avant qu’elle était avec une fille, et en l’occurrence avec moi. Sa mère est très religieuse, donc on était pas bien sûres de comment elle allait le prendre. Et je sais pas si on peut dire qu’elle l’a bien pris, puisqu’elle lui a répondu que si je venais chez elle, « Elle ne me taperait pas ». Donc j’étais à la fois contente de le savoir et à la fois un peu inquiète qu’elle ait besoin de le clarifier. Mais bon on arrive là-bas, je rencontre sa mère, on bouge un petit peu autour mais on est surtout chez elle. C’est un mois assez difficile déjà parce que sa mère ne veut absolument pas nous laisser dormir ensemble, donc on dort pas ensemble, ou alors en cachette ou chez d’autres gens, alors que c’est le dernier mois qu’on a ensemble avant de ne plus se voir pour une période indéfinie.

Au moment où je rentre en France, le plan c’est qu’Alex demande un visa étudiant et qu’elle vienne ici pour ses études. Mais quand on se penche sur ces démarches-là, on se rend très vite compte que c’est extrêmement compliqué et cher de faire ce type de visa.

Alex : Il faut préciser que j’étais une personne migrante en Argentine et j’avais déjà pas trop d’argent, j’étais pas dans les meilleures conditions. Les personnes qui viennent de pays pauvres pour aller en France, c’est celles qui ont le privilège d’être riches. Moi je ne suis pas riche, et j’ai constaté ça quand on a commencé à regarder combien coûtait le visa, les billets, et comment ça pouvait se faire pour venir étudier ou travailler ici. J’étais un peu angoissée car on s’est rendues compte que c’était pas du tout dans notre budget. 

Mais on a découvert en faisant des recherches, que quand tu es mariée avec une personne française, ils te donnent un visa presque gratuitement, pour 200 euros. Et c’était l’option la moins chère. Donc on s’est dit : « Allez, on fait ça, on va se marier. » 

Lu : On décide ça en janvier 2020. Moi je vivais à Strasbourg, et il fallait déposer à la mairie de Strasbourg un dossier de mariage, dossier de mariage avec une personne étrangère qui n’était pas présente. Il fallait que je réunisse tous les papiers dont plusieurs originaux, en sachant qu’Alex habitait en Argentine tout en étant colombienne. Donc on essayait de faire communiquer les administrations française, colombienne et argentine en même temps. C’était extrêmement complexe, notamment pour faire parvenir des originaux en France depuis la Colombie en passant par l’Argentine, bref on était déjà presque au bord du burn out administratif au moment où on a finalement réussi à déposer tous les papiers à la mairie. Pour déposer le dossier il fallait déjà avoir acheté un billet d’avion pour avoir des dates précises, donc il fallait que tout ça arrive avant l’arrivée d’Alex en France, qui était prévue le 21 mars 2020. 

Donc on pensait vraiment être au bout de nos peines administratives, et là…Fermeture des frontières, confinement général, pandémie mondiale.

Alex : Apocalypse… À ce moment-là, c’était le désespoir. On a beaucoup pleuré parce qu’on s’était séparées en janvier et on pensait se revoir en mars. Le confinement était indéfini, très angoissant, on savait pas ce qui allait se passer. Donc pendant des mois, on a continué de vivre notre relation à notre manière, on s’est fait des appels vidéos tous les jours, Lucie a commencé à me donner des cours de français. Parce que moi l’unique chose que je savais dire avant en français c’était « Bonjour la Tour Eiffel ». On fait des date, des fois on faisait du sex cam, on parlait beaucoup. Ça m’a beaucoup étonnée parce que pendant ces mois de confinement, on a vachement développé notre relation.

Lu : Les mois passent, la fin du confinement arrive en France mais en Argentine pas du tout. D’ailleurs le moment où l’Argentine a été déconfinée, c’était le confinement le plus long du monde. Et de toute façon, les frontières françaises étaient toujours fermées. Ma routine matinale c’était de taper « Actualités ouverture frontières » dans Google

L’été arrive, moi je recommence à faire ma vie, je prends un boulot. On sait pas trop quand on va pouvoir reprogrammer le vol qui est toujours en attente, on est un peu désespérées. On lâche pas du tout l’affaire mais on sait pas ce qu’on va faire, on est juste là entrain d’attendre. Jusqu’à ce qu’un jour, un peu par hasard, Alex lise dans un journal national argentin, un article sur un couple bi-national, une française et une argentine, qui étaient dans la même situation que nous. Coincées chacune dans leur pays, sans possibilité pour la personne argentine de rejoindre la personne française. Et l’article raconte comment elles ont réussi finalement à se retrouver et à faire les démarches administratives qui ont permis à la personne argentine de passer la frontière et de venir en France pour se marier. Donc exactement notre cas. Sauf que nous, on avait pas encore réussi à résoudre l’affaire. 

Alex : Cet article était pas très safe pour les meufs parce qu’il y mentionnait clairement leurs noms dessus, mais du coup j’ai pu trouver une d’elles sur Facebook, et je l’ai contactée. Elle s’appelle Clem, et j’espère qu’elle va bien. Elle m’a tout expliqué, et elle m’a raconté : « Du coup j’ai écrit au consulat, on était pas mariées mais j’ai réussi à prouver qu’on était ensemble grâce au bail de notre maison, et j’ai pu prendre l’avion avec ce bail »

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Avec Lucie, on s’est dit « On fait ça, allez ». On a falsifié un bail, parce qu’on avait vécu ensemble mais on n’avait rien pour le prouver. Donc avec ce bail falsifié, je m’embarque dans un vol presque 15 jours plus tard, avec 15 millions de papiers qu’on avait réunis. 

Moi j’avais très peur, j’attendais que quelqu’un vienne me voir pour me dire que je pouvais pas passer, et finalement je passe la frontière. J’arrive à l’aéroport en France, je parlais pas français, je comprenais rien, et à un moment je suis en train d’avancer et je vois Lucie, et c’était.. Trop bien. J’arrivais pas à croire à ce moment aussi attendu. Et j’ai dit à Lucie : « Attends, j’ai pas mon tampon de passeport. » Du coup on a dû retourner à la police pour leur demander de tamponner mon passeport. C’était très important, parce qu’il fallait que je re-rentre en Argentine après pour demander un visa, avant de revenir définitivement en France.

Lu : Donc on se retrouve à l’aéroport, un peu abasourdies. On rentre à l’appartement à Strasbourg avec Alex le jour même, on est très contentes d’être ensemble mais en même temps on lâche rien parce qu’il faut aller valider le dossier de mariage à la mairie pour avoir une date avant son billet retour. On y va, on obtient une date le 25 septembre 2020. 

Et entre deux confinements, on se marie. 

Là on comprend pas trop ce qu’il se passe, parce que nous à la base le mariage c’est un truc qu’on fait… Pour pouvoir être ensemble bien sûr, mais en fait on est passées du plan du Visa Étudiant à ça sans trop se poser de questions. Et là il y a toute ma famille qui vient à Strasbourg très bien habillée, nos ami·es font des conversations secrètes pour nous organiser des surprises de mariage… On se fait embarquer dans un truc sans se rendre compte du poids social que cette fête a. À ce moment pour nous le mariage c’est une grosse bataille administrative qu’on est entrain de gagner après de longs mois, mais on se rend vite compte que c’est aussi symboliquement quelque chose qui malgré tout compte pour les gens… Et donc pour nous aussi, vu qu’on est avec tous ces gens à ce moment-là. 

On se marie à la mairie de Strasbourg le 25 septembre 2020 à 9h du matin, puis on enchaîne sur une énorme fête dans notre appart avec toute ma famille, tous mes ami·es, parce qu’Alex connaissait pas encore grand monde en France. Et on est là, une soixantaine de personnes entre les deux confinements, en train de danser pour fêter cette bataille administrative.

Alex : Moi j’étais un peu angoissée, parce qu’on sentait qu’il y avait beaucoup de symbolique pour tout le monde, et je me retrouve avec des gens qui me félicitent pour mon mariage, j’étais comme : « Non, ne me félicite pas, je suis pas contente de me marier, je suis contente d’être avec Lucie et de pouvoir vaincre l’administration »

C’est drôle parce que quand Lucie et moi on s’est rencontrées on disait : « Ha ouais, nique le mariage, les gens qui se marient c’est nul. » Et là ce soir-là, on était en train de danser sur du reggaeton et c’était too much, c’était un vrai mariage. On est sorties de la mairie, il y avait des gens qui nous jetaient des coquillettes de pâtes à la tête, c’était un peu angoissant.

Lu : Après ça, Alex repart en Argentine pour demander son visa, on a un peu peur parce qu’on se dit : « Qu’est-ce qui va encore nous arriver ? » Et évidemment, il nous arrive encore quelques rebondissements administratifs qu’on vous épargne. Elle finit par obtenir son titre de séjour assez rapidement, et trois semaines après elle revient s’installer à Strasbourg dans la coloc où je vivais, jusqu’au mois de juin de l’année suivante, juin 2021. 

Entre-temps, en avril, on va voir des ami·es à moi à Marseille pour un week-end. Quand on habitait en Argentine, j’avais dit à Alex que si elle venait vivre en France, on pourrait trouver une ville avec un climat un peu moins violent que celui de Strasbourg. Et je lui avais parlé de Marseille, je lui avais montré des photos, elle avait beaucoup aimé. Pendant ce week-end là à Marseille, on découvre la ville, nos ami·es essayent de nous convaincre de venir y habiter. Nous on sait pas trop, on hésite, et finalement quelques mois plus tard, en Août, on emménage à Marseille, où on vit aujourd’hui.

Alex : Mon projet c’était reprendre la fac, du coup je m’inscris à l’université à Marseille. Lucie trouve un boulot ici, puis moi aussi après, et on commence à vivre nos vies dans cette ville. 

Lu : On a même adopté un chat qui s’appelle Gina María. Aujourd’hui, ça fait trois ans déjà qu’on est ensemble, et on essaye de continuer de construire notre relation, une relation qui soit la plus saine possible, qui nous fasse le plus de bien.

Alex : On lâche pas depuis le début de l’affaire d’essayer de construire une relation de couple qui soit aussi politique, en sachant qu’il y a des choses qu’on a pas forcément envie de mettre en place, comme la monogamie, ou certains modèles heterosexuels qu’on ne veut pas reproduire. C’est pas toujours très facile de sortir de ça, mais on essaye tout le temps d’évoluer vers des choses qui nous font du bien. 

Lu : On voulait raconter notre rencontre parce qu’on considère qu’on est toujours entrain de se rencontrer. On continue de se découvrir nous-même et l’autre un peu tout le temps. Moi avant de rencontrer Alex, j’avais jamais été dans une relation comme celle-là, comme on peut appeler une relation de couple assez longue dans laquelle je me projette sur différentes choses à moyen et long terme. J’ai l’impression que ça m’a apporté beaucoup de sérénité et de confiance dans les choses que j’ai envie d’imaginer, de continuer de construire. C’est très agréable de savoir que je peux compter sur quelqu’un et que quelqu’un peut compter sur moi. Ça me donne beaucoup de confiance. 

Alex : J’aime beaucoup regarder comment notre relation évolue dans le temps, comment ça change et comment ça s’adapte à nous, à notre manière de vivre. Comment on fait des choses pour continuer d’être ensemble, et ça fait du bien. Le fait d’être avec Lucie c’est un choix que j’aime bien parce qu’on vit beaucoup de choses ensemble et on partage notre quotidien et notre intimité ensemble. Mais je sens aussi que ma relation avec elle m’apporte des choses avec les autres personnes. Je sens que c’est un peu tout lié. Quand je suis avec d’autres personnes je sens que ça nourrit un peu la relation que j’ai avec Lucie, et vice versa. C’est une chose qui me fait trop du bien. Moi j’ai envie de rester là-dessus.


Vous venez de lire le 1er témoignage de Lesbien·nes au coin du feu, un podcast Manifesto XXI signé Athina Gendry. Merci à Alex et Lu de nous avoir partagé leur histoire. Cet épisode a été monté par Louise Despret, Jeanne Chaucheyras a assuré la réalisation, le sound design et la musique originale. Il a été produit par Soizic Pineau, avec Apolline Bazin à la distribution et promotion, et Coco Spina à la direction éditoriale. L’identité visuelle et la direction artistique de ce podcast ont été imaginées par Dana Galindo. Léane Delanchy anime le compte Instagram @lesbaucoindufeu et a réalisé l’illustration de cet épisode, d’après une idée d’Alex.

Merci au média Hétéroclite ainsi qu’à ACAST pour la diffusion du podcast. On vous retrouve bientôt pour un nouveau témoignage. En attendant, si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le noter et à le partager autour de vous.

Si vous souhaitez vous aussi raconter une belle histoire au micro de Lesbiennes au coin du feu, vous pouvez nous la partager à l’adresse mail suivante : lesbiennesaucoindufeu@gmail.com

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