C’est sans doute la série de l’année : Sex Education lève (enfin) les tabous autour de la sexualité de façon simple et drôle. Production américano-britannique, la série explore l’univers du plaisir sous toutes ses formes, abordant différentes thématiques, allant de la masturbation (masculine et féminine) au slut-shaming en passant par les relations homosexuelles.
« Elle n’a jamais eu de relations lesbiennes », « Elle croit que si elle se chatouille le minou, ça fera tomber son clito »… « Les élèves de ce lycée ont besoin de toi, Otis », dit Maeve dans la bande-annonce de cette série Netflix qui a connu en quelques semaines un succès fulgurant. Des répliques déjà cultes et marquantes qui témoignent d’un véritable besoin d’apprentissage et d’accompagnement inclusif pour la sexualité des jeunes.
La série évoque l’inégalité des filles et des garçons dans leur rapport au corps et au plaisir, notamment le risque de mauvaise réputation au sein de l’environnement scolaire à laquelle peuvent être confrontées les jeunes filles lorsqu’elles ont des relations sexuelles… Les épisodes explorent des thèmes concernant la jeunesse, les questions d’intimité, dans une optique féministe, là où il a trop souvent été question de faire honte aux femmes concernant leur sexualité, dont la masturbation fait aussi partie. Son succès en France s’explique en partie par le vide en matière d’éducation sexuelle, des personnages forts auxquels s’identifier, et la nécessité d’actualiser les notions abordées dans une initiation à la sexualité après #MeToo.
Sex Education : les questions des ados enfin bien représentées
La force de la série est d’abord de s’appuyer sur des personnages forts, et concernés, ce qui permet à la fiction de proposer une pédagogie pertinente. Maeve, un des personnages principaux, est jeune femme de 17 ans qui n’a pas une vie de famille facile et qui aime les auteurs féminins. Maeve a dû grandir plus vite que les autres adolescentes de son âge, et surtout toute seule. Elle vit dans une caravane et sa mère est toxicomane. La jeune femme devient très indépendante rapidement, mature et livrée à elle-même. Avec un tempérament rebelle et un look débordant, Maeve est à la fois grande gueule et suscite une véritable fascination au lycée. Pour l’actrice Emma Mackey, son personnage est « absolument féministe », et c’est pour elle, le personnage « le plus féministe jamais vu depuis longtemps », insiste-t-elle dans une interview donnée à France Inter fin janvier. Et lorsque l’on regarde dans le casier de Maeve, on peut voir des stickers féministes partout !
L’autre personnage central est Otis : un jeune lycéen, encore vierge, dont la mère est sexologue ; et qui va lui-même s’improviser sexologue, avec une certaine maîtrise et un certain professionnalisme, donnant ainsi des conseils en matière de sexe aux élèves du lycée, avec Maeve, notamment à travers des consultations sur rendez-vous et parfois tarifées. Interrogée par Allociné, Marjorie Cambier, psychologue clinicienne sexothérapeute, analyse ainsi la série évènement : « C’est une série intéressante qui, à mon avis, peut répondre à de nombreuses questions que se posent souvent les adolescents. »
Le problème de la société concernant la sexualité est évidemment avant tout un problème de dialogue et d’information. « Il y a très peu de pédagogie autour de la sexualité proposée aux adolescents, que ce soit dans les collèges, les lycées ou dans d’autres lieux. Certaines associations proposent des interventions, mais ce n’est malheureusement pas systématique. Or, parallèlement à cette absence (ou présence insuffisante) de pédagogie, l’accessibilité à la pornographie très tôt fait que les adolescents développent des représentations erronées de la sexualité, sur ce qu’ils “doivent” faire lors d’un rapport sexuel, la “bonne manière” de le faire… », reprend Marjorie Cambier. Mais, comme celle-ci le souligne, « cela interroge quand même sur la nécessité de mettre en place un accompagnement plus adapté à ce que les adolescents pourraient attendre, avec des personnes de confiance en qui ils pourraient potentiellement s’identifier ».
La série est-elle vraiment parfaite ? « Au-delà de cela, ce que j’ai trouvé dommage est que cette série véhicule de nombreux clichés, notamment au niveau des stéréotypes des adolescents (l’outsider, l’intello, les filles populaires, le caïd…), des différentes pratiques sexuelles évoquées, mais également le côté très caricatural de la sexologue qui analyse tout, se mêle de la vie intime de son fils… », examine Marjorie Cambier. Mais ne serait-elle pas un premier pas (de géant) vers une ouverture aux questionnements autour de la sexualité des jeunes, tout en s’adressant directement à eux ? En parler est primordial, décomplexer est un devoir. Aujourd’hui, face à une jeunesse abonnée à Netflix et considérablement investie sur les réseaux sociaux, les séries télévisées exploitant la sexualité permettent-elles de favoriser l’éducation sexuelle à travers la pop-culture ? La série non seulement témoigne de la nécessité d’évoquer la sexualité dans le cadre pédagogique mais aussi au quotidien, et met également en avant certains problèmes de notre société, décomplexe beaucoup d’aspects de la sexualité ; et c’est également une série fun, remplie d’humour et de bonne humeur.
Déficit de dialogue en France
Aujourd’hui encore, en France, le sexe reste une thématique très peu abordée, ou du moins pas assez. Un récent article du magazine Slate raconte le travail de chercheurs qui montrent que plus on parle de sexualité à un·e jeune, plus il/elle aura une sexualité épanouie. Les discussions autour de la sexualité que ce soit avec les parents ou encore dans un cadre institutionnel et scolaire permettent alors d’éviter certaines idées reçues et ainsi lutter contre une éducation sexuelle « par défaut », uniquement basée sur internet. Bien que la pornographie ne soit pas à blâmer dans toutes ses formes, l’éducation sexuelle aurait besoin d’appréhender la sexualité de manière à initier à la protection et à l’égalité. Or, les cours d’éducation sexuelle en France sont soit inexistants, soit très brefs. Abordant des thèmes tels que la contraception ou encore les maladies sexuellement transmissibles ; les relations entre les individus, le plaisir mais aussi les spécificités de genre restent encore très abstraites.
En 2001 sortait Le guide du zizi sexuel, un ouvrage co-réalisé par Philippe Chappuis alias Zep, l’auteur de Titeuf, et Hélène Bruller, illustratrice et auteure de bande dessinée française, présenté alors comme un manuel scolaire. Celui-ci visait, sur un ton humoristique, à répondre aux questions des 9-13 ans sur la découverte des relations amoureuses et de la sexualité. En 2014, l’exposition Zizi sexuel à la Cité des Sciences a fait naître plusieurs oppositions jusqu’à une pétition lancée par SOS Education, scandalisée que des sorties scolaires y soient organisées. Mais pourquoi tant de réserves y compris de la part de l’Éducation elle-même ? Un manque de temps, de moyens et une réticence qui a des effets in fine : dans son rapport d’activité publié en 2017, le Conseil national du sida et des hépatites virales affirmait que si « le préservatif reste perçu comme une norme préventive par les jeunes, notamment lors des premiers rapports, son intérêt et son efficacité semblent de moins en moins compris ». La nouvelle génération est-elle la génération qui se protège le moins ? Beaucoup ont plus « peur de tomber enceinte que d’attraper une IST », selon un article LCI. Et selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, 36% des 15-30 ans considèrent être mal informés sur les infections sexuellement transmissibles (IST), hors VIH.
Pour une éducation au consentement et au plaisir féminin
L’éducation sexuelle a été introduite à l’école en 1973. À cette époque, il était question d’initier les élèves au sujet, d’encadrer le sujet de la contraception, encadrée par un article du Code de l’éducation daté du 4 juillet 2001 ; le texte parle d’« apprentissage du respect dû au corps humain », ce qui reste flou. La vie sexuelle au XXIe siècle devrait en fait s’apprendre sous deux angles : celui d’une liberté sexuelle où la femme ne ressent aucun tabou à l’utiliser, et d’une liberté sexuelle où la femme peut décider de ne pas l’utiliser pour des raisons qui lui sont propres, et surtout, sans avoir à se justifier.
Aujourd’hui, force est de constater qu’il est urgent que d’autres sujets entrent dans le programme éducatif : peut-on parler de consentement et de violence ? Les plaintes pour viol ont augmenté de près de 17% depuis #MeToo selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, et celles pour agressions sexuelles de 20%. En octobre 2018, une main courante avait été déposée dans le 8e arrondissement de Paris pour une « affaire de viol en réunion » dans la cour d’une classe de moyenne section de maternelle. Celle-ci n’est certainement pas un cas isolé. L’affaire s’est déroulée mi-septembre 2018 : une jeune fille de 4 ans a été déshabillée par un groupe de garçons et aurait subi une pénétration digitale. Dans ce cas, la question à se poser serait : mais où est le personnel d’éducation, où est l’encadrement ?
« Mon but, c’est que les femmes partent avant qu’il ne soit trop tard », avait dit Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes ; mais alors est-ce aux femmes de partir ou aux hommes d’être éduqués ? Pour Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, « une main aux fesses n’a jamais tué personne » ; et si nous commencions par apprendre aux enfants qu’une main aux fesses est déjà une agression sexuelle qui serait susceptible de faire du mal aux femmes ? En mars 2018, le documentaire Sexe sans consentement réalisé par Delphine Dhilly et Blandine Grosjean exposait pour la première fois au grand public français ce que l’on peut appeler la « zone grise » : un espace où il semble qu’il y ait malentendu. Où une femme et un homme finissent par avoir une relation sexuelle, parce que le « non », aussi timide soit-il, n’a pas été écouté. Car le viol n’est pas une question de sexe, mais bien de consentement.
Dans Sex Education, une jeune fille propose à son copain de lui faire une éjaculation faciale, mais celui-ci lui demande ce qu’elle veut vraiment – elle répond qu’elle ne sait ce qu’elle veut et que personne ne lui a jamais vraiment demandé. Pour Emma Mackey, cette scène met en avant le fait que « le plaisir féminin est énormément tabou ». Qu’elle fasse semblant pour faire plaisir à son partenaire montre qu’elle ne prend pas en compte son propre plaisir, et c’est encore le cas de nombreuses femmes. Une meilleure éducation sexuelle devrait permettre à une femme de se sentir libre : d’avoir le droit d’enchaîner les conquêtes, de parler de sexe de manière crue, d’aimer le sexe hard, de décider de ne pas rappeler un coup d’un soir pour ressortir le soir-même et coucher avec un autre, d’avoir le fantasme d’un plan à trois puis le réaliser, de mater un film porno, de se masturber dans sa douche et donc d’avoir la mainmise sur sa sexualité. Créé en 2018, le compte Instagram « T’as joui ? » de la journaliste Dora Moutot lutte contre les idées reçues sur la sexualité féminine, et son succès témoigne des non-dits jusque-là.
Alors, une telle série pourrait-elle un jour être écrite en France ?
Il est aussi question dans Sex Education de ce que l’on appelle dans le cadre scolaire « une réputation de pute ». Le plus souvent, seules les jeunes filles la subissent – comment lutter contre ce fléau ? Il s’agit de se battre contre l’idée que la liberté sexuelle diffère selon le genre, en premier lieu, au niveau institutionnel. Une série parlant de sexualité, employant des mots crus au sein d’un établissement scolaire, pourrait-elle être produite dans un pays où la sexualité reste encore un réel tabou ?
En 2015, la série Plus belle la vie, diffusée sur France 3, mettait en scène un plan à trois où tous étaient sous poppers, une drogue permettant de stimuler la libido – les réactions négatives n’ont pas mis beaucoup de temps avant de se propager. Une grande partie du public ne comprenait pas comment une telle scène pouvait être diffusée dans Plus belle la vie, et à une heure où les plus jeunes étaient susceptibles de tomber dessus. France 3 avait alors réagi : « Plus belle la vie a toujours abordé des sujets de société, sans tabou, ça fait partie d’une arche dramatique autour d’un personnage comme toujours dans la série, et il se trouve qu’il est destroy, qu’il a des addictions dont une au sexe. » Puis ajouté : « Ça choque mais dans cette série, il y a toujours des propositions dans les jours qui suivent pour sensibiliser le public aux dangers de ce qui est montré. On ne laisse jamais une telle situation en plan. » Le tabou autour de la sexualité ne serait alors pas seulement de l’ordre politique, mais ancré véritablement en France, pays où #MeToo n’a pas déclenché les mêmes manifestations qu’aux États-Unis mais nous a plutôt valu une fameuse tribune sur la « liberté d’importuner » des hommes.
Le féminisme pro-sexe (issu des milieux queer dans les années 80) existe bien en France et combat tant qu’il peut les tabous. À travers son film Liberté sexuelle sorti en 2012 et le livre Libres paru en 2017 co-réalisé avec l’illustratrice Diglee, Ovidie dit vouloir déculpabiliser les femmes vis-à-vis de leur corps afin qu’elles cessent d’avoir peur de leur désir, prenant également la défense de plusieurs actrices et acteurs de X. Or en février dernier, l’ex-actrice porno Nikita Bellucci, victime de cyber-harcèlement et d’insultes virulentes, évoquait, lors d’une interview, sa peur de faire des enfants. « J’ai tellement subi ce harcèlement, tellement d’insultes, tellement de haine que j’ai décidé de ne pas faire d’enfant. Parce que si demain je fais un enfant, dans dix ans qu’est-ce qui va se passer ? » Des questions que des acteurs pornos tels que Rocco Siffredi ne se posent pas, car les conséquences d’une carrière dans le X ne sont pas les mêmes pour un homme ou une femme. Et si le porno était le miroir de la société face à l’inégalité sexuelle à travers le genre et le patriarcat ? La France, pays qui non seulement ne possède pas de véritable d’encadrement concernant la sexualité des jeunes, exclue, discrimine et marginalise par ailleurs les travailleur·euse·s du sexe – en effet, le Conseil constitutionnel s’est dit conforme à la loi contre la prostitution qui pénalise les clients de prostitués. Une preuve que l’on sanctionne, cache, avant d’encadrer.
L’éducation sexuelle est un combat essentiel, qui par ailleurs nous concerne tou·te·s. En parler de façon ouverte et accompagner, c’est également se questionner sur les stéréotypes de genre qui amplifient les discriminations. C’est une manière de lutter pour que toutes les identités queer soient prises en compte au même titre que l’hétérosexualité.