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Les Contagieuses : un nouveau souffle féminin pour le théâtre contemporain

Les Contagieuses : un nouveau souffle féminin pour le théâtre contemporain

Le festival Les Contagieuses s’est terminé le 8 novembre au théâtre de la Reine Blanche, à Paris. Étalés sur un mois et demi, six spectacles composaient la première édition de cet événement improvisé : retour sur une programmation intelligente et pertinente, majoritairement féminine et jeune.

Les Contagieuses, c’est la formule qu’a choisi le théâtre de la Reine Blanche pour contrecarrer les aléas d’emploi du temps imposés par la pandémie. Pour résoudre les embouteillages de programmation, la structure a décidé de réunir sous le format d’un festival ces pièces qui se retrouvaient au bord de l’annulation suite au décalage de l’année 2020 sur l’année 2021. Les spectacles ont bel et bien été accueillis entre leurs murs, et mettent à l’honneur la jeune création. Il est l’heure de présenter de nouveaux discours autant que de nouvelles mises en scène, d’éclairer de nouvelles écritures autant que de nouvelles méthodes de jeu. Pour se faire l’écho du talent de cette génération, et de son monde.

Un festival porté par des femmes

Dans les formes choisies pour Les Contagieuses, les créations se répondent et font écho les unes aux autres. Dans l’utilisation récurrente de vidéos et projections, dans des scénographies mobiles où l’espace se transforme au fur et à mesure, dans des textes adressés directement au public, dans des scènes clownesques… Mais aussi et surtout parce qu’elles montrent quasi-exclusivement des seules en scène. Hormis Fracassés, le festival était composé de spectacles mono-protagonistes, avec à chaque fois des femmes sur le plateau.   

Alors que le #MeTooTheatre pointe tout juste le bout de son nez – il était temps –, le constat est déplorable. Dans les programmations, à la tête des festivals, des écoles et des théâtres, à tous les postes de direction, la majorité d’hommes est écrasante, voire absolue. Partout, les femmes sont invisibilisées. D’autant plus lorsqu’elles sont jeunes et créatrices. Avec Les Contagieuses, la balance s’inverse. À la mise en scène, au jeu, à l’écriture, des femmes portent les projets. On y retrouve beaucoup de portraits et de parcours de femmes. Un grand souffle dans cette industrie théâtrale qui respire souvent la masculinité, ressassant des noms bien installés depuis une décennie. 

Les Contagieuses, Grosse Niaque
Trouver sa place

Les spectacles sont aussi liés par des problématiques communes. Revient régulièrement l’idée de trouver sa place. Grosse Niaque dresse le portrait de Ma​​​ïa Berling – comédienne, co-auteure et personnage – aspirant à trouver une place dans la société via le monde du travail. La pièce illustre, dans une mise en scène adressée au public, le parcours chaotique d’une jeune femme en qu​ête d’avenir. Les tableaux naissent et s’enchaînent, répondant aux espoirs meurtris de Maïa, laissant défiler les images des années qui débutent puis s’achèvent dans ce polyptyque chargé d’une interprétation sincère et sensible.

Fracassés, qui propose une adaptation du texte de Kae Tempest, raconte la nuit de Ted, Charlotte et Dany qui se retrouvent le jour des dix ans de la mort de leur ami Tony. Entraîné·es dans une rave, complètement défoncé·es, iels font un bilan de leur vie, avec un constat commun : celui de ne pas ​être heureux·se et de n’avoir rien accompli de leurs rêves. Au travers de leur ivresse, les trois comédien·nes livrent l’introspection de ces personnages qui estiment avoir tout raté. 

Comment se placer dans ce monde qui attend de nous de « devenir quelqu’un » ? N’a-t-on réussi sa vie que lorsque l’on a réussi professionnellement ? Ces spectacles explorent des solutions en biais du système professionnel, vers la construction de soi plutôt que celle du CV, vers un aboutissement des rêves plutôt qu’une ode à l’ambition. 

Se retrouver

Autre thème récurrent : celui de la quête de soi à travers le monde animal, la nature. Se créent au fil des Contagieuses des parcours initiatiques qui avancent au rythme d’une nature aussi hostile qu’elle est bienveillante, dessinant les montagnes comme lieu de tourmente autant que de convalescence. Apparaissent au plateau des relations humaines et animales qui se forment dans la douleur ou la thérapie. 

Dans Croire aux fauves, l’animal est à la fois la blessure et la convalescence. Dans cette adaptation du roman autobiographique de Nastassja Martin, l’anthropologue en voyage en Russie pour ses recherches se retrouve grièvement blessée lors d’une rencontre avec un ours, dont elle sort miraculeusement en vie. Le spectacle, porté par un texte puissant et l’interprétation très réussie qu’en fait Émilie Faucheux (accompagnée sur scène de Michael Santos à la musique), retrace le chemin vers la réappropriation de son corps de cette femme qui a vu son monde se fondre dans celui de la bête sauvage. Une pièce qui cherche dans les blessures la solution d’un rétablissement, et propose une expérience onirique à la croisée des mondes humain et animal. 

Dans Sauvage, les montagnes représentent le remède au trauma. Voyant se profiler la mort de son frère, la protagoniste retourne sur les pas de son enfance pour une ascension acharnée entre les cimes et les sommets. Au cœur d’une jolie scénographie faite de cordages, Léa Perret – suivie de près par Pablo Elcoq qui construit en live la bande originale du spectacle avec brio – grimpe à la recherche de réponses, accompagnée à la toute fin de Mélisse Nugues-Schönfeld qui la rejoint sur scène. Ce texte saisissant de Quentin Laugier, très librement inspiré du roman Wild de Cheryl Strayed, mis en scène avec finesse et justesse par Louise Brzezowska-Dudek, invite à se réinventer au cœur de la nature pour dépasser le chagrin.

Garance Bonotto, Phallus Stories
Des conférences théâtrales

Mettre en scène un développement théorique pour questionner artistiquement nos visions du réel, c’est un pari dans lequel s’inscrivent les spectacles La Vérité. Conférence articulée et Phallus Stories. Le premier met en scène une conférencière venue décrypter les mécaniques lobbyistes et questionner la place du rêve, de la croyance, de la réalité dans le monde. Un spectacle qui souhaite répondre sans détour à des questions primordiales comme « Comment et pourquoi on peut croire à n’importe quoi », ou encore « La mort est-elle une invention capitaliste ? ».

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Phallus Stories, qui venait juste après dans la programmation, interroge avec justesse le symbole du ​pénis, sa place dans l’expérience sexuelle, dans l’imaginaire collectif, sa place dans la société. Seule au plateau, Garance Bonotto navigue entre les témoignages recueillis auprès d’hommes, entre chansons et danses, pour cisailler le tabou bien préservé qui entoure le phallus. Elle enfonce les portes fermées par cette mystification pour ouvrir un dialogue, et délivre, avec cette mise en scène cabaresque, un discours politique, intelligent et hilarant. 

Deux spectacles qui offrent au public une démonstration politique sous forme de conférences détournées de manière comique, via l’utilisation d’un powerpoint déguisé dans Phallus Stories

Rêves et réalités

Au milieu de tout ça revient toujours l’idée du rêve. Soit parce qu’il s’agit de le poursuivre (Fracassés ou Grosse Niaque), soit parce qu’il surgit à travers le personnage (Croire aux fauves, Sauvage) soit parce qu’il s’agit d’en défaire les rouages (La Vérité. Conférence articulée, Phallus Stories). Changer notre regard sur le monde par le biais du rêve ; ou démanteler les fantasmes que l’on projette par l’analyse du monde. 

Avec Les Contagieuses, le théâtre de la Reine Blanche a réussi à proposer une cohésion artistique entre ces projets qui se répondent étonnamment pour des créations conçues de façon indépendante. La poésie du langage, les voyages sans frontières, l’onirisme dans le réel, le concret du fantasme : ces six spectacles réévaluent notre monde avec puissance, sensibilité et humour. Les choix de programmation sont fins, pertinents, drôles et efficaces, et à l’issue, il ne reste que l’envie de voir naître une prochaine édition.

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