Connu sur la toile pour ses reprises au piano de tubes pop, l’artiste contemporain pluridisciplinaire Joseph Schiano di Lombo sort en ce début du mois d’avril son premier album, Musique de Niche. Dans ce projet ambient doux et mélodieux, le compositeur crée un petit monde duveteux pour son nouveau public : les chiens.
Pianiste de formation classique, Joseph Schiano di Lombo rencontre un public pop début 2020 avec sa reprise de Mylène Farmer « façon Satie et Debussy ». Artiste pluridisciplinaire passé par les Arts Décoratifs de Paris, il est également plasticien et propose des performances musicales qui transportent son public, humain, au cœur de son processus de création. Sa signature, ce printemps, avec le label parisien Cracki Record lui permet d’explorer un nouveau format, celui de l’album. En huit morceaux, les auditeur·ices traversent les différentes étapes de la vie canine, des premières caresses aux derniers soupirs : rencontre avec l’artiste au diapason avec les meilleurs amis de l’homme.
Manifesto XXI – Ton album s’appelle Musique de Niche. L’as-tu composé pour une bête en particulier? Est-ce que tu as une race de chien favorite ?
Joseph Schiano di Lombo : La race chez les chiens, c’est une invention humaine. En ce sens, je n’ai pas de préférence. Je préfère les bâtards, même si j’aime bien les chiens pure race. Au départ, le projet s’appelait Musique pour golden retriever car ce sont des chiens sympathiques, faciles à dresser, bonne pâte, qui s’adaptent à toutes les situations et c’est le ton que je voulais donner à mon album.
Pour moi, l’ambient et toutes musiques instrumentales douces ont un peu les mêmes qualités que cette race de chien : elles peuvent convenir autant à un apéro qu’à un moment d’introspection. Mais la chienne à laquelle je destine cet album est un labrador qui s’appelait Mahori, avec laquelle j’ai grandi et qui a disparu depuis longtemps.
Quelle est la track qui relie le mieux pour toi tes reprises de Mylène Farmer et Musique de Niche ?
Les reprises de Mylène Farmer sont sur un tout autre ton : elles n’ont pas fait appel aux mêmes ressorts créatifs. Elles m’ont demandé beaucoup plus d’efforts dans le style que Musique de Niche dans lequel je me suis permis de faire des choses librement, dans un esprit très téléfilm. Dans le quatrième morceau, « The Fourth Nap », je n’ai utilisé aucun « stem », j’ai tout composé avec un vieux clavier Rhodes. C’est cette chanson de l’album qui est la plus proche des reprises en termes d’exécution technique. Les reprises dans le style de Debussy avaient un côté très début XXème siècle dans l’utilisation des accords, très romantique. Pour les chansons de l’album, j’ai plutôt joué sur des accords ressentis ou improvisés. Ce sont définitivement deux projets très différents.
Musique de niche fait suite à ton premier EP et à de nombreuses tracks disponibles sur ton SoundCloud. Quelles dimensions as-tu voulu exploiter dans cet album?
Je sais que ça peut vouloir dire quelque chose, le premier album dans l’industrie du disque. En l’occurrence je suis assez versé dans l’exercice de style et je n’ai pas vraiment une identité fixe sur le plan musical. Je ne pense pas refaire des choses qui ressembleront à Musique de Niche par la suite : ce sera peut-être 8 EP ou 12 singles, je ne sais pas. J’ai fait un tout, comme ça aurait pu être une expo ou un livre. En musique ça c’est avéré être un album.
Mon seul vrai but était de faire un ensemble cohérent attaché à cet objet de musique pour chien.
Joseph Schiano Di Lombo
Avec l’album je n’avais pas forcément envie de frapper un gros coup, mais plutôt de montrer des compositions que je fais, sans passer par le spectre d’autres créatifs et d’autres musicien·nes et de créer un ensemble. J’ai composé librement des morceaux dans cet esprit-là : mon seul vrai but était de faire un ensemble cohérent attaché à cet objet de musique pour chien, de musique de niche. Je les place dans le même esprit que la musique à programme ou la musique romantique comme celle de Schumann. Il compose des albums, conçus comme un tout, comme par exemple Scènes d’enfant où chaque morceau narre une scène liée à la vie enfantine. Cela crée des albums assez indépendants, courts et rattachés à un noyau thématique, à un même ensemble de narration. J’ai toujours adoré ça, la musique à programme, mais je ne pensais pas faire le rapprochement.
En composant Musique de Niche, j’avais envie de créer un tout petit monde : l’album s’ouvre en même temps que naît un chiot, avant qu’il ouvre les yeux. Le second morceau s’intitule « Carresses » car juste après la naissance, le petit chiot reçoit ses premières marques de tendresse. L’album se termine avec « The Golden », dédié à Mahori et à ce moment où j’ai su qu’elle était partie. C’est ce moment terrible où l’on perd un être avec lequel on n’a jamais communiqué avec les mots mais qui reste une lourde perte. J’ai voulu balayer large sans aller dans le chronologique, mais le premier et dernier morceau placent l’album dans cette ligne.
Pour ce qui est des reprises: elles forment une série. Elles ont une identité graphique propre, je les considère comme un album dynamité. Peut-être que plus tard je regrouperais tout dans un album ou un maxi, mais en attendant elles sont dynamitées dans le temps, je les saupoudre au fur et à mesure et j’en prépare une prochaine pour 2021 !
Tu pourrais nous parler un peu plus de tes influences ?
Beaucoup de musique des romantiques comme Beethoven ou Schubert ! Mais aussi Angelo Badalamenti qui a écrit la musique de Twin Peaks. J’ai regardé Twin Peaks il y a deux ans et ça m’a bouleversé.
Je relaie aussi des playlists liées aux titres de l’albums sur Spotify, comme « When Puppies Dreams ». Tu peux y trouver des choses qui m’ont nourri les oreilles et qui ne sont pas très loin de ce que moi je fais.
À fortiori, je pense aussi à l’album du musicien canadien Mort Gerson Mother Earth’s Fantasia qui est adressé aux plantes. C’est une chose absurde et géniale que d’adresser de la musique à autre chose qu’une oreille humaine ! C’est une influence pour le projet thématique. Musique pour chiens vient d’une blague et je pense que les blagues trahissent parfois quelque chose d’important, ce sujet c’est avéré important.
La musique est à tout le monde et à personne, on peut seulement créer des liens et des tissages d’influence.
Joseph Schiano di Lombo
Tu as donc une double casquette, plasticien et musicien. Comment articules-tu tes deux pratiques ?
Oui et non. Oui car mes journées sont faites de l’un et de l’autre. Je suis indiscipliné. Je n’arrive pas à suivre de programme et la discipline m’ennuie. Je m’y suis collé longtemps, avec mes années au conservatoire et l’École Nationale des Arts Décoratifs. Et non car je ne cherche pas à créer des liens absolument entre mes deux pratiques. Je ne souhaite pas constituer une œuvre d’art totale ou à créer des œuvres pluridisciplinaires à 100%
Penses-tu que tu vas spatialiser ton album à un moment comme dans ta performance Octuor pour Piano seul ? Faire des performances avec des petits chiens qui dorment ?
C’est de la musique qui doit tenir sur un disque et je ne lui destine rien d’autre que d’être un disque. Octuor pour piano seul ne doit pas devenir un disque, mais rester absolument une performance. Je m’en fiche de montrer la musique, c’est pour les chiens ! Si on fait un concert dans un refuge, je serais trop content ! Je ne vois pas l’intérêt s’il n’y a pas de chiens. Puisque le live n’est pas la destination du projet, s’il doit y avoir des représentations, autant que ça soit symboliquement dédié au sujet: les chiens.
Tu as des projets qui arrivent bientôt ?
Oui ! Début mai je sors mon premier roman aux éditions B42. C’est la graphiste Fanette Mellier qui m’a proposé il y a deux ans d’écrire un roman policier, qu’elle transformerait par la suite en objet atypique. Cette commande s’inscrit dans la série Chaumont: Fiction (des livres bizarres), une série de livres commandée à des écrivain·es que je clôture avec mon polar. Mon roman est petit, il fait 128 pages mais je suis content d’avoir su dire qu’à un moment je l’ai terminé. À mon stade de maturité dans l’écriture c’est difficile à envisager, l’idée de finir un roman.
Je me lance aussi en septembre dans une résidence musicale dans un lieu normalement pour écrivain·es et artistes visuels pour écrire la musique du roman. Peut-être que ça donnera lieu à un vinyle ? J’ai aussi envie de continuer la série « Remix pour piano seul » qui est un peu mon exercice d’hygiène et d’humilité au sens où ce n’est pas ma musique à 100% : la musique est à tout le monde et à personne, on peut seulement créer des liens et des tissages d’influence.