Tous les deux affiliés au tourneur/booker DIVINE, par le biais duquel nous les avons découverts, Plage 84 (alias Kévin) et Neanticønes (alias Alexandre) sont deux jeunes producteurs français d’electro, dont les blazes vous serons probablement bientôt familiers. Ayant récemment rejoint le prestigieux label Roche Musique, Plage 84 distille pour sa part une house savoureuse aux accents tour à tour chill, funk, ou jazzy, et sort bientôt un nouvel EP qu’il nous tarde de découvrir. Neanticønes entretient lui aussi une affection pour les sons chauds et groovy, qu’il mêle de son côté avec brio à un univers cosmique et expérimental, pour un résultat aussi dansant que lunaire. Manifesto XXI est donc allé pour vous à Paris rencontrer ces deux artistes à la créativité certaine, et qui ne s’inspirent que pour mieux innover.
MXXI – Est-ce que vous pouvez présenter rapidement vos parcours respectifs ?
Plage 84 : J’ai suivi une formation classique de solfège pendant 7 ans ; saxophone, orchestre… ça m’a beaucoup formé et ça m’a donné envie aussi de créer, car justement je trouvais que cet aspect manquait dans la formation. C’est ce qui m’a poussé, chez moi, à partir de 14 ans, à créer ma propre musique. J’ai eu un autre projet avant, et celui-ci, Plage 84, est né il y a 3 ans.
Neanticønes : Je n’ai suivi aucune formation, j’ai commencé directement par la MAO à 16 ans. Je me suis mis en même temps à la basse, à la guitare et au clavier (guitare principalement). Mais je suis surtout un geek, habile sur ordinateur…
MXXI – Quelles sont vos influences respectives ?
Plage 84 : Comme je viens du jazz, je suis resté très influencé par ces sonorités. Sur un plan plus actuel, je m’inspire de toute la scène un peu future, mais j’essaie de la mélanger à mes influences jazz. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler à partir de méthodes de composition électronique sur ordinateur, tout en conservant un aspect assez acoustique.
Neanticønes : Moi c’est surtout la sphère Soundcloud qui m’a influencé lorsque j’ai commencé. Puis, comme Kévin, j’aime beaucoup les harmonies jazz.. Je m’intéresse également beaucoup à la synthèse sonore et aux différents types de timbres qu’il est possible de créer. Je mêle tout ça pour obtenir quelque chose d’à la fois organique, technique et mélodique.
MXXI – Avez-vous des procédés récurrents de composition ?
Plage 84 : Je n’ai pas vraiment de processus… parfois je commence autour d’un accord, ou par les parties rythmiques… En tout cas j’essaie d’abord de structurer le morceau, pour m’appuyer sur une base, et ensuite j’essaie de le triturer, de le déstructurer un maximum en enlevant certains éléments trop attendus, en les positionnant d’une manière différente, pour éviter de faire une musique trop prévisible. J’aime bien déstabiliser l’auditeur en cassant les rythmes, les accords… J’essaie de garder un côté pop, mais qui soit un peu malmené, je veux emmener l’auditeur vers de nouvelles choses qui n’ont pas été déjà faites ; c’est un peu mon objectif chaque fois que je crée de la musique.
Neanticønes : Soit je pars totalement en freestyle, et dans ce cas-là je trifouille et je vois où ça débouche. J’aime bien m’appuyer sur des instruments réels pour trouver mes suites d’accords, sur la guitare notamment. Sinon j’applique une « recette » ; par exemple si je veux faire un son pop, je possède un kit que j’ai créé avec mes sonorités de batterie et de synthé qui me plaisent bien et surtout un type de mixage adéquat au style. Dans ce cas de figure je commence souvent par trouver une boucle d’accord ou un thème, que je développe ensuite.
MXXI – Quel rapport entretenez-vous avec la pratique du djing ?
Plage 84 : C’est un exercice qui est assez loin de la composition finalement, tu passes plus tes influences et des sons qui t’inspirent, même si tu peux bien sûr intégrer des sons à toi. Moi j’ai vraiment commencé par la composition avant de me mettre au mix. Je pense qu’aujourd’hui c’est quand même assez important d’avoir des notions de mix pour pouvoir jouer un peu partout. Mais ce qui m’intéresserait d’ici 2 à 3 ans, ce serait de créer un live set personnel. Je pense notamment utiliser un launchpad, une talkbox, avec éventuellement un vrai batteur derrière… peut-être du saxo aussi, mais j’ai un rapport différent avec cet instrument… puis il a beaucoup été utilisé n’importe comment ces dernières années dans l’univers house donc c’est assez connoté… à voir !
Neanticønes : Comme Kévin, à la base je suis plus compositeur que dj, j’ai commencé à mixer pour pouvoir tourner un peu et partager la musique que j’aime… Mais mon véritable projet pour l’avenir c’est le live. Donc je jouerai mes propres sons, mais pas tout seul, avec de vrais musiciens, le tout orchestré par mon ordinateur.
MXXI – Quelle est votre actualité concernant vos sorties ?
Plage 84 : Je travaille actuellement avec le label Roche Musique. J’ai sorti un EP en free chez eux il y a 2 ans, et depuis, des remixes. Là je sors un nouvel EP en octobre chez eux, qui comprendra 5 titres.
1er extrait de l’EP :
Neanticønes : Il y a 3 mois j’ai sorti un track avec Profil de Face Records, « Nebula Beach ». Un clip associé est d’ailleurs en cours de préparation ; un mélange d’animation, de vidéo mapping et de prises réelles. Sa sortie est prévue pour fin septembre. Après, j’ai plein de sons dans les placards, et j’attends de préparer un EP vraiment solide.
MXXI – (à Plage 84) Pourquoi ce choix du label Roche Musique ?
Plage 84 : C’est un univers qui m’a toujours attiré, ce sont des musiques assez fraîches, qui flirtent avec le funk, le jazz… Je me sens assez bien dans ce groupe, et beaucoup d’artistes de ce label m’ont énormément influencé. Le label m’a vraiment tiré vers le haut, ça m’a poussé dans le travail de cet EP, qui m’a pris beaucoup de temps. J’ai hâte qu’il sorte enfin !
MXXI – Quels sont les sons ou artistes que vous écoutez en boucle en ce moment ?
Plage 84 : En ce moment j’ai un gros coup de cœur pour Hiatus Kaiyote, c’est un groupe de new jazz, avec une chanteuse. Ils font du jazz, mais totalement revisité en termes de structures. Tout le dernier album « Choose your Weapon » est vraiment fou… Sinon j’aime beaucoup le dernier album de Dorian Concept. Ces deux albums sont vraiment intéressants en termes de mélodies, de structures, de sonorités…
Neanticønes : Je citerai 3 sons : « Nexus 6 » de Andrew Bayer, « Twind Murkah » de Mr. Bill & KilloWatts, et « There is a drink in my bedroom and I need a hot lady » de Lindstrøm.
MXXI – Pour finir, comme le thème de dossier mensuel du magazine est « Résister », j’aurais trois questions à vous poser que m’évoque ce thème en lien avec le monde de la musique.
Tout d’abord, j’ai pensé à « résister » dans le contexte des avancées technologiques. Comment envisagez-vous les évolutions du matériel musical, dans un contexte où on entend souvent que la musique électronique et numérique est une musique froide et sans âme, contrairement à la musique acoustique et analogique ? Voyez-vous une nécessité de résister à certaines avancées, ou au contraire souhaitez-vous embrasser ces nouveautés ?
Neanticønes : Je pense qu’il faut combiner le meilleur des deux mondes. Le numérique permet une véritable propreté et transparence. Tandis qu’avec l’analogique, au cours du signal flow le signal audio est susceptible d’intégrer des défauts, des « colorations » qui peuvent être très favorables au son, et agréables et chaudes à l’oreille. Après pour le live, je pense que toutes les avancées technologiques sont très intéressantes, mais ne pourront jamais remplacer, en termes de sensation et de stimulation pour le public, un vrai musicien. Un gars sur ses machines ça a un côté un peu froid, même si on peut avoir du vjing, ou tout un tas de choses qui stimulent les sens. Je pense qu’il faut encore une fois allier les deux ; avoir à la fois des vrais musiciens qui se donnent pleinement au jeu du live, et des machines pour bénéficier des moyens technologiques et profiter d’une qualité de son live proche de la qualité studio.
Plage 84 : Moi j’ai l’impression justement qu’on stagne un peu en termes d’avancées. Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de nouvel instrument, de nouvelle façon de composer. La MAO a été la dernière grande avancée, et aujourd’hui j’ai l’impression qu’on est plus en train de faire tous les mélanges possibles et imaginables entre les styles passés et actuels, plutôt que de chercher un nouveau paradigme musical. Ça donne quelque chose d’hyper intéressant, mais ça fait longtemps finalement qu’on n’a pas eu un grand changement qui nous ouvre de nouvelles possibilités. Les nouveaux genres en musique émergent principalement en lien avec l’apparition de nouveaux outils, or ça fait longtemps qu’un nouvel outil marquant n’est pas apparu.
Neanticønes : Après il y a aussi une limite du côté de l’audition ; le son est diffusé soit en mono, soit en stereo, et je pense que le jour – je ne sais pas si ça va arriver – où tout le monde aura accès à un casque binaural ou à un système d’écoute multi-canaux, les compositeurs pourront amener de nouvelles dimensions à leur musique.
MXXI – Est-ce que les innovations ne pourraient pas aussi venir des structures des morceaux ? Mesure autre que 4/4, durée différente…
Plage 84 : Oui je pense que les gens vont finir par se lasser du 4/4… mais en même temps c’est ce qui fait danser, ça rassure les gens. En club quand tu passes d’autres structures rythmiques plus exotiques ils sont perdus, et c’est ça qui rend l’innovation compliquée. Dans l’inconscient des gens toutes les musiques sont en 4/4, et pourtant ce serait vraiment intéressant d’explorer de nouvelles structures.
Neanticønes : Après il y a aussi la musique pour danser et la musique qu’on écoute en-dehors. En club le format 4/4 reste le plus efficace (visiblement).
Plage 84 : Certes, mais même la plupart des sons chill/détente sont aussi en 4/4…
MXXI – Ma seconde question concerne l’idée de résister en lien avec la tendance à l’uniformisation, du fait de stratégies commerciales et de phénomènes de mode. Avez-vous peur par exemple du monopole de la techno ou de l’EDM en ce moment ? Pensez-vous que ces processus d’uniformisation peuvent menacer la diversité musicale ?
Plage 84 : Je pense que c’est juste une affaire de cycles, c’est souvent des périodes de 4 ans, il y a des modes de sous-genres en musique électronique ; le dubstep, la trap, la future… Par exemple je ne suis pas très réceptif à la mouvance techno actuelle, donc j’attends que ça passe…
Neanticønes : Moi je trouve qu’il y a un gros déséquilibre entre l’intérêt du grand public accordé aux musiques « innovantes », et les musiques un peu « faciles » qu’on peut entendre à la radio par exemple, je trouve ça dommage.
MXXI – Est-ce que les programmations sont trop semblables, pas assez osées ?
Neanticønes : Oui c’est une logique commerciale, l’industrie musicale travaille à uniformiser les goûts, et la plupart des programmateurs ne prennent pas de risques.
Plage 84 : Après je trouve qu’à Paris c’est quand même assez divers, tu peux trouver la soirée qui te correspond, même si bien sûr quand tu as 21 ans aujourd’hui à Paris, la majorité de tes potes vont probablement en soirée techno.
Neanticønes : J’ajouterai que dans un contexte de club, c’est difficile d’innover musicalement, parce qu’en soirée les gens ne sont pas là pour la musique elle-même, mais pour qu’elle les entraîne, accompagne leur fête.
Plage 84 : Je trouve qu’il y a quand même des gens qui viennent pour la prog, mais ça dépend où…
MXXI – Ma dernière question concerne l’idée de résister en lien avec l’opposition majors / labels indépendants. Que pensez-vous de ce rapport de force actuellement ?
Plage 84 : En ce moment il y a une réelle opposition entre producteurs indépendants et les majors, notamment sur Soundcloud. Il faut savoir qu’aujourd’hui les producteurs utilisent principalement Soundcloud pour chercher de la musique et en diffuser. Et ils ont cette culture du remix, on en poste tous. Or en ce moment il existe un gros bras de fer entre les majors et Soundcloud sur la question des mixes et des remixes. Plein de producteurs se font supprimer des mixes et remixes sur Soundcloud, et je trouve ça vraiment dommage que la principale plate-forme de musique électronique ne permette plus ce genre de pratique. On risque tous de se faire soudainement supprimer notre compte et de faire face à un blanc dans notre carrière artistique. On donne du temps et de l’énergie pour faire ces remixes, et la méthode employée par les majors pour faire enlever les différentes tracks est vraiment brutale. Soundcloud à la base était quelque chose d’indépendant, et on est en train de perdre cet espace d’expression. Donc j’espère qu’on va trouver des solutions, un nouveau système.
Neanticønes : Le problème, c’est que l’on a d’un côté les majors qui ne prennent pas trop de risques, et ne participent donc pas à l’émergence de musiques nouvelles, alors qu’elles auraient les moyens de faire des choix artistiques plus risqués et pourraient certainement y trouver leur compte financièrement, et de l’autre les labels indépendants qui sont plus audacieux dans leurs choix, mais manquent souvent de moyens, et se retrouvent donc limités. Jusqu’à maintenant, je préfère sortir ma musique en free download sur ma page, car aucune de ces solutions ne me semble viable aujourd’hui, je penche davantage pour l’option des artistes qui se regroupent et créent des labels ensemble.
Plage 84 : Après je pense qu’une major se fiche un peu du style musical précis ; s’il existe une sorte de « hype » autour d’un artiste, elle sera intéressée.
MXXI – Vous croyez en la pertinence et l’importance des labels indépendants ?
Plage 84 : Heureusement qu’il y a une scène indépendante. Ce sont eux qui font émerger les prémices de ce que vont récupérer les majors ensuite… C’est crucial que les labels indépendants soient là pour faire découvrir d’autres artistes, naître de nouveaux mouvements.
MXXI – Merci beaucoup à tous les deux d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, et on vous souhaite tout le meilleur pour l’année à venir !
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– Le 16 septembre au Meow à PARIS / dj set (event ici)
– Le 3 octobre au Détroit Bar à TOURS / dj set (event ici)
-Le 28 novembre à l’International à PARIS / live set
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