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Porno, handicap et féminisme : rencontre avec la réalisatrice Anoushka

Porno, handicap et féminisme : rencontre avec la réalisatrice Anoushka

Ce samedi 15 août, Canal+ diffusera Vivante, le troisième long métrage porno de la réalisatrice française Anoushka. Une comédie dramatique centrée sur le plaisir féminin traitant du handicap avec, en tête d’affiche, la travailleuse du sexe Yumie Volupté, les perfomeuses Romy Furie et Bertoulle Beaurebec. Une pépite dans l’univers porno.

Indépendant, alternatif, inclusif, produit dans de bonnes conditions… Le porno féministe vise à montrer une sexualité plurielle et diversifiée en s’appliquant à déconstruire les clichés patriarcaux, hétéronormés et phallocentriques. Il peut être drôle et créatif ou conceptuel et artistique. Il tend à favoriser le female gaze (le regard féminin à l’écran, ndlr) et se veut, de facto, politique. En revanche, s’il est un genre cinématographique que le porno féministe n’a encore jamais vraiment exploré, c’est bien celui de la comédie dramatique. Voilà tout l’univers d’Anoushka, passionnée de cinéma, qui a d’abord fait ses preuves auprès d’Ovidie. La réalisatrice profite de ses films pour évoquer les difficultés à atteindre l’orgasme (Gloria, 2016) ou encore la transsexualité (Blow Away, 2018). Avec Vivante, la cinéaste aborde cette fois-ci une thématique rare dans le porno : le handicap, l’assistance sexuelle, et l’acceptation de soi. Rencontre.

Manifesto XXI – De quoi parle Vivante, ton dernier long métrage diffusé sur Canal+ ?

Anoushka : C’est l’histoire de Lou, jeune femme réservée et passionnée de danse, qui fait la rencontre de Charlotte, photographe désinvolte et libérée. Elles deviennent colocataires. Puis très vite, c’est l’évidence. Une idylle amoureuse naît alors entre elles. Lou se laisse aller à de nouvelles expériences, elle se découvre, se fait de plus en plus confiance… jusqu’à cette nuit où à vélo, elle se fait percuter par une voiture. Lou perd sa mobilité. Toute sa vie – professionnelle, sociale, sentimentale et sexuelle – est impactée. Désemparée, Charlotte fait appel à Emma, assistante sexuelle qui réconcilie l’âme et le corps de ses patient·e·s. L’amour de Charlotte et les séances avec Emma suffiront-ils pour permettre à Lou de surmonter cette épreuve ?

Vivante, affiche officielle © René Garcia

Traiter du handicap dans le porno, c’est du quasi jamais vu. Comment l’expliques-tu ?

Comme le dit le personnage d’Emma dans le film : « Le monde se fiche totalement des personnes en situation de handicap. Encore plus si cela concerne leur sexualité. » C’est pareil dans le X. C’est une niche. Il s’agit souvent de porno amateur et fétichiste. Le handicap y est presque toujours physique et le sujet, masculin. De mémoire, le seul contre-exemple qui me vient est le documentaire espagnol Yes we fuck (2015), réalisé par Antonio Canteno et Raúl de la Morena, qui présente la sexualité de personnes en situation de handicap, rompant avec les stéréotypes qui les infantilisent. À travers six récits, ce film montre que leurs corps sont désirants et désirables. Vivante partage le même objectif. 

Comment as-tu procédé pour éviter les clichés ?

En me documentant beaucoup pour commencer. J’ai lu énormément et vu des documentaires. Et puis j’ai proposé à Marie-Léa Kinka de jouer un rôle dans Vivante. C’était crucial pour moi de faire appel à une actrice en situation de handicap dans la vie réelle si je tournais un film sur ce sujet. Sa présence fût précieuse. Vous savez le plus étonnant ? C’est la première fois qu’elle joue une femme en fauteuil roulant. Parce qu’en France c’est encore hyper tabou, Marie-Léa tombe toujours sur des productions qui cherchent à cacher son handicap.

Idem, tu t’es entourée d’une véritable assistante sexuelle. Qu’a apporté son expertise au film ?

En effet, Cybèle Lespérance exerce le métier d’accompagnante sexuelle et je lui ai offert un petit rôle dans le film. Son expérience m’a permis de mieux appréhender le personnage d’Emma, toujours dans la volonté d’éviter de nourrir les préjugés. Dans le film, par exemple, Emma a un conjoint, un enfant, bref une vie de famille classique. On a subtilement introduit lors d’une scène une définition de ce métier : « Il s’agit d’un accompagnement sensuel et sexuel des personnes en situation de handicap […] Il ne s’agit pas d’un soin médical parce que c’est un partage autour du plaisir. Néanmoins, comme la sexualité fait partie intégrante de la santé et du bien-être, [cette] pratique a forcément une dimension thérapeutique. [En revanche,] le discours selon lequel ce serait plus noble parce qu’on s’adresse à un public en fragilité en fait, c’est extrêmement misérabiliste. »

Dans la première scène de sexe du film, il n’y a pas de pénétration pénienne, fait encore rare dans le porno. Plus encore, le personnage de Raphaël joué par Rico Simmons évoque ses difficultés érectiles et l’angoisse qui en découle. Une autre forme de handicap que tu souhaitais traiter ?

Tout à fait ! Le handicap n’est pas toujours physique, ni visible. C’est le cas des troubles psychiques. C’était important pour moi d’en parler à travers cette scène qui balaie par la même occasion les clichés sur la virilité. Le personnage d’Emma rassure son patient en lui disant que contrairement aux idées reçues, « La masculinité, ce n’est pas bander dur et fort. Y a plein d’autres manières de baiser. »

Le film explore d’autres thématiques, lesquelles ?

Le body-positivisme. Le personnage de Charlotte tient un discours bienveillant vis-à-vis de Lou, sa « glorieuse combattante », lorsque cette dernière lui fait remarquer ses complexes physiques. Le film renverse les stéréotypes de genre et évoque aussi le consentement, la sororité à travers un atelier de masturbation. Le plaisir féminin est d’ailleurs une pièce centrale du film. Avec des personnages principaux féminins forts, on est sur du pur female gaze.

Vivante est une comédie dramatique, comment s’empare-t-on d’un tel genre dans le X ?

Il faut faire en sorte que l’ensemble ne soit pas trop « dark », que les scènes dramatiques ne brusquent pas les spectateurs. Mon secret, c’est de commencer la narration sur de la légèreté en introduisant des scènes parfois comiques pour laisser les spectateurs s’attacher aux personnages et ce, avant même de passer à la partie dramatique. Tout est une question d’équilibre.

Love de Gaspar Noé, film projeté en salles en 2015, présente aussi des scènes de sexe non simulées. Quelle différence au fond ?

Je n’ai pas la prétention de comparer mon travail à celui de Gaspar Noé, mais en effet, le porno fait aussi partie du 7e art. Comme Noé, je fais du cinéma avec des scènes de sexe explicites. Vivante reste un film d’auteur. Par mon travail, j’essaie de déghettoïser le porno. 

Ton porno est résolument féministe. Comment produit-on éthique ?

En versant un salaire égal déjà, car dans le porno dit mainstream, les acteurs sont moins bien payés que les actrices. En rendant systématiques les tests de dépistage aussi. Sur les tournages, les artistes ont un droit de réserve sur les pratiques et le choix de leurs partenaires. Je veille à ce que l’alchimie opère entre le casting et l’équipe technique. Je n’exige ni maquillage ni épilation particulière. Dans mes films, il y a pas mal d’acting et les scènes de cul ne sont jamais gratuites. Surtout, contrairement aux productions mainstream, je ne coupe pas les prises. C’est ce qui me permet d’avoir à l’image des fous rires entre les comédiens ; ces petits moments de grâce et de complicité.

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Romy Furie sur le tournage de Vivante © Pia Ribstein

Le porno féministe coûte-t-il plus cher ?

On a tourné Vivante en huit jours. Habituellement, je tourne plus longtemps – quinze jours – mais le budget était, cette fois-ci, plus serré. J’aurais pu le tourner plus vite mais je respecte le temps de repos du casting et de l’équipe. Alors oui, le porno féministe coûte cher, seulement les moyens ne suivent pas toujours. Entre 20 et 25k€ pour Vivante. Une goutte d’eau lorsque l’on connaît les budgets dans le cinéma classique. Et une enveloppe bien plus fine que celle de mes précédents longs métrages pour Canal+. Résultat, une fois le casting et l’équipe technique rétribués, plus de quoi me payer. Pourtant, c’est mon scénario, ma réalisation, mon montage. Mieux, j’ai même dû y mettre de ma poche ; aussi parce que mes exigences sont élevées. Et encore, on a fait fonctionner le réseau, les amis, on a tourné dans ma région à Metz… Si on avait dû tout payer, le budget aurait facilement doublé.

Pourquoi continuer si cela est si difficile financièrement ?

Le fait que mon avant-dernier long métrage Blow Away ait rassemblé autant d’audience qu’un Dorcel Premium sur Canal+ est révélateur. La demande est là. Et puis le fait que de nouvelles plateformes où acheter du porno éthique se multiplient est bon signe. Bien sûr, pour être honnête, mes courts métrages (disponibles en VOD sur mon site) ne me rapportent pas grand-chose non plus. D’autant que Paypal interdit toute transaction liée au porno. Mais je continue à m’investir car c’est important pour moi, politiquement et artistiquement. 

Où et quand peut-on voir Vivante ?

Le film sera diffusé sur Canal+ le 15 août à 00h20, le 16 août à 00h32 et le 23 août en décalé. Ensuite, il sera disponible en VOD sur MyCanal pendant un an. Après quoi, il sera disponible de la même manière sur mon site web. Par ailleurs, bonne nouvelle, Vivante a été sélectionné au Porn Film Festival de Berlin qui se déroulera du 20 au 25 octobre prochain. Paulita Pappel [réalisatrice réputée et curatrice du festival] m’a appelée pour me féliciter. Je suis plutôt fière.

https://twitter.com/PaulitaPappel/status/1291709136162500608?ref_src=twsrc%5Etfw

Quelle est la suite pour toi ?

La sortie de mon prochain film pour Canal+ est prévue pour 2021. L’idée est là, ainsi que le titre : Captive. Le casting n’est pas encore fixé mais j’ai très envie de retravailler avec Misungui. Je referai aussi probablement un court métrage d’ici la fin de l’année. Mais là tout de suite, j’ai besoin d’un break [rires]. Comme le dit si bien le personnage d’Emma dans Vivante : « On ne mène qu’une bataille à la fois. »


anoushkamovies.com
Image à la Une : Anoushka © Loris Romano

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