Le trio Keep Dancing Inc sort son premier long projet Embrace et confirme les espoirs placés entre leurs trois paires de bras. Une synth-pop loin d’être étanche qui transpire l’amour, la fête et la joie.
Du grain à moudre pour nos espoirs
En 2014, deux lycéens se rencontrent autour d’une passion partagée pour Palma Violets et un violon d’Ingres commun : la musique. Ils se lancent alors dans une aventure créative sans savoir que quelques années plus tard, à l’orée de leur vingtaine, le nom qu’ils ont choisi s’imposerait comme l’un des espoirs de la synth-pop française. Pris sous l’aile de Flavien Berger après une première démo en 2014, retenu par NME pour la sélection des cents groupes à suivre en 2018, photographié par Etienne Daho dans le cadre de son exposition à la Philarmonie de Paris, s’affichant en première partie de Mikky Blanco, Aufgang ou Parcels, suivant Blossoms en Europe pour ouvrir leurs concerts et enchaînant les soirs à guichets fermés. Le groupe qui se définit comme étant quelque part entre Phoenix et Agar Agar, fait ses gammes auprès du sel de la terre et reçoit immédiatement louanges et encouragements, sans pour autant se laisser tenter par la faiblesse de la fatuité.
C’est que ce triumvirat parisien offre dès ses premiers balbutiements : du grain à moudre pour nos espoirs. Dès leur Initial Public Offering de 2017, ils·elles annoncent un goût prononcé pour la mélodie, la musique électronique (synthétiseurs vintage, utilisation du vocodeur…). Viennent se greffer des beats dansants, des riffs classiques et une nette influence New-Wave. KDI décolle alors pour le rêve américain afin de mixer le tout auprès de Daniel Lynes, connu pour son travail avec A$AP Rocky, Devonté Hynes (Blood Orange) ou encore Kanye West. Restructuration, deuxième opus, vient confirmer la voie 80’s empruntée par le premier effort, assied la nostalgie latente des voix éthérées, le penchant funk et se voit agrémenté de nouvelles percussions et d’une production plus riche. C’est l’exorde de Keep Dancing Inc, d’une énergie débordante et d’un nom qui grossit. De deux EP qui marquent, dès le départ, une identité musicale bien précise. Mais c’est surtout la synergie des genres, la coalescence d’inspirations diverses, la réunion d’époques et d’univers musicaux différents.
Après le deuxième épisode en 2018, Charles, leader et chanteur du groupe, tire sa révérence et plie bagage. Sans se retrouver traumatisé ou affaibli, le nouveau trio se forme. Louis se place derrière le micro et Gabrielle rejoint définitivement la joyeuse troupe à la batterie. Nous voilà avec le Keep Dancing Inc de 2020. Un Keep Dancing Inc attendu, qui, malgré sa jeunesse, se retrouve les poches pleines d’un parcours riche et de la maturité suffisante pour rebondir malgré le départ d’un de ses membres. À leur langue maternelle les trois jeunes artistes préfèrent l’anglais et se glissent dans le rôle des bêtes de scène made in UK avec une aisance admirable, en creusant, gentiment mais sûrement, leur sillon de l’autre côté de la manche. La main mise sur la recette secrète d’une brit-synth-pop qualitative et vendeuse, Keep Dancing Inc a saisi les arcanes du petit monde dans lequel il fait ses premiers pas et vogue à la va-comme-je-te-pousse au gré des opportunités qu’il saisit. De quoi frémir d’impatience en attendant le premier long projet : Embrace.
Jeunes démiurges dynamiques
Initialement prévu pour le 5 juin 2020, puis décalé au 2 octobre pour enfin sortir le 23, Embrasse laissait brasiller doucement les attentes, laissant quelques titres sortis en amont bercer les espoirs d’une émulation artistique accouchant d’un album prêt, meilleur, abouti. Après un mois d’écriture en isolement total dans la campagne grenobloise, retour à la capitale pour enregistrer avec Tom Carmichael. Ce dernier qui dit aimer les productions « audacieuses, dynamiques et immersives » vient embrasser l’univers de KDI et y ajouter subtilement sa patte pour lui donner plus d’ampleur. D’abord intimidé.e.s par son expérience (Kendrick Lamar, Chance The Rapper, Metronomy, H.E.R, Fat White Family, on en passe et des meilleurs) ils·elles confient finalement s’être beaucoup amusés et avoir appris énormément aux côtés de ce géant de la production. Cette positivité, cet engouement et cette volonté farouche de progresser donnent au projet sa saveur d’idéal, de recherche, de fête.
De cet album transparaît le besoin viscéral d’explorer, tenter, proposer. Bien qu’il soit encore un peu prudent – si bien que l’on voudrait les pousser plus loin vers leurs extrêmes, tout en imaginant que cela finira par arriver – il reste néanmoins patent et laisse planer le souvenir d’une enfance bercée par des disques en tout genre des années 80, 90. De la souveraineté des claviers, boîtes à rythme et autres machines électroniques, guitare et batterie ne se trouvent pas frappées d’une implacable fatalité qui voudrait les rendre superficielles ou hors de propos; mais ressortent, au contraire, sublimées par un contraste né du merveilleux accident qu’est celui du mélange des sonorités. Ainsi, ce nouvel opus expose des aspérités rock et des tempos flirtant joyeusement avec un disco mélancolique. Comme pour tirer des larmes aux fous furieux qui s’engageraient sur la piste de danse, KDI ne rechigne pas non plus à s’élancer dans quelques saudades qui les rendent tendres, romantiques.
Keep Dancing Inc. semble avoir à en découdre avec l’idéologie corporate, le credo du « travailler plus, gagner plus », l’emblème de la start-up bienveillante qui offre en son sein cours de yoga et mini sieste sur le bureau. Comme trois jeunes démiurges dynamiques venus dynamiter le mythe de l’entreprise omnipotente, ils entrent sur le marché en 2017 et installent dès lors la métaphore du monde financier avec Initial Public Offering, entrée en bourse en anglais. Avec le titre « Start Up Nation », qui ouvre le disque, ils·elles reviennent sur l’absurdité de cette machine infernale où la parole n’a plus d’importance, au profit du bénéfice, l’image, la productivité. « Does’nt matter what you say / When you say it well » (peu importe ce que tu dis, tant que tu le dis bien) peut-on les entendre dire. Pour elleux c’est l’amour, la fête, la joie qui doivent primer. Parcourant les affres d’une histoire d’amour, vantant les mérites du calme loin de la ville ou vénérant simplement le milkshake, Keep Dancing Inc nous rappelle qu’une formule prévaut sur toutes les autres : « vivre plus pour gagner plus ».
Image mise en avant : © Ella Herme