L’art virtuel est un domaine encore inexploité et/ou trop peu connu de l’art contemporain. Si les festivals dédiés aux arts numériques se multiplient, les grandes institutions culturelles sont aux abonnés absents. Le phénomène de dématérialisation des arts plastiques n’est pourtant pas nouveau. Depuis les années 1960, et notamment avec l’avènement de l’art conceptuel ou encore des performances, les pratiques artistiques sont plus orientées vers la recherche d’expériences émotionnelles. Avec internet, ces formes d’art tournées vers les nouvelles technologies ont pris un nouvel essor. De plus en plus d’artistes se tournent vers les possibilités qu’offre le digital. Le phénomène qui m’intéresse ici est celui du gif. Ces très courtes animations qui ont fleuri notamment sur des plateformes comme Tumblr ne sont pas seulement l’apanage des geek et de la pop culture. Des artistes – issus du monde de la photographie, de la vidéo, du design ou du graphisme – ont su s’emparer de ce mode d’expression.

C’est le cas de Romain Laurent. Découvert au gré de mes errances sur la toile, j’ai été fascinée par le côté décalé de ses créations. Ce photographe et directeur artistique français installé à New York réalise de courts portraits animés de ses amis, des gens qui l’entourent. Cette série, intitulée One Loop Portrait a Week, est bien loin des lolcats qui font le bonheur des internautes (et le mien, je dois bien l’avouer). Il y a quelque chose dans son travail qui se rapproche du surréalisme. Les portraits qu’il construit dépassent l’image figée d’un portrait traditionnel et par l’animation – certes très courte – nous donnent à voir quelque chose de la personnalité de ses sujets. L’effet de répétition inhérente au gif ajoute un côté ironique et caustique à ses créations.

Dans un autre style, j’ai été marquée par l’artiste britannique Insa, dont les oeuvres qu’il appelle « Gif-iti » se situent à la croisée du graffiti et du gif. Mais si, vous savez c’est ce type qui a fait parlé de lui récemment en réalisant le plus grand gif du monde ! Pendant près de 4 jours, il a peint avec ses assistants sur 15,000m2 une oeuvre photographiée ensuite pas des satellites à près de 700 km de la Terre. Les chiffres sont impressionnants. Au-delà de ça, ce que je trouve particulièrement intéressant c’est la façon dont il parvient à conjuguer l’art urbain, pleinement ancré dans le réel, dans la rue, et l’art virtuel, celui qui circule sur la toile, et qu’on n’accroche pas dans son salon. Deux pratiques qui se rejoignent par leur côté démocratique, accessible par tous … Si les graffitis sont l’art du peuple qui s’exprime dans la rue, le gif reprend la même idée mais sur Internet.
Il est également parti du constat qu’aujourd’hui le public voit plus d’oeuvres d’art sur Internet que dans la vraie vie … Sur les réseaux sociaux ou sur des blogs, ou même sur Manifesto XXI, c’est bien sur le web que nous absorbons notre dose quotidienne de culture. Si rien ne peut remplacer, à mon sens, l’expérience réelle de la découverte d’une oeuvre, la démarche exclusivement virtuelle d’Insa est tout à fait intéressante. Il prend le contrepied de la situation, prend acte de nos habitudes de consommation culturelle et crée des œuvres entièrement destinées à être vues sur les écrans. Le support est virtuel certes, mais l’art est bien réel.
Anne-Sophie Furic