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Quatre institutions marseillaises s’expriment sur l’urgence culturelle

Quatre institutions marseillaises s’expriment sur l’urgence culturelle

Le festival Parallèle a lieu à Marseille cette semaine mais, restrictions obligent, sans son public. Performances et spectacles seront disponibles en ligne et sur les réseaux, alors que les expositions sont ouvertes uniquement à un public de professionnel·les. Dans ce contexte exceptionnel, forçant les institutions culturelles à renoncer à leur vocation d’accueil et de médiation, nous avons rencontré les acteurices de Parallèle, Triangle Astérides, Coco Velten et le Ballet national de Marseille. Comment ont-iels fait face à cette crise sans précédent ? Que ressentent-iels alors que la précarité et l’isolement transforment leur environnement ? Quelle vision de la culture et de l’art nos gouvernements sont-ils en train de défendre et quel avenir imaginer ensemble ?

La onzième édition de Parallèle a été une question d’endurance, d’inventivité, de conception de nouveaux formats. Comment un festival peut-il se passer du public ? Si la digitalisation a permis d’assister à certaines des représentations, le reste de la programmation a lieu portes fermées. C’est avec détermination que les organisatrices ont décidé tout de même de préserver le précieux lien avec leur public, en mobilisant les institutions participantes.

Penser en termes de résistance

« Tout à l’heure on sera dans la rue pour participer à la manifestation ‘Culture en danger’, annonce Elsa Buet, chargée de programmation à Coco Velten. Cela résume bien comment on se sent. » Depuis des mois, ce lieu, destiné à l’occupation temporaire des anciens locaux de la Direction des Routes, centre d’accueil pour des personnes sans domicile, endroit de fête et d’expositions, bar et catalyseur de la vie du quartier, a dû fermer ses portes au public. Parallèle y a son quartier général, ainsi qu’une autre quarantaine d’associations.

« C’est un honneur pour nous d’avoir des institutions comme Parallèle dans nos locaux. On a la même vision culturelle visant à soutenir l’émergence et l’audace » continue Elsa. Pour la troisième année, dans le cadre de la programmation du festival, Coco Velten contribue à l’exposition La Relève, qui donne la voix à des jeunes artistes aux pratiques visuelles multiples. Thème de cette édition : « Habiter », sujet particulièrement pertinent en temps de confinements forcés.

La question n’est pas seulement de savoir comment survivre financièrement. C’est aussi de préserver le sens de ce que l’on fait.

Lou Colombani, fondatrice de Parallèle

Mais Coco Velten n’est pas uniquement un espace d’art, il se nourrit de ses échanges avec les habitant·es du quartier de la Porte d’Aix. Se séparer des genstes qui habitent le lieu au quotidien l’aurait-il éloigné de sa vocation première ? « C’est justement avec le confinement que nous avons le plus réussi à dialoguer avec notre public, notamment grâce à des actions alimentaires dirigées vers des populations précaires, explique la jeune chargée de programmation. Nous avons cuisiné des paniers repas avec des bénévoles et les avons distribués dans le quartier. Nous avons aussi fait des colis de denrées pour les familles dans le besoin. Notre terrasse reste ouverte et nous continuons nos activités de végétalisation du toit commun. »

Chic d’Amour © Coco Velten

Selon Elsa, s’il est nécessaire de protéger les populations les plus fragiles, les mesures prises par le gouvernement en disent long sur sa vision de la culture. Un secteur qui a été jugé finalement non essentiel, qui a subi une précarisation et une fragmentation. D’autres formes d’organisations auraient pu être trouvées si l’on avait pris conscience de l’importance de la survie de centaines de lieux, associations, événements. « L’économie de marché a été appliquée au monde de la culture. On en est à un moment de quasi désobéissance civile alors que la fête et la rencontre humaine sont tout bonnement interdites » conclut-elle. Quelles nouvelles formes de résistance, de convivialité, de solidarité trouver dans les interstices des libertés qui nous sont laissées ?

La tenue du festival Parallèle en était une, car même en temps de Covid-19, cette onzième édition a tout fait pour avoir lieu. Lou Colombani, fondatrice, refuse que l’on définisse l’organisation de ce festival comme un « acte de courage » mais reconnaît qu’on « n’en peut plus ». Que ce cadre ne laisse pas songer au monde d’après. La culture a tout simplement été abandonnée et le soin a été laissé aux travailleur·ses de trouver des nouvelles manières d’exister en s’insérant dans les brèches de choix économiques favorisant certains secteurs.

Nous continuons de travailler et d’être là parce que nous soutenons les artistes et que nous aimons ce que nous faisons. 

Céline Kopp, directrice de Triangle Astérides

Lou essaie de relativiser : Parallèle et bon nombre d’autres grandes institutions ont pu bénéficier d’aides importantes. « Mais l’argent ne fait pas tout » et c’est peut-être ce constat qui témoigne de l’incompréhension de la part du gouvernement de ce qu’est un lieu culturel. « Nous avons besoin de vivre. Nous avons besoin de notre public. Les artistes se nourrissent de ce partage. » D’autant que, comme la ministre Roselyne Bachelot elle-même l’a surligné, aucun cluster du virus n’a été identifié dans des lieux culturels, qui ont tout mis en œuvre pour recevoir en respectant les conditions sanitaires. Un sentiment d’injustice se propage quelque peu, alors que les centres commerciaux restent ouverts et non pas les musées…

Des organisations culturelles empêchées dans leur vocation de soin

La onzième édition de Parallèle a avant tout été le prolongement d’une envie de faire. Pour chaque artiste, les organisatrices ont essayé d’imaginer des formats le plus possible adaptés à la démarche et au propos. « Nous nous sommes positionnées véritablement en tant que productrices » explique Lou.

Non, les expositions ne constituent pas un risque de contamination et les équipes sont prêtes à accueillir les publics avec des mesures sanitaires renforcées.

Céline Kopp, directrice de Triangle Astérides

« Nous continuons de travailler et d’être là parce que nous soutenons les artistes et que nous aimons ce que nous faisons » rebondit Céline Kopp, directrice de Triangle Astérides. Pour ce centre d’art contemporain accueillant des résidences d’artistes, s’il a été nécessaire de fermer les portes du centre d’art, il fallait réfléchir à comment continuer les projets en cours. Elle insiste sur les conséquences de cette crise sur les artistes : dates reportées, expositions annulées… « Il y a eu une question humaine de gestion de crise : comment apporter du soin à ces artistes venu·es en résidence chez nous » explique-t-elle, rappelant que le soin est une notion cruciale qui traverse les pratiques de chacune de ces institutions.

Pour Triangle, le plus important a donc été de garantir au moins la continuité d’un espace de travail. « Quand on accueille des jeunes venu·es d’autres pays, on ne peut pas les laisser seul·es. Il fallait surtout préserver les résident·es. On est heureux·ses parce que nous avons réussi à maintenir ces espaces de liberté nécessaires à l’expérimentation : les retours sont aussi intenses en termes créatifs et humains qu’a pu l’être la situation actuelle » continue Céline, qui, avec nombre d’autres collègues, est « au créneau, parce que non, les expositions ne constituent pas un risque de contamination et les équipes sont prêtes à accueillir les publics avec des mesures sanitaires renforcées ! »

Depuis l’année dernière, Triangle est associé à Parallèle. Pour cette nouvelle édition, c’est l’œuvre éloquente de Ndayé Kouagou qui sera présentée le 26 janvier à partir de 18h : « Faut-il se construire dans l’opposition ? » nous questionne-t-il, dans sa série vidéo Good People TV.

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Ndayé Kouagou © Triangle Astérides
Inhiber la jeunesse : un dessein politique qui dépasse le covid ?

Selon le collectif (LA)HORDE, directeurices du CCN Ballet national de Marseille, « la crise a juste été un révélateur de dysfonctionnements structurels dans notre pays, au niveau de la culture, de la santé, du travail… des failles profondes pré-existantes qui minent le vivre-ensemble et la démocratie ».

Il est fondamental de se poser la question de notre humanité : ce n’est pas juste de la poésie, les décisions politiques ne peuvent pas ne pas se soucier de ce qui nous rend humain·es.

(LA)HORDE, Ballet national de Marseille

Dans la vision des dominants, univoque et hygiéniste, l’idée du soin est presque devenue un instrument de coercition : ne pas adhérer aux fermetures, ne pas être d’accord avec les choix étatiques serait un signe de manque de solidarité voire d’humanité. Si on suit cette logique, l’aide que les artistes pourraient apporter en temps de pandémie serait donc de se mettre de côté, d’accepter d’être les premier·es à sauter…

« La crise a servi des desseins qui sont beaucoup plus inquiétants que ce qu’il n’y paraît. Supprimer tous les endroits où on peut exercer la liberté de se réunir est un danger gravissime : les idées et les énergies ne peuvent plus circuler, continuent-iels. Il est fondamental de se poser la question de notre humanité : ce n’est pas juste de la poésie, les décisions politiques ne peuvent pas ne pas se soucier de ce qui nous rend humain·es. »

(LA)HORDE regrette que les arguments touchant à l’humain soient trop souvent vus comme « hippies » et abstraits alors que le constat est purement logique : au vu de la stratégie drastique adoptée, comment est-il possible que l’ouverture des grandes surfaces et des centres commerciaux n’ait jamais été remise en cause au détriment des petits commerces, des institutions culturelles et des associations de quartier ? On aurait pu penser à des coopératives, à des systèmes de livraison autres que Deliveroo, à préserver des espaces plus petits brassant moins de monde… Un choix de société a été clairement fait en surfant sur la crise sanitaire.

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L’émergence des danses post-internet était une forme d’opposition aux totalitarismes modernes.

(LA)HORDE, Ballet national de Marseille

Le week-end du 16 janvier aurait dû avoir lieu la manifestation « Culture 4 Liberty », lancée à l’appel de l’union de plusieurs collectifs artistiques liés au milieu de la fête et, plus spécifiquement, des soirées et événements LGBTQIA+. Cette marche pacifique et joyeuse n’a pas pu voir le jour car empêchée par les forces de l’ordre. La préfecture s’est empressée de qualifier cette manifestation tout à fait encadrée de « rave party » illégale. Dans un décor dystopique, les chars étaient encerclés de CRS. En clair : la préfecture a illicitement réprimé un acte d’exercice de notre liberté d’expression.

(LA)HORDE, membre de cette nouvelle grande organisation solidaire, ne peut y voir qu’une énième tentative d’inhiber la jeunesse, de la culpabiliser, de la pointer du doigt alors qu’elle est déjà dramatiquement menacée par la crise. Tout comme les jumpers [les danseurs de jumpstyle, danse qui est à la base de l’ADN de (LA)HORDE et qui s’est affirmée sur Internet, ndlr], les jeunes, les artistes, celles et ceux pour qui la fête est un lieu de rencontre nécessaire, doivent trouver désormais des manières de s’exprimer et de créer clandestines. Souvent dénigré·es pour leur lien avec la scène festive hardcore, le cas des jumpers est un parfait exemple de méfiance institutionnelle envers la fête et son potentiel d’expression.

Au-delà de cette crise, nous devons veiller à ce que fragiliser les organismes culturels, les artistes, les technicien·nes, ne devienne pas un plan d’avenir.

(LA)HORDE, Ballet national de Marseille
(LA)HORDE © Boris Camaca. D.A Alice Gavin

Si aujourd’hui (LA)HORDE bénéficie d’une reconnaissance, le collectif n’oublie pas ses origines. Le jumpstyle et ses communautés en ligne se sont avant tout révélés être un moyen pour des personnes isolées, partageant la même passion, de communiquer. Dans un documentaire tourné en 2018, iels nous rapportaient que l’émergence des danses post-internet était une forme d’opposition aux totalitarismes modernes.

Comment alors ne pas établir un lien entre la floraison des fêtes clandestines partout en France, et à Marseille avec une vigueur particulière, et les politiques liberticides mises en place par le gouvernement Macron ? Comment ne pas écouter la voix de ces institutions culturelles qui, sans langue de bois, s’opposent aux choix de société faits en 2020 allant bien au-delà d’une urgence sanitaire ? « Au-delà de cette crise, nous devons veiller à ce que fragiliser les organismes culturels, les artistes, les technicien·nes, ne devienne pas un plan d’avenir » soulignent les chorégraphes. Lou Colombani recentre la discussion en invitant à songer au monde d’après : concrètement, on fait quoi ? Quelles pratiques et systèmes nouveaux mettre en place ?

Selon (LA)HORDE, « de nouvelles manières de fonctionner sont déjà nées. Il suffirait aux institutions étatiques d’aller consulter celles et ceux qui en sont à l’origine. Le modèle de Coco Velten par exemple est reproductible et viable. Il s’agit alors d’aller chercher les personnes qui ont vraiment un projet de société alternatif. » « On est là d’une manière plus individuelle. C’est vrai. Mais je vois aussi que les artistes entre elleux essaient de créer des synergies, iels se cherchent, iels prennent soin les un·es les autres » observe Céline Kopp.

Alors que le débat animé et vivifiant continue entre ces courageux·ses travailleur·ses de la culture et que les manifestations se multiplient, résonnent, ironiquement actuels et superbement bien scandés, les mots de Ndayé Kouagou, lus par Céline Kopp : « Qui dit époque confuse et complexe, dit positionnement confus et complexe, mais rassurez-vous, je serai là pour vous conseiller. Dans Good People TV, je répondrai à vos questions, toutes vos questions, et ferai de vous une bonne personne. Pour vous aider encore plus, je vous donnerai aussi les questions à se poser, et la première sera ‘Faut-il se construire dans l’opposition ?’ »


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