KhadyaK est une artiste complète. Ses carrières de danseuse, de mannequin, de chorégraphe et d’auteure se superposent à celle de chanteuse et alimentent son univers sonore et esthétique. Sa musique est au carrefour du rap, de l’électro et du hip-hop. Nous l’avions rencontrée au Pop-Up du label à l’occasion des soirées Avant-Garde du Pitchfork. Elle était à l’affiche des Bars en Trans 2018. Autant dire que les signes qui invitent à la suivre sont là…
Beaucoup ne la connaissent pas seulement pour sa musique. KhadyaK s’est illustrée dans la danse, aux côtés d’ASAP Rocky, de Metronomy, de Yelle ou de Busy P. Elle a aussi travaillé avec Hermès, Chanel, Stella Mc Cartney, Koché, Jean-Paul Goude… La mode est son atout, ou comme elle le dit elle-même : son « arme secrète ». Difficile de la catégoriser, elle qui n’a pas envie de se limiter.
« Je décrivais ma musique comme de l’électro-ghetto-pop. J’ai arrêté de dire ça. J’ai une conception à 360° de la musique et de la culture. »
360, c’est peu dire. Elle rappe, peut aussi bien faire de l’électro que du hip-hop, ou du alternative R&B. D’où ce côté « musique ghetto ».
« ‘Musique ghetto’… En France les gens ne le comprennent pas, ou mal, et l’assimilent à leur représentation de la banlieue. Alors que je pense à la Chicago house, à la Gqom en Afrique du Sud, à la UK garage de Londres, ou à la Baile funk du Brésil… Aux musiques qui viennent de communautés, à de la Club music – les musiques qui font danser –. C’est ce que je fais: de la musique qui fait danser, avec des paroles tristes ou conscientes. »
‘CrippledXXX’ est une des premières chansons que j’ai écrite. C’est la personnification de mon accident. Je ne pouvais plus m’exprimer avec mon corps, alors j’ai trouvé un autre moyen.
« Quand je suis venue à Paris, j’ai tout de suite trouvé du travail dans la danse. Je n’avais pas en tête de faire autre chose que de la danse. Et j’ai eu un accident, je ne pouvais plus bouger. Je n’aime pas rester à rien faire, j’ai surtout besoin de m’exprimer et de créer. J’ai toujours aimé chanter, déjà petite j’écrivais des chansons. Je me suis dit : j’ai le temps, je vais faire de la musique. »
Complètement remise, KhadyaK danse pour le clip. Elle utilise le bone flexing, un mélange de contorsions et de hip-hop, incarnant la transcendance de souffrance déclenchée par l’immobilisation que son corps a subie. Selon elle, c’est véritablement l’accident qui lui a révélé qu’elle n’était pas seulement une danseuse.
« ‘CrippledXXX’ montre ma lutte pour rester une artiste. Toute ma vie on m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Je suis artiste. Ça ne pouvait pas s’arrêter. Cette chanson, c’était ma façon de lutter pour quelque chose qui m’était particulièrement précieux. »
« J’ai deux EPs de prêts. Mais il faut savoir sortir les choses au bon moment. Ce n’est pas encore le moment. »
Outre celle-ci, d’autres chansons sont déjà disponibles, dont « Fake An Attitude ».
« J’aimais l’expression ‘fake it til you make it’, je l’ai reprise à ma façon. Je dansais beaucoup avec la communauté gay. D’une certaine manière, c’est une dédicace pour elle. Les débuts du voguing…ça m’a beaucoup inspirée. C’est une chanson de ballroom house en français si on veut. »
Un peu plus pop, « Tomboy », qui date de la période où KhadyaK découvre la new wave : New Order, Gary Numan, The Cure…
« Ma musique ne ressemble plus à ma chanson ‘Tomboy’. Maintenant, mon travail est plus militant, plus agressif, et plus disruptif. »
Elle nous avoue être motivée à faire de la musique parce que, selon elle, trop peu de femmes en font. Trop peu de femmes noires. Mais aussi pour élever une voix. Trop peu d’artistes – français – ont des propos qui la touchent.
Je trouve dommage que la scène française actuelle soit si cloisonnée. Les propos sont markettés et communautaires.
KhadyaK est partie chanter à Stockholm, à Rome, à Shangaï, à Séoul, à Tokyo… Elle parle anglais, espagnol, italien, et apprend le coréen. Elle aimerait écrire une chanson en coréen.
J’ai aimé l’Asie et son ouverture. En France, on te dit non. On ne laisse pas de place pour tout le monde.
Ma performance est celle d’une femme invisible dans notre société encore trop classifiée. J’aimerais pouvoir parler du beau temps et chanter ‘I’m rich rich rich’, mais il y a des choses plus importantes à dire.
« Par exemple, j’adore M.I.A. C’est une femme qui défend les causes dont les gens ne se soucient pas assez, comme celle des migrants. »
D’ailleurs, il y a quoi dans les playlists de KhadyaK ?
« Grace Jones c’est ma Beyoncé. Après, mon grand frère était un grand fan de Michael Jackson, il écoutait aussi du gangsta rap. J’étais la seule à aimer la techno. Le meilleur album de 2018, je dirais Tirzah. Sinon ce que je préfère en ce moment, c’est Oklou et Bagarre. »