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Keepin’ it real. « En France, on ne dit même pas le mot noir »

Keepin’ it real. « En France, on ne dit même pas le mot noir »

Une installation vidéo sur quatre écrans, puis un court-métrage, un projet réunissant quasiment une trentaine d’artistes afro-américains, afro-canadiens, afro-français, afro-caribéens autour de l’expérience noire : c’est l’ambition immense de l’artiste afro-américain Malique Lee Moore et sa co-autrice Johanna Makabi.

Exposé du 17 au 19 mai au Mona Bismarck Institute, ce qui a commencé comme un projet de fin d’études à la Parsons Paris est devenu un symbole ultra contemporain de la construction des identités aujourd’hui. À travers leurs expériences personnelles de la blackness en France et aux Etats-Unis, les deux auteur·ices ont bâti un travail d’une justesse, d’une beauté et d’une fluidité absolue, abolissant toutes les frontières : nationales, de couleur, de genre, de sexualité. Entre clips surréalistes et mockumentaire, Keepin’ it real interroge toutes les représentations de ces identités intersectionnelles qui parcourent la culture populaire, reprenant les codes du talk show, de la satire, de la mythologie grecque ou encore du voguing. Discussion-fleuve avec les deux cerveaux de la pièce, qui ont su créer leurs propres règles et leurs propres opportunités – et qu’on retrouvera lors de la soirée de vernissage avec Filles de Blédards le 17.

Keepin’ it Real, 2019, Malique Lee Moore from keepin itreal on Vimeo.

Manifesto XXI – Comment est né le projet ? Qu’est-ce que votre rencontré a créé ?

Malique : Pour être honnête, c’était comme un travail thérapeutique pour moi. J’ai commencé par écrire tout un tas de thèmes dans un carnet, puis j’ai remarqué que plusieurs d’entre eux étaient entremêlés, qu’une grande partie de mon travail tournait autour de l’identité, de comment gérer ces multiples identités qui sont le fait d’être noir, américain, mais aussi caribéen et queer. C’était le moment de faire quelque chose qui parlait de ça, pour moi, mais aussi pour parler à d’autres gens qui pourraient avoir des difficultés à s’identifier. Je voulais créer aussi un safe space, pour que les gens s’assoient, se regardent, et se voient d’une manière qui soit belle et personnelle.

Je travaille avec différents mediums, mais je me suis dit que dans le cadre de ma thèse, une vidéo serait le moyen le plus direct pour dire ce que je voulais dire. L’idée des trois écrans est venue parce que je souhaitais créer un aspect désorientant qui plonge dans la « double consciousness », qui est un terme créé par W. E. B. Du Bois, un sociologue du début des années 1900. Ça décrit cette bataille avec soi-même, notamment pour les afro-américains, mais je pense que ça s’applique à beaucoup d’autres gens, si tu es juste quelqu’un de marginalisé.

C’est cette dualité, tu as ces moments où tu n’es pas sûr de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, entre ce que tu présentes aux autres, et ce qui est le vrai toi.

Pour moi, c’était vraiment important de comprendre ça.

Johanna : De mon côté, j’ai co-réalisé avec Adèle Albrespy un documentaire qui s’appelle Méduse, Cheveux afro, et autres mythes sur la perception des cheveux crépus dans l’espace public en France. Suite à ce documentaire, j’ai fait un mémoire en anthropologie sur ce sujet, sur la non-institutionnalisation du savoir-faire de la coiffure afro en France. Après, j’ai eu envie de faire d’autres choses, donc j’ai commencé à faire des clips. Puis une amie en commun new-yorkaise qui s’appelle Amber a entendu parler du projet de Malique et lui a conseillé de me rencontrer. On a pris un café un jour. Malique lisait la biographie d’Issa Rae, qui est une scénariste-productrice de la série Insecure dont je suis super fan. Il avait sa boucle d’oreille Chanel, j’avais la mienne. On s’est regardé et on a rigolé. On a parlé du projet, il est arrivé avec une galerie de personnages déjà écrits, et je lui ai dit que je voulais m’impliquer.

Au début c’était vraiment une installation et je suis venue avec mon côté cinéma. Je lui ai demandé d’écrire des storyboards, des scénarios détaillés. Un jour j’ai présenté l’idée à des potes à moi, et je lui ai dit « Voilà, on peut faire un film nous-mêmes un peu à l’arrache, comme j’ai fait avec Méduse donc je sais les difficultés que ça engendre. Mais là tu fais de la fiction, tu parles de subconscient, ça demande des acteurs, et ça serait dommage de ne pas le faire vraiment à fond. Donc je peux te produire ». On s’est dit okay, on a trouvé un coproducteur Walid Bekhti, on a réussi à crowdfunding, on a trouvé un chef op, Angelo. On s’est dit qu’on allait réunir plein de gens de couleur, même si ça ne se dit pas en France, cette communauté de personnes qui ne sont pas blanches, ce qui est rare. On a réussi à réunir presque trente artistes afro-français, afro-caribéens, afro-américains et afro-péens, qui ont accepté de le faire bénévolement pour la plupart. Des chanteuses, des danseurs de voguing, et puis la soirée avec le collectif Filles de Blédards, des djs. C’était juste nous deux et on a réuni tous ces gens qui se définissent comme nous, à l’intersection.

Dans votre travail, vous avez complètement dépassé l’idée de frontière.

Johanna : C’est aussi lié au fait de venir tous les deux de grandes villes où il y a une mixité sociale énorme, où tout le monde vient de quelque part.

On a une identité qui est créée par nous-mêmes, qui n’existe pas, qui est hybride et qui change tout le temps.

J’ai plus de liens avec Malique en termes de culture qu’avec certaines personnes en France. Nos réalités sont plus proches.

Ça représente beaucoup le contenu de la pièce, où vous parlez de différentes réalités singulières, mais très proches.

Malique : C’est une hybridité de toutes ces choses. Je voulais créer quelque chose qui représentait le monde réel, mais avec des moments surréalistes qui représentaient l’expérience noire pour moi, comme quand le monde réel te sort de toi-même. Je voulais des petits clips qui représentaient cette identité de queerness avec les vogueurs qui sont androgynes, puis tu as The Fates qui sont ces trois sœurs de la mythologie grecque en charge de la destinée des gens. Ces références mythologiques, dans le cadre de Keepin it real, sont ces figures maternelles, allégories de la féminité noire. Dans mon expérience personnelle, les femmes noires m’ont faites, ma famille est quasi un matriarcat. Je voulais le représenter parce ça a été important dans ma vie, et que ça a dicté ce que je suis, ce que j’ai fait, c’est un peu le fil cohérent de l’installation.

Il y a aussi Angry Black Boy, qui représente métaphoriquement la rage que beaucoup de noirs ont envers la société. Il y a Afro Blue qui est un autre personnage, qui est un peu l’opposé d’Angry Black Boy même s’ils partagent cette tristesse intérieure. Mais pour Afro Blue, ça se manifeste dans une jeune fille noire mélancolique, qui n’est pas satisfaite de ses cheveux. Elle va dans son subconscient et rencontre un lapin dans la forêt, qui lui donne la confiance dont elle a besoin. Ces personnages sont des représentations de toutes ces identités qui existent en moi, mais aussi en beaucoup de personnes de couleur. Et enfin, le talk show, c’était une manière de lier le monde réel au subconscient.

Johanna : Il utilise beaucoup la forme cinématographique, avec tous les codes de la culture populaire. Le talk show à l’américaine, tout le monde en connait les codes, et en même temps il va utiliser la satire donc des personnages très exagérés, des vrais archétypes, dont le stylisme était très important. On a d’ailleurs eu l’aide de Michelle TSM qui habille beaucoup les vogueurs. Malique utilise aussi le peigne afro, le béret des Black Panthers, etc.

L’expérience noire américaine est cependant très différente de l’expérience noire française. Comment les avez-vous liées ?

Malique : Johanna et moi avons beaucoup en commun. Pour nous c’était très important que nos deux histoires soient racontées. Johanna me disait que ce projet pouvait faire beaucoup pour la culture en France, que c’était quelque chose qui avait besoin de se réaliser. Que les gens viennent, s’identifient. C’était important de le rendre universel, mais aussi super personnel. Que tu sois une femme blanche ou un homme blanc, tu peux t’y reconnaître, toutes ces insécurités, et tu peux voir qu’on vit tous plus ou moins le même struggle.

Johanna : Plus formellement dans l’écriture, on a aussi réfléchi à certains personnages qui sont américains, et comment intégrer des choses plus françaises. Pour Otep, un personnage très américain, on a pris un acteur camerounais, qui a un accent, et on a réfléchi à ce qu’était l’Otep français. On s’est dit que c’était le Kémite, le mec qui est fan de Kémi Seba. Le personnage de Saphire représente ce qu’on pense être une Fatou. On a une scène qui s’appelle « Black », qui était écrite par Malique où différents personnages prennent les lettres du mot « Black » et disent des mots très impactants qui commencent par celles-ci. Je lui ai dit « Mais attends Malique en France on ne dit même pas le mot noir, c’est un mot qui est invisibilisé, donc il faut que tu fasses la version noir ».

Malique : À la base pour « Black/Noir », je voulais juste trouver des adjectifs qui n’étaient pas liés à quoique ce soit en particulier, mais le contexte dans lequel ces mots sont dits automatiquement les mettent dans cette expérience noire. C’était juste une expérience : mettre des adjectifs dans ce contexte et voir ce que ça fait au public, à sa perception de ces mots. Si tu le disais, ou si une autre personne le disait, personne ne l’entendrait de la même façon, mais si ça vient d’une personne noire dans ce contexte, ce sera différent.

Johanna : Par exemple à un moment on a Marie-Julie Chalu qui joue dans Ouvrir la voix qui dit « Tu es Incarcéré », et avec ce qui se passe en France en ce moment, avec l’affaire d’Adama Traoré, ça a un impact très fort.

Malique : Et le fait de dire « Tu es », peu importe la personne qui regarde, ça la mettra à cette place.

Keepin’ it real, 2019, Malique Lee Moore from keepin itreal on Vimeo.

Il y a un côté aussi extrêmement positif et beau dans les couleurs, dans la satire. C’est finalement assez rare cette légèreté dans les œuvres engagées.

Malique : C’était important d’avoir des couleurs super saturées, cette sorte d’esthétique au bord du kitsch parce que ça parle vraiment au subconscient. J’ai l’impression que si on ouvrait nos rêves ils ressembleraient à ça. Parfois ça peut être super dark mais l’idée c’était vraiment de se connecter au mouvement surréaliste, qui rendaient des choses moches très belles. Pour moi c’était très important que ça ne soit pas forcément beau ou clean, mais d’avoir au moins des couleurs éclatantes. Il fallait aussi que ça contraste avec les sujets qu’on aborde, qui sont très denses. L’idée était un peu de rendre ça plus facile à digérer pour certains, de l’approcher dans une lumière différente de « Ah, c’est à propos des noirs, j’ai déjà vu ça, je sais ce dont ils vont parler ».

Au final je m’en fiche un peu que ça soit joli à regarder, ce qui m’intéresse c’est que le message les atteigne, que ça soit accessible.

Johanna : C’est le côté un peu anxiogène, où tout est trop beau, on a le confort qu’on veut, mais derrière c’est du discomfort.

Malique : Ça représente vraiment cette expérience noire qui est complexe et dense. Quand je dois expliquer le projet, c’est assez compliqué, parce que c’est comme essayer d’expliquer l’expérience noire de manière générale. Il y a quelqu’un qui m’a demandé dans une autre interview ce qu’était la blackness, et je ne savais pas trop quoi dire. En fait cette installation, c’est juste moi qui essaye de répondre à cette question, de faire en sorte que des gens qui n’en font pas l’expérience la comprennent un peu.

Johanna : C’est très ambitieux, et le fait d’avoir dans un même travail quelqu’un qui tient des propos homophobes et des gens qui dansent du voguing, c’est montrer la diversité, toutes les contradictions auxquelles tu fais face en étant une personne noire dans un pays blanc. C’est aussi l’histoire de Malique, qui est queer, c’est plein de choses, plein de contradictions qui sont parfois schizophréniques.

Malique : Le talk show était très important parce que sans lui, tu ne peux pas comprendre toute l’expérience de Keepin in real. Les personnages du talk show représentent un panel de ces archétypes dans la communauté noire : tu as Jessica, qui ne sort qu’avec des hommes blancs, Saphire, qui est une Fatou, une fille du ghetto mais qui s’exprime vraiment bien, qui veut être avocate, et il y a Jamari, un misogyne dans le placard. Je voulais rendre justice aux gens de la communauté noire qui sont comme ça parfois.

Johanna : Ce qui est super intéressant c’est que dans son travail, ce ne sont pas juste des acteurs noirs pour critiquer la société noire.

On questionne aussi l’intérieur, le rapport des noirs entre eux, de la communauté noire à elle-même, les représentations qu’elle se fait d’elle-même, le racisme intériorisé.

La fille qui n’aime que les garçons blancs va par exemple tenir les mêmes propos que ce que des personnes blanches tiendraient. Ce qui est aussi intéressant dans le talk show c’est que c’est une mise en abîme où ils parlent d’un artiste qu’on a créé qui s’appelle Daniel Fraud, joué par Malique.

Malique : Daniel Fraud, c’est le centre du talk show, on y parle de son travail qui s’appelle « I’m Black too ». En gros, c’est cet artiste noir qui n’avait jamais vraiment parlé du fait d’être noir dans son travail, il a beaucoup de succès. Et puis il fait ce documentaire où il marche dans les rues de Paris et agit comme un stéréotype noir. La discussion autour de Daniel Fraud est une représentation de ces artistes noirs pour nous critiquer nous-mêmes. Parfois on a une tendance à exploiter le fait que nous soyons noir et queer, toutes ces identités, et ça ne se justifie pas toujours vraiment. Parfois ils le font parce que c’est à la mode, ce n’est pas deep. Je voulais être sûr qu’il y soit parce que je voulais me critiquer moi-même : pourquoi j’ai le droit de faire ce projet ? Qui suis-je pour parler de l’expérience noire ? Mon travail en a déjà beaucoup parlé, mais pas d’un point de vue critique.

Je suis super accessible aux blancs, parce que je suis un artiste et que le monde de l’art est très blanc. Cela me permet d’en parler d’une façon qui va être automatiquement acceptée.

On me demande tout le temps de parler au nom de la communauté noire, mais je ne sais pas ce que répondrait une autre personne noire. C’était donc super important de faire en sorte que je ne sois pas le seul à porter cette voix, d’inclure d’autres voix, d’autres perspectives. Ça m’a vraiment ouvert les yeux de voir tous ces gens qui avaient envie de parler de tout ça.

Justement je voulais vous demander quel était le public à qui s’adresse Keepin’ it real, si c’était un outil pédagogique, ou bien un outil d’empowerment ?

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Johanna : C’est un peu des deux. Après ce qui est vraiment intéressant dans ce projet c’est qu’on a choisi deux formes : l’exposition et le court métrage. Donc c’est un public différent, avec des montages différents même si ce sont les mêmes images. Pour l’exposition, il va y avoir trois écrans et une télévision qui diffusera le talk show. Que le tout ne soit pas ensemble c’est plus artistique, moins pédagogique et accessible, ça s’adresse plutôt à un public sensibilisé du monde de l’art, ça se détache presque de la portée politique. Pour le court métrage tout va être ensemble, on va passer du mockumentaire à la partie esthétique donc tu comprends que c’est lié, c’est plus pédagogique.

Malique : À la base c’était fait pour un public de l’art contemporain mais au final, ce public est très blanc et libéral, ils ne vont pas forcément être d’accord avec un certain nombre de choses dans ce travail. Mes années à Parsons ont un peu été un struggle avec ce public, j’étais toujours un peu effrayé de montrer mon travail, parce que ça parlait de l’expérience noire. Je parlais à mes professeurs, je leur disais « Ok je pense que je ne devrais pas montrer ça parce que j’ai entendu des gens dire qu’ils sont fatigués de ma blackness », et ils me répondaient « Tu devrais t’en foutre parce que c’est ton expérience, c’est ton travail ». Quand j’ai créé ce projet, j’étais très conscient de ceux qui ne pourraient pas le comprendre entièrement, mais mon intérêt était avant tout de le faire pour les personnes noires. Mais j’espère que ça pourra ouvrir une discussion autour de ces identités, qu’ils comprennent que c’est beaucoup plus complexe que de demander à quelqu’un si on peut l’appeler nigga.

Johanna : En France on vient d’arriver sur ces questions, on a déjà un peu déconstruit, on a commencé à faire des œuvres, à mettre en avant des artistes qui en parlent. Ce projet est contemporain dans le sens où maintenant on a compris tout cela, on peut passer à quelque chose d’un peu plus profond. Une fois qu’on a expliqué que oui, on n’a pas envie qu’on nous touche les cheveux, on peut passer à des questions plus complexes, plus générales et au-delà des frontières. Avec le temps ça va se complexifier et c’est bien qu’on commence par ça.

Le problème face à cette volonté d’aller au-delà des frontières, c’est que le militantisme aujourd’hui est ultra individualiste. Il y a un morcellement des luttes, qui peut faire perdre la dimension collective.

Johanna : C’est vrai. J’ai fait des documentaires mais j’ai aimé être prod sur ce projet parce que Malique est vraiment un artiste. Pour moi un artiste, c’est quelqu’un qui doit regarder son époque et en capter chaque tension, chaque détail, qui le capture et en fait un objet qui montre la complexité, d’en faire quelque chose qui dépasse ça, une expérience universelle.

C’est aussi l’idée de créer des nouveaux paradigmes, comme le disait Crystallmess dans une autre interview, de passer par d’autres biais que par des dogmes très binaires et rigides.

Johanna : C’est aussi parce que notre génération est hyper polyvalente. On a tous au moins eu dix à quinze jobs différents, on fait tous un peu d’art à notre manière. Crystallmess que tu cites elle est dj, elle a fait une installation artistique, elle écrit. Malique il fait de l’illustration, du digital art, de la vidéo, de la musique. Il a fait toutes les musiques des teaser, il fait du montage.

C’est aussi une manière d’abolir les frontières.

Il y a aussi une dimension importante du safe space dans ce travail.

Malique : On le trouve plutôt dans le côté création. Je voulais un safe space où on pouvait créer ensemble, en invitant tous ces artistes noirs, ces artistes de couleur, quelques blancs, permettant aux gens de parler librement de nos expériences. Être sûr que tout le monde se sente à sa place et légitime d’être là était super important pour moi. Avec Angelo par exemple on a beaucoup parlé de l’expérience noire, et c’était très intéressant d’entendre sa vision qui était celle d’un mec blanc en France, de l’aider à être un peu plus sensibilisé à la manière dont il parle des choses.

Johanna : D’ailleurs parmi toutes les personnes identifiées comme blanches qui nous ont aidés sur le projet, aucune d’elles à la fin ne disait plus black. On a cassé ça. (rires)

Malique : ll y avait aussi le fait de vouloir faire cette soirée de vernissage safe, d’avoir un endroit pour célébrer et être nous-mêmes et présenter le travail. L’endroit où on le présente, c’est dans le 16ème, au Mona Bismarck Institute. Je ne suis pas sûr d’à quel point cet endroit est safe, je ne connais pas les invités. Je voulais que l’installation soit un havre au milieu de cette exposition mais je voulais aussi quelque chose d’extérieur. C’est pour ça que cette soirée avec Filles de Blédards était super importante.

Johanna : Pour moi le safe space, personnellement, c’est par rapport au milieu du cinéma en France qui est très blanc, où c’est très compliqué de faire valoir ses idées comme on le veut. Pour avoir du boulot parfois tu dois mettre ta fierté, tes convictions de côté.

On dit toujours sur les tournages « C’est une famille », mais non, quand tu es dans un tournage où il n’y a que des blancs et où tu dois te nier tout le temps parce que tu as peur de perdre ton boulot, ce n’est pas le cas.

Et là c’était complètement différent avec Malique. On pouvait dire clairement ce qu’on pensait, utiliser notre propre vocabulaire, dire « les white people ». J’ai peur après d’être trop habituée et de ne plus pouvoir bosser normalement. J’espère qu’un jour ce sera comme ça partout, qu’on sera libre.

Ce sont des espaces qu’il faut créer soi-même parce qu’on ne peut pas attendre du monde normé qu’il nous crée des opportunités.

Malique : Exactement. C’est ce que disait Issa Rae dans une interview, où elle disait qu’elle a dû créer ses propres représentations de ce qu’elle voyait comme son expérience de femme noire parce qu’elle ne l’avait vu nulle part ailleurs. Elle a commencé par faire ses courtes vidéos sur Youtube. Je me suis dit « Elle le fait, on peut tous le faire ». On a tous le droit de parler de nos expériences, de le partager avec des gens, et ces gens vont te rejoindre, vont vouloir faire partie de ton équipe parce qu’ils vont se voir représentés dans ton travail.

Johanna : Et puis nous notre mantra dans ce projet c’était « Fake it until you make it ». On crée notre propre espace, nos propres trucs. Il ne faut pas avoir peur, surtout quand une idée est bonne, et qu’elle est sincère. Ça a été valorisé par un crowdfunding. D’où le fait de faire cette soirée pour rencontrer tous ces gens qui nous ont soutenus, pour créer encore autre chose.

On veut montrer qu’il ne faut pas avoir peur de créer ses propres opportunités, de ne pas attendre qu’on nous en donne. Elles ne viendront pas, ou pas forcément comme on le veut.

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