En décembre dernier, Laure Brisa dévoilait sur la compilation de bORDEL records « La Servante » et nous avait immédiatement conquis.es. Elle poursuit sa lancée avec la création de son projet Des Comètes, ayant comme objectif ambitieux de sortir un morceau par pleine lune et un EP par saison.
Laure Brisa, harpiste et musicienne dévoilait en 2015 son premier album Leaving Room, dans lequel expérimentation musicale et récits poétiques s’entremêlaient. Depuis, elle a enchaîné les collaborations scéniques, notamment avec Yoann Bourgeois, pour sa création Minuit, Canblaster, pour un concert lors des Nuits Secrètes ou encore récemment Maud Geffray, pour son projet Still Life, A tribute to Philip Glass. Des artistes aux univers variés qu’elle accompagne à la harpe, ce qui lui a permis de nourrir sa propre musique jusqu’à aujourd’hui.
En plein confinement, Laure Brisa dévoilait son premier titre « Wandering Stars », activant le début de son projet, Des Comètes, regroupant une constellation de morceaux. Elle nous a accueillis chez elle à Montreuil, où elle a aménagé son propre studio, pour nous en dire un peu plus sur ce beau projet.
Manifesto XXI : Comment as-tu commencé la harpe et pourquoi avoir choisit cet instrument un peu atypique ?
Laure Brisa : Ça remonte à quand j’étais petite. Je chantais tout le temps et donc ma mère pensait à me faire faire de la musique. Il y avait à l’époque à Grenoble une première « CHAM » (classes à horaire aménagé en musique), qui s’expérimentait à l’école Berlioz qui était en lien avec le Conservatoire, mais pour rentrer il fallait choisir un instrument. Mes parents m’avaient donc un jour emmené voir un concert et apparemment je serais sortie en disant que je voulais faire de la harpe, mais j’avais 5 ans. Et c’est marrant parce que je ne me souviens pas d’être tombée amoureuse de cet instrument à cet âge-là…
Et j’ai vu que tu avais fait du théâtre avant de te lancer dans la musique
Oui, j’ai arrêté la harpe quand j’avais 15 ans, car le Conservatoire m’intéressait moins et j’écoutais les Doors donc le répertoire de la harpe ne m’emballait plus vraiment. J’ai découvert le théâtre à ce moment-là et plus précisément Pina Bausch qui a été un déclencheur. À l’époque, je n’avais pas fait le lien que la harpe et ce que je trouvais beau chez Pina Bausch pouvait dialoguer. J’ai donc fait une école en Belgique et j’ai travaillé avec une metteur en scène pendant longtemps, ainsi que sur d’autres projets et après j’ai arrêté le théâtre…
…Pour te lancer dans la musique ? Quel a été le déclic ?
Oui, je me suis remise à la harpe finalement vers 27-28 ans. J’ai repris des cours et il y a eu un gros changement de vie. J’ai quitté ma vie à Grenoble et j’ai décidé de monter sur Paris avec comme unique bagage ma harpe. Il fallait tout recommencer. Mais le déclic, ça a été lorsqu’on m’a proposé d’accompagner un projet de Bartabas – qui tient le théâtre équestre, Zingaro – pour un spectacle à l’île d’Aix. C’est ce qui m’a « remis le pied à l’étrier » (rire) et c’est là que je me suis dit que j’allais pousser là-dedans. J’ai commencé à fréquenter des musiciens qui m’ont aidé, car je voulais essayer les pédales d’effets et tester pleins de choses. Puis j’allais aussi dans des bars qui demandaient si je pouvais jouer chez eux.
Au début, c’était vraiment des plans catastrophiques. Mais de fil en aiguille j’ai monté mon propre projet. Ça a été un chemin un peu caillouteux, mais en même temps je tiens mon truc aujourd’hui.
Aujourd’hui encore il y a un cliché qui tourne autour de la harpe, du fait que c’est un instrument très doux et surtout très féminin. Est-ce que le fait de rajouter des effets ainsi que d’utiliser tes machines te permet de bousculer ces codes-là ou au contraire de les accentuer encore plus ?
Travailler à partir de la richesse sonore de cet instrument, le pousser dans ses retranchements ou dans des directions non conventionnelles m’intéresse surtout parce qu’il répond parfaitement à ça. La harpe a un grand panel de sons possibles. J’y ai ajouté des effets comme un guitariste électrique.
Je ne cherche pas à bousculer les codes ou à les suivre, j’essaye avec mes moyens, mes envies, de créer de la musique, peut-être comme on peint un tableau, par couches successives. J’aime l’idée d’une mise en situation du son.
Il n’y a pas que la harpe, il y a la voix, des claviers, une grosse caisse, un ordinateur, une loop… C’est une sorte d’atelier qui permet la naissance d’un univers.
Ma musique reste tout de même très mélodique, peut-être expérimentale dans le processus, mais pas vraiment dans le résultat.
Qu’est-ce qui t’a donné cette idée d’aller chercher plus loin que le simple son de ton instrument ?
J’ai fait la rencontre d’une harpiste de musique contemporaine et d’improvisation à Grenoble, Hélène Breschand. Très grande dame de la harpe ! Elle m’a beaucoup ouvert, loin de l’esprit harpe classique. Ça a été une grande inspiration, même si on ne fait pas la même musique, mais c’est quelqu’un avec qui j’ai gardé contact. Il y a des gens comme ça qui m’ont ouvert et donné la possibilité de chercher un peu, en travaillant le son de l’instrument et en essayant de mettre des effets, puis de passer ensuite aux machines.
J’ai découvert la pédale de boucles, qui m’a permis de construire à vue. Ça a été un cheminement.
Puis il y a eu une rencontre très importante qui est celle de Yoann Bourgeois, qui est un artiste du cirque. On s’est rencontré en 2011 et c’était un peu évident. Il m’a convoqué sur un spectacle, Minuit, qui tourne encore. Mais avec Yoann ça a vraiment été une rencontre artistique et amicale. Aujourd’hui on travaille moins ensemble, mais on est toujours très liés, puis moi je m’occupe vraiment de mon projet. J’adore collaborer avec d’autres gens, j’adore collaborer avec Maud…
…Oui j’ai vu que tu avais travaillé avec vraiment beaucoup d’artistes. Est-ce que ça nourrit par la suite ta musique ?
Oui ça c’est sûr ! C’est hyper inspirant. Ces derniers temps je travaille avec des personnes qui appartiennent plus à la musique électronique. Il y a déjà Maud, où il y a un projet concret où on est sur scène, puis d’autres, comme Canblaster, avec qui j’ai fait un projet pour un festival, où l’on a joué tous les deux en duo. On a aussi collaboré pour faire le morceau « The Letter ». Il y a également Nicolas Petitfrère, qui est aussi un producteur et qui a travaillé avec pas mal d’artistes, comme Charli XCX ou Christine and the Queens par exemple. Ce n’est pas du tout mon registre, mais on s’est bien trouvé et j’adore travaillé avec lui. Là il a produit deux de mes morceaux et il va en produire deux autres, voire trois ! Je gratte un peu (rire)… C’est une super collaboration, mais qui est vraiment sur la durée, car il est beaucoup pris de son côté.
Est-ce que tu peux expliquer ton projet Des comètes ?
Aujourd’hui j’ai 22 morceaux à sortir. Tout à pris du temps. J’ai bossé avec Romuald Lauverjon où l’on avait fait quelques morceaux au début, il y a maintenant trois ans. Mais ce n’est jamais sorti. Derrière, il y a les collaborations avec Canblaster et Nicolas Petitfrère et puis moi entre-temps j’ai appris à m’enregistrer seule. Je me disais que ces 22 morceaux n’étaient pas un album, vu qu’il y a plein de couleurs différentes, mais globalement c’est le même projet avec à peu près les mêmes sujets, mais tout ne coïncidait pas. Du coup, le choix était de sortir 3 EP : le premier qui sort, je l’ai réalisé seule, avec un morceau co-produit par Canblaster, le deuxième sera avec Romuald et le troisième avec Nicolas. L’idée c’est donc de dévoiler un morceau à chaque pleine lune, et un EP chaque saison. Donc j’étale !
Je ne sais pas si c’est bien, mais c’est un sacré exercice pour moi parce que je suis très impatiente… Et tellement impatiente que rien n’est sorti jusqu’à aujourd’hui !
Sortir les morceaux à chaque pleine lune c’est plutôt original. D’où t’es venue cette idée ?
Déjà le projet global s’appelle donc Des comètes où le sujet de base c’est: « Vers un autre endroit de l’être ». C’est-à-dire que ce sont des gens, principalement des femmes, qui sont soit en train de rêver, soit morts, soit fous, soit ailleurs… Ils sont juste dans un autre endroit. J’ai mis en balance le fait que lorsque quelqu’un meurt on regarde le ciel et dans ce rapport au ciel – ce sont des connexions très intimes, que je ne peux pas vraiment expliquer, car ce n’est pas très logique – j’ai fait le lien avec les phénomènes célestes et la météorologie d’Aristote en grec ancien. Ça me parle, c’est une autre langue. J’ai eu un petit passage par la Grèce qui m’a beaucoup inspiré. J’ai fait ce rapport avec le ciel et les phénomènes célestes.
Ensuite je me suis demandé comment j’allais sortir ce projet, car il n’y a pas de label, il n’y a pas non plus d’argent. Pendant longtemps j’ai attendu et finalement c’est mon frère qui m’a poussé à le faire et c’est lui qui m’a dit que je devrais sortir un morceau par mois. Après c’est venu tout seul, je me suis dit que chaque mois il y avait une pleine lune, donc j’ai fait ces « rendez-vous ».
Mais il n’y a pas de sens particulier. C’est juste poétique.
Par rapport à ton album précédent Leaving room, c’est quand même très différent, surtout au niveau de l’importance des voix. Qu’est-ce qui a changé ?
Je me suis lâchée (rire) ! La voix, avant elle n’osait pas sortir alors qu’aujourd’hui je me suis vraiment lâchée. J’adore faire des choeurs. J’aime beaucoup Carlo Gesualdo, un compositeur italien qui a vraiment travaillé sur les choeurs et la dissonance. Son désir c’était vraiment d’imiter les sons de la nature et dans la nature il y a des dissonances. Ça m’a donné envie de mettre des choeurs dans ma musique.
J’ai envie qu’on danse et j’ai envie que ce soit presque comme « danser sur le rite du deuil ». Je voulais que ce soit beau et joyeux.
Après dans cet EP, c’est très aérien, plein de réverbes, j’assume complètement et j’en mets trop sûrement… Mais oui les deux projets sont très différents, c’est aussi parce que j’évolue ?
Après il y a quelque chose dans Leaving Room, que je ne veux pas perdre, c’est le fait de construire à vue. C’est plus par rapport à la scène, c’est lié à l’atelier. Je construis mes morceaux par couches successives. Le fait d’avoir fait beaucoup de théâtre, de venir de la scène, ça pour moi c’est très important. Il y a plein de matériels que je prends en charge. Ce n’est pas juste une harpe, une voix et de la réverbe. Il y a une grosse caisse, un clavier, maintenant il y a un ordinateur, il y a plein d’objets. Peut-être qu’un jour j’enlèverai tout ? Mais aujourd’hui j’en suis là. C’est plus vraiment dans le rapport à la scène. Leaving Room a été les prémisses de tout ça. J’ai commencé à ce moment-là à construire mes morceaux et c’est comme ça que j’ai commencé aussi à travailler avec Yoann. C’est ce qui lui a plu, le fait d’être dans quelque chose de constructiviste et en même temps, son travail c’est la recherche du point de suspension – il l’a trouvé, je crois…? – Il crée des dispositifs pour atteindre ce point-là. Et moi par couches j’essaye d’atteindre une suspension. Je pense que là-dessus on s’est rejoint et ça fait partie des débuts et je veux que ça dure.
Tu as d’autres projets en cours ?
Pour le moment il y a le coronavirus qui fait qu’on a plus de travail (rire) !
Il me semble que tu devais faire une résidence aussi à la maison populaire de Montreuil.
Oui ça va être reporté en septembre. Vu que tout va être décalé d’un an, l’idée c’est vraiment d’être en création cette année et de préparer la suite pour avoir un live assez fort.
Mon rêve c’est de créer dans des théâtres et lieux atypiques, car je ne suis pas très fan des salles de musique actuelles.
Après je ne veux pas fermer de portes non plus… Mais j’ai envie d’avoir une écriture globale et de construire un vrai projet qui ait du sens. Après il y a la réalité… C’est-à-dire que les salles t’accueillent rarement plus d’une soirée et tu n’as que quelques heures pour t’installer, alors qu’une salle de théâtre t’accueille la veille voire l’avant-veille et tu peux jouer deux ou trois fois. Et encore je te dis cela, mais à l’époque où je travaillais dans le théâtre, c’était 8 mois de créations et 100 dates dans le lieu. On prenait le temps. Ce sont des questions aujourd’hui où l’on se demande si on a encore le droit de se les poser. Parce que ce qu’on avait avant n’est plus et on est tellement nombreux ! Il faut que chacun puisse s’exprimer. C’est compliqué ces questions. À moins d’avoir son propre lieu et de dire que c’est ici chez moi et que je vous accueille. C’est un monde compliqué et particulièrement pour les programmateurs… Et surtout en ce moment les personnes qui gèrent des salles doivent être saturés.
Dernière question, mais je me demandais si ce n’était pas compliqué de transporter ton instrument ?
Si c’est la galère ! J’ai cette harpe et deux grosses valises et je dois prendre un taxi. C’est un peu galère, car systématiquement quelqu’un doit m’accompagner jusqu’au quai de la gare et ensuite quelqu’un doit venir me récupérer, car bien évidemment je n’ai pas le permis de conduire. Mais c’est un peu un déménagement à chaque fois. Parfois je prends une amende, mais pas souvent, la plupart du temps on m’aide beaucoup. Mais ça arrive… C’est clairement une galère, mais c’est une galère que j’aime bien, puis je rencontre plein de gens. Tout le monde me dit la même chose « vous auriez dû choisir la flûte ! », mais je rigole toujours.
Le premier EP Sky Pieces de Laure Brisa est déjà disponible sur toutes les plateformes de streaming. Prochain rendez-vous le 5 juillet pour découvrir le nouveau titre « Barley Sugar » issu de son deuxième EP Oxidised Hearts.