De temps en temps les week-ends, la rédaction de Manifesto XXI mettra en avant un clip récent qui l’a marquée, avec un mot de la réalisatrice ou du réalisateur.
Jardin et Certain Smith dévoilent le clip de « 5th Generation », extrait de la compilation L’eau repousse les feux agressifs du label Mama Told Ya, réalisé par Camille Degeye. Tourné dans les ruines du village de Montfaucon-d’Argonne, aux abords de Verdun, un black bloc mort au combat est adossé à un arbre. Le silence et le chaos pèsent. L’âme du dormeur s’éveille, prenant la forme d’une fée fantasmagorique vêtue de blanc. Dans des cris de colère, elle reprend son chant contestataire.
Le mot de la réalisatrice, Camille Degeye
« La première fois que j’ai découvert la musique de Jardin, c’était il y a quelques années, sur scène, tard dans la nuit. Immédiatement, j’ai été saisie par deux corps en colère : celui de Jardin, hurlant dans son micro un flow entre rap et poésie, et celui des machines crachant une techno en distorsion. L’un comme une extension de l’autre, sans hiérarchie.
Quand Jardin m’a envoyé le morceau « 5th Generation », travailler ensemble a surgi comme une évidence : écrit et enregistré pendant le second confinement, ce morceau était le cri que j’avais envie d’entendre et dont j’avais besoin de me saisir. Émanant des paroles et de la musique, ce sont des images fortes qui ont éclos tandis que nous étions dans un moment de fatigue et de dépit : une envie de lutte, une envie de confronter le chaos.
Rapidement m’est revenu en tête le poème de Rimbaud Le dormeur du val et, en le relisant, j’y ai vu un espace d’identification fort à travers ce jeune soldat qui semble se reposer alors qu’il est mort. Mort pour la France. C’est violent, mais c’est un peu nous. Cette figure, je l’ai vue résonner avec les paroles de Jardin, et plus encore, j’ai eu envie de la soumettre au contemporain. Qui seraient les jeunes soldats d’aujourd’hui ?
Dans un désir de transcender les images qui hantent notre génération, j’ai alors eu envie de reprendre l’imagerie des luttes populaires du moment, qui étaient par ailleurs un peu notre quotidien à la sortie du confinement quand a surgi le projet de loi sur la sécurité globale. Par transcender, ici, je veux dire créer de nouvelles images par une narration inédite en usant de ce qu’offre la fiction.
Dans cette idée, j’ai eu envie de raviver l’image de ce jeune dormeur en adaptant à nos jours sa blessure et sa tenue. Grâce à ce tableau, le film s’ouvre par un mouvement que seul le cinéma permet : à l’image d’un prologue, la scène vient à la rencontre du corps de ce jeune dormeur. Tandis que le constat de sa mutilation marque la fin de ce qu’offrait le poème, j’ai voulu qu’un second corps s’extraie, telle une âme fantomatique qui s’incarne. La fiction commence à mon sens ici, à l’arrivée de la musique : telle une protestation, l’âme de ce corps crie sa fureur et retourne au cœur du combat.
À l’image, nous avons tourné en 16 mm qui est mon outil de travail depuis mon premier film. C’était l’occasion encore d’expérimenter de nouvelles choses avec le chef opérateur Robin Fresson, mon ami et collaborateur privilégié depuis quelques années. En guise de figuration du champ de bataille, tout n’est que travail de lumière avec l’idée d’incarner un affrontement par la tension du hors champ. L’idée ici était d’échapper à une représentation frontale en créant un environnement et une ambiance qui se révèlent par bribes et fragments. L’envie ici était de créer une continuité à ce monde dystopique que chante Jardin, une sorte de conte de fées inversé où la rêverie n’est plus féérique, mais chaotique. »
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