Comme on vous l’annonçait dans un précédent article, La Souterraine dévoile aujourd’hui La Souterraine C’est Extra, un album consacré à Léo Ferré et interprété par des artistes de la scène contemporaine. Un projet qui prend corps également en live, avec la création d’un spectacle incarné par un groupe formé pour l’occasion, composé d’une partie des musiciens présents sur le disque.
À cette occasion, nous avons rencontré Mathieu Ferré, fils de Léo et co-éditeur du disque sous La Mémoire et La Mer, ainsi que deux artistes ayant participé à l’aventure et dont nous apprécions par ailleurs les univers personnels respectifs : Sarah Maison et P.r2b.
/// En concert le 28.04 au Centre Pompidou et le 20.06 au Petit Bain ///
Qui est à l’origine du projet ?
Mathieu Ferré : C’est à la fois La Souterraine, La Mémoire et la Mer, mon label d’édition de disques, ainsi que Méridian en co-édition.
Comment s’est fait le lien avec La Souterraine ?
Mathieu Ferré : Personnellement je ne connaissais pas La Souterraine, on m’a expliqué un peu ce que c’était, ce que ça représentait, et ça m’a plu comme projet, comme initiative.
P.r2b : Des échos que j’avais eu, ça faisait un moment que Fabien de Méridian connaissait La Souterraine, et comme il cherchait à travailler à la fois en français et sur le répertoire, l’idée de s’associer avec eux sur un projet semblait pertinente.
Sarah Maison : Il y avait aussi eu un disque de reprises de Mathieu Boogaerts commandé par Tôt ou Tard, et comme c’était la première fois qu’il se passait quelque chose comme ça avec les artistes de La Souterraine, je pense qu’ils se sont dit pourquoi pas le refaire avec d’autres répertoires.
Nous n’avons pas de représentant de La Souterraine à cette table, mais l’un de vous pourrait-il résumer un peu comment cette entité fonctionne ?
Sarah Maison : À la base c’est vraiment un collectif, ils font une sorte de cartographie de la chanson française underground, et des compiles, à la manière de diggers, sans engagements particuliers avec les artistes. Petit à petit ils se sont mis à organiser des Fêtes Souterraines où ils réunissent les artistes qu’ils ont déniché. C’est à géométrie variable. Les deux cerveaux qui centralisent c’est Benjamin Caschera et Laurent Bajon, et après c’est beaucoup de bouche-à-oreille.
Dans vos cas particuliers Sarah et Pauline, comment avez-vous été amenées à croiser le chemin de La Souterraine ?
Sarah Maison : Pour ma part j’allais beaucoup aux Fêtes Souterraines en arrivant à Paris il y a quelques années, et Benjamin un jour est venu me voir en me disant : ‘c’est bien toi Sarah Maison ? On voudrait passer un de tes morceaux sur Radio Campus’. J’ai accepté, on est restés en contact, et ils m’ont régulièrement demandé des nouvelles de mon projet, parce qu’ils sont pas mal dans l’accompagnement. Par la suite ils m’ont dit qu’ils aimeraient intégrer une de mes chansons à la prochaine compilation de La Souterraine.
P.r2b : En sortant de La Fémis j’avais fait avec une amie le clip de mon morceau ‘Océan Forever’ que j’avais mis sur Facebook et Youtube, et je venais de rencontrer Hyacinthe peu de temps avant, qui a écouté ce morceau, a aimé, l’a fait écouter à son manager Damien, qui a aimé et l’a fait écouté à Benjamin de La Souterraine, qui m’a ensuite contacté pour me proposer de mettre ce morceau sur une compilation.
Et par rapport à ce projet précis autour de Léo Ferré, comment y avez-vous été associées ?
Sarah Maison : De base je suis une grande fan de Léo Ferré, et je poste souvent des morceaux sur internet, dont des morceaux de lui, du coup La Souterraine m’ont demandé si j’aimais bien cet artiste, et si ça me dirait d’en faire une reprise. Je ne me voyais pas forcément réarranger etc, mais ils m’ont dit qu’un groupe était en train de se former pour le disque, donc comme c’était surtout un travail d’interprétation j’ai dit ok.
J’ai proposé plein de morceaux, mais comme ils voulaient éviter de faire un best-of de ses plus grands succès, ils ont proposé des titres moins connus, dont ‘La Nuit’ pour ma part, que je ne connaissais pas mais sur lequel j’ai accroché, et que j’ai donc été enregistrer aux Studios Labomatic. Quelques mois plus tard ils m’ont parlé du projet de live et ils m’ont demandé si ça m’intéresserait. La première à Marseille s’est très bien passée, puis là il y a plein d’autres dates qui s’ajoutent… donc pour ma part ça s’est enchaîné petit à petit.
P.r2b : Pour moi c’est pas du tout pareil, j’ai rencontré Benjamin fin octobre, donc tout était déjà enregistré en studio pour l’album, et je devais arriver sur le projet Léo Ferré pour le spectacle comme clarinettiste. Or il s’est trouvé que l’un des artistes qui devait enregistrer sur la compilation n’a pas pu le faire, donc Benjamin m’a proposé de reprendre un morceau. J’ai proposé ‘Tu ne dis jamais rien’, mais comme c’est arrivé tard je l’ai produite moi-même, comme n’importe lequel de mes titres personnels.
Donc tous les morceaux ont été enregistrés aux Studios Labomatic sauf le tiens ?
Mathieu Ferré : En fait sept ont été enregistrés au Labomatic, et les autres ont été enregistrés dans les homestudios des artistes.
Sarah Maison : Mais tout a été mixé et masterisé ensuite pour uniformiser.
Du coup La Souterraine ont contacté des artistes qu’ils avaient en tête pour leur proposer le projet voir si ça leur parlait, s’ils avaient un rapport particulier à Léo Ferré…
Sarah Maison : Oui ce sont les directeurs artistiques en fait. En plus comme ils connaissent bien les artistes qui les entourent, ils ont tapé assez juste, parce que le disque est vraiment réussi à mon sens. C’est un peu leur savoir-faire, ils connaissent tous nos morceaux, même ceux qui ne sont pas sortis… Ils savaient qui mobiliser.
Toutes les deux, quel était votre rapport à Léo Ferré avant ce projet, et qu’est-ce que vous tirez comme bénéfice et expérience d’avoir participé à cette initiative ?
Sarah Maison : Personnellement j’ai beaucoup écouté L’Espoir, un disque qui m’a vraiment bouleversée. Mon rapport à Ferré était très lié à cet album dont je suis complètement fan et que je connais par coeur, mais ce projet m’a fait écouter des morceaux plus anciens, la période plus chantée, plus parisienne, cabaret.
Sinon c’est une véritable expérience de jouer avec un groupe de très bon niveau, en étant juste dans l’interprétation. On essaie en tant que chanteurs d’en faire une relecture, en plus de la relecture instrumentale.
Mathieu Ferré : Ce qui est important je crois c’est que des tributes il y en a déjà eu plein par le passé, c’est quelque chose qui reste un produit de l’industrie du disque, tandis que là il y a aussi une véritable volonté de prolonger le projet sur scène. Ça va permettre à une nouvelle audience qui ne connait pas bien Léo de peut-être se dire ah ça m’intéresse, ça me plait, ça me touche, et leur donner envie de creuser ce répertoire. Parce que Léo malheureusement n’est plus là pour faire des concerts, et le spectacle vivant est quand même le coeur de l’affaire, de la transmission de ce qu’un artiste peut avoir envie de communiquer avec son public.
Certaines chansons me paraissent encore tout à fait actuelles, et peuvent résonner avec le public alternatif d’aujourd’hui.
P.r2b : Mon rapport à Ferré est très lié à la famille, ce sont des chansons que j’écoutais enfant, et ce que je trouve génial c’est qu’il y a un véritable rapport au temps dedans, on n’y découvre pas les mêmes choses à chaque âge où on les écoute. Petite j’ai d’abord été sensible à sa voix, aux mélodies, à l’orchestration, et ensuite quand on commence à grandir on découvre toute la complexité textuelle. Puis il y a un véritable travail – qui est aussi celui de La Souterraine – de la langue, du texte, et pour un artiste qui écrit en français et travaille ses propres chansons, d’éprouver cette poésie-là, de l’interpréter, c’est très fort.
Comment vous avez travaillé vos réinterprétations pour le live?
Sarah Maison : J’ai écouté les originaux et j’ai beaucoup travaillé dessus, c’est pour ça que quand j’ai débarqué à la résidence, j’étais un peu perturbée par les réarrangements instrumentaux qui avaient été faits. Puis peu à peu je me les suis approprié naturellement avec mon style je pense. Mais je suis restée très fidèle aux différentes lignes.
P.r2b : ‘Tu ne dis jamais rien’ est la plus fidèle sur la ligne mélodique, ensuite ‘L’Opéra du pauvre’ ou ‘Vitrines’ c’est des chansons sur lesquelles je suis arrivée pour le live avec des orchestrations déjà posées, et c’est plus scandé ou rappé, donc j’ai du travailler vraiment sur le texte, m’interroger sur comment refaire sonner ces mots-là, m’adapter à différentes énergies.
Après ce que je trouve intéressant dans le fait d’enchainer plusieurs dates, c’est que le lien qu’on a avec les morceaux évoluent, on comprend de nouvelles choses au fur et à mesure des représentations. Par exemple ‘Vitrines’ c’était dur , l’orchestration c’était pas tout à fait moi, le texte est complexe… du coup j’essayais, j’essayais, ensuite on m’a raconté des choses sur ce morceau, et le soir en allant me coucher j’ai eu un déclic. Il y a vraiment un cheminement.
Mathieu Ferré : Moi j’ai cinquante ans presque, ça fait très longtemps que j’écoute Léo, et ce qui est important c’est qu’au fil mon parcours la perception de ses textes n’a cessé d’évoluer. C’est ça qui est fort dans sa poésie, c’est que ce n’est pas quelque chose de figé, mais d’ouvert. C’est une écriture assez complexe, et j’ai encore des interrogations aujourd’hui. C’est normal de ne pas tout comprendre, et heureusement. Ça me fait penser que Léo disait : ‘Edith Piaf est une merveilleuse interprète, elle peut tout chanter, même l’annuaire !’
Comment est venue l’idée de monter un spectacle autour de ce disque ?
Matthieu Ferré : C’est arrivé un peu après. C’était impossible d’envisager une tournée avec tous les intervenants du disque, du coup une équipe réduite a été montée.
Sarah Maison : Pour ma part c’est arrivé quelques semaines après la proposition d’enregistrer. L’idée est venue assez tôt mais ça s’est mis en place petit à petit.
En termes d’organisation c’est quand même un sacré défi, non ?
Sarah Maison : Je pense que ça se veut aussi à géométrie variable, et que si jamais certains musiciens ne peuvent pas se libérer sur une date, d’autres artistes de La Souterraine les remplaceront. En tout cas c’est un beau pari réussi parce qu’humainement tout le monde s’entend bien, et musicalement ça groove vraiment. Ils sont forts pour ça La Souterraine, agencer, réunir les gens.