On connaissait Hugues Rey sous le nom de Bobmo, jeune producteur de musique électronique débarqué à seulement 18 ans sur le label le plus cool du début du 21ème siècle, Institubes. En véritables ovnis dans la scène club parisienne où la minimale est de rigueur, les artistes de la famille Institubes préfèrent mélanger la techno à des samples de ghetto house et de dirty south. Bobmo évolue aux côtés d’artistes comme Das Glow et Surkin, avec qui il collaborera plusieurs fois sur des morceaux de house épileptiques inspirés des maitres de Chicago, sous le nom de High Powered Boys. L’époque Institubes a sans nul doute marqué une époque, laissant la trace d’une dance music extrêmement référencée avec des morceaux survitaminés construits en patchworks. Une musique de nerds, de connaisseurs mais aussi une musique qui a fait danser des foules compactes à l’âge d’or du Social Club. Bobmo c’est aussi Marble, label qu’il créé en 2011 avec Para One et Surkin et qui sortira notamment des EP de Canbaster et Myd de l’écurie Club Cheval. Aujourd’hui, onze ans après la sortie de son premier album, Bobmo est devenu Hugues Rey, abandonnant le pseudo pour marquer le début d’une nouvelle ère. Son deuxième album sous son vrai nom est sorti le 23 novembre sur son label New Dawn en format cassette. Construit comme la bande son d’une expédition dans le Grand Nord, Whiteout est un voyage fantastique à travers les intempéries d’un paysage enneigé. On a voulu en savoir plus sur ce petit bijoux sonore mais aussi sur le parcours de Hugues Rey à travers une décennie de sons.
Tu viens de sortir l’album Whiteout qui se démarque totalement de tes albums et EP précédents. On peut y retrouver certaines ambiances black metal.
Oui c’est vrai. En fait, je me suis replongé dans ces trucs là en faisant cet album. Il y a cet illustrateur norvégien du XIXe qui s’appelle Theodor Kittelsen et qui fait des paysages fantastiques et enneigés avec des trolls et des monstres un peu partout. En composant la musique, j’avais ce genre d’illustrations en tête et l’ambiance de ma musique combinée a ces dessins me faisaient penser à du black metal 90s par moment. Ce n’est que trois mois après que j’ai compris que des groupes avait utilisé plein d’illustrations de ce mec pour leurs pochettes. D’ailleurs, en parlant de ça, sur l’artwork de mon second EP de 2007 3000% Yes, on avait détourné le logo Darkthrone. Un jour, Fenriz le chanteur du groupe, m’envoie un message sur MySpace pour me dire qu’il trouvait le tribute marrant, et il me raconte qu’il a des platines chez lui et qu’il mixe de la techno depuis 1992, qu’il a un tatouage Plastikman sur son bras… (rires) J’ai commencé à sympathiser un peu avec lui et je lui ai envoyé mon disque. Là, il y a quelques mois, donc dix ans après, il a posté une photo de lui sur son Soundcloud où il porte un t-shirt Institubes. C’était trop bizarre. (rires)
Il a l’air hyper sympa Fenriz !
Oui, en fait il est hyper déconneur. Le mec écoute Armand Van Helden à la salle de sport ! Tu le vois bien dans ses interviews et son émission sur NTS, il est loin de l’image qu’on se faisait de lui autrefois. J’aime beaucoup certains de ses morceaux. Après, je ne suis pas nerd de cette musique là, l’univers du black metal peut m’inspirer mais comme n’importe quelle scène underground en fait.
L’ajout de bruits de vent, de pas dans la neige, d’objets métalliques ajoute à l’ambiance sombre de l’album.
Oui, ça c’est le sel qu’on met à la fin sur le morceau. Ça reste quand-même de la boîte à rythme, des pistes ambient sans guitare. Je dirais que c’est une sorte de house qui aurait du mal à groover face aux conditions climatiques !
Tu as enregistré tous les bruitages toi-même ?
Tous les bruits de vents, je les ai faits au synthé. Mais il y a des bruits de pas samplés dans le dernier morceau, celui avec la cornemuse. (rires) L’album, je l’ai fait en trois ou quatre jours mais j’ai juste rajouté ce morceau au dernier moment. Je l’ai enregistré entre Noel et le 31 décembre et il neigeait à Paris, il faisait hyper froid. Je voulais faire un album pour me marrer sans trop me poser de question sur l’aspect technique ou la production. Je l’ai imaginé comme le soundtrack d’un film où le personnage principal doit survivre, perdu au milieu de nul part !
On sent que tu t’es beaucoup amusé à faire cet album.
Oui c’est vrai ! Il y a ce morceau avec des bruits d’essuie glace, mais ça reste très blagueur pour moi. J’ai enregistré ce projet aussi parce que je me sentais un peu frustré de mes deux premiers albums qui sont très “best of” d’influences. Whiteout je l’ai vraiment fait d’une manière différente, c’était presque improvisé, à l’instinct. Le résultat est sûrement moins référencé.
Avec cet album, tu t’éloigne définitivement du créneau “musique de club”.
Un peu mais en fait non : il y a quelques semaines j’ai sorti un maxi club de DJ-tools sur mon Bandcamp, j’aime bien me contredire parfois. Tant que chaque projet est cohérent, ç’est cool. Si je me remets à sortir en club, peut-être que j’aurais envie de produire d’avantage ce genre de musique. Mais il y a toujours une base club dans mes sons, même dans cet album, que ce soit dans le choix des boîtes à rythme ou des synthés. La mélodie change mais le squelette de la musique garde cette influence club, Chicago house. C’est moins fonctionnel, ce n’est pas fait pour les DJs, ça c’est clair.
Dans le titre de l’album Whiteout il y avait une référence au bruit blanc ?
Non, en fait “whiteout” c’est un terme anglais qui provient du vocabulaire de la route. C’est quand tu ne vois plus rien en face de toi, que tout est blanc tellement il y a de neige. Il y a une sorte de lumière bizarre du coup tu ne vois rien, tu es comme aveuglé. C’est hyper dangereux. Mais peu importe la définition, j’aimais bien le mot, ça collait bien à mon idée esthétique de l’album.
Peux-tu m’en dire plus sur le concept de ton album, basé sur une expédition dans le Grand Nord ?
Il n’y pas de concept, il faut que ça reste abstrait. Je n’ai pas envie que ça ressemble à un concept album bidon si je te l’explique en détail. Je laisse les gens s’imaginer ce qu’ils veulent. Ce que je peux dire c’est que je voulais faire un lien entre l’aspect lo-fi du son et le coté rude, hivernal, comme un mec qui se prendrait une tempête en pleine tronche. Un son très rêche, rugueux. L’important c’est de ressentir ça, un truc hivernal au moins.
Tu n’as pas voulu t’isoler quelque part en Sibérie pour composer cet album ?
Non, je suis resté à Paris ! Ça aurait été marrant pour l’expérience mais si j’étais parti enregistrer ça pendant une semaine ou un mois dans un pays enneigé du Nord, j’aurai fait les choses trop sérieusement. Je ne voulais pas faire un truc réaliste justement, mais au contraire, imaginé, très naïf avec de la fantaisie. Il ne faut pas prendre ça trop au sérieux en fait. Là c’est fait à l’arrache à la maison, c’est très spontané. Mais pourquoi pas un jour faire de la musique sur place, dans un endroit dangereux.
J’ai vu que tu avais composé des morceaux pour la mode aussi.
Oui j’ai fait ça pour des lookbooks avec deux réalisateurs. Il y a encore cinq ans j’étais assez réticent à l’idée de faire ce genre de choses. Mais bon, je gagne un peu d’argent avec ça et puis c’est intéressant de faire de la musique sur image. Ça m’entraîne pour mes propres albums. Je peux parfois tester des trucs que je n’aurais jamais fait dans mon projet personnel. J’ai par exemple essayé d’incorporer de la guitare sur un des lookbooks, chose que je n’aurais jamais osé faire en temps normal. J’apprends beaucoup en faisant ces projets commerciaux.
On pourrait presque faire un rapprochement avec Whiteout qui a un côté sound design.
Oui mais Whiteout est vraiment fait à l’arrache. Quand je fais un truc pour Vuitton, j’essaye de m’appliquer un peu plus. Les marques veulent souvent des morceaux hyper léchés.
Ça ressemble à quoi un morceau pour Louis Vuitton ?
Là ils avaient fait une vidéo avec des meufs qui tournaient sur elles-mêmes en montrant leurs habits. Ils voulaient que le son reproduise une sorte de making-of du shooting en studio avec des voix qui résonnent, des sons de photo, des bruits de talons… J’ai juste pris mon micro et j’ai dit à ma copine de marcher dans l’appart, je parlais un peu en fond et puis j’ai rajouté des bruits random en rythme. Je n’ai pas honte de faire ce genre de projets. On est en 2018 maintenant, il n’y a plus de débat sur ce qui est underground ou commercial à faire. Il y aura toujours des puristes de la techno qui vont râler. En tout cas, ce genre de taff ça a forcément de l’influence sur mes projets perso ou même dans l’élaboration de Whiteout, parce que j’ai souvent des images en tête quand je compose. Pour le morceau avec le son d’essuie glace par exemple, j’imagine bien un mec coincé dans sa voiture avec le temps qui s’étire de plus en plus. Il y a aussi un côté Steve Reich dans la répétition d’un sample à l’infini, mais en rave, en vraiment idiot.
Il y a des passages très drone aussi dans l’album. C’est un genre de musique que tu écoutes ?
Oui, j’écoute de tout. Pas du drone pur, mais beaucoup de vieux Krautrock, comme le premier album d’Harmonia, celui avec des vieilles boites à rythmes presque house. Pas mal de vieilles instrus Grime en ce moment aussi. Tout peut me plaire, même le dernier DJ Snake. (rires) En tout cas je ne me sens pas appartenir à une scène, et je déteste quand certains journalistes me décrivent comme un producteur de house ! Pas du tout ! Je ne suis pas né à Chicago, je suis juste un mec qui essaye des trucs. Parfois c’est plus simple de dire “producteur de musique électronique” parce que ça regroupe plein de choses. J’étais hyper nerd de house pendant longtemps et encore aujourd’hui mais je ne suis juste pas né là dedans. Je viens du rap à la base.
Comment t’es venu l’amour de la house ?
J’écoutais du rap indépendant quand j’étais ado. Des potes de mon frère m’avaient filé plein de CD de Warp records. Du coup j’ai commencé à écouter Antipop Consortium, un groupe de rap avec des instrumentaux électroniques, ensuite j’ai découvert Autechre puis LFO. C’était à l’époque de Soulseek. Avant d’avoir Internet, à 14/15 ans, je faisais importer des CD au Virgin. Je recevais des piles là bas que je pouvais écouter sur place mais je n’en achetais qu’un. Ça les faisait trop chier. (rires) Quand j’ai eu Soulseek ça a été la révolution. Je faisais tourner mon ordi tout le temps, j’essayais de comprendre tous les styles de musique. C’est là où je suis tombé sur la veine hyper ghetto des trucs house de Chicago comme les labels Dance Mania et Trax Records. J’étais hyper fan, j’adorais le côté très crade et brut de cette musique, notamment les tracks d’Armando. C’était exactement comme le rap que j’écoutais à l’époque. J’ai essayé de faire de la house et ça a plu aux gens d’Institubes qui m’ont signé à l’époque.
Ils t’avaient repéré sur MySpace ?
Oui, exactement. J’ai reçu un message de Para One qui avait bien aimé mon morceau “Home Alone”. Puis Teki Latex m’a demandé des démos. Je commençais à connaitre Surkin à l’époque, qui allait signer sur Institubes aussi. Ça s’est fait comme ça. J’ai filé mes premières demos de house qui étaient assez mal faites… J’étais un mec de 18 ans qui essayait de faire de la dance music donc c’était carrément maladroit. Même si ça a mal vieilli, j’en reste fier. Il faut dire que c’était trop mal produit. (rires) Même si j’aime toujours la house, aujourd’hui le rythme 4/4 à 125 BPM m’ennuie vite. Et ça devient très compliqué de réussir à trouver de nouvelles idées avec ces barrières là, surtout si tu veux sonner comme à l’époque. En fait c’est devenu très formaté au fil des années.
Au sein d’Institubes, tu avais l’impression que vous étiez tous sur la même longueur d’ondes ? Vous partagiez une vision commune de la musique électronique ?
Oui, on avait un peu les mêmes goûts. En fait, la signature d’Institubes c’était “Musique de masse pour gens spécifiques” et ça c’était hyper cool. On pouvait très bien jouer les premiers Errorsmith et les mixer à un morceau de Ludacris puis enchaîner avec un morceau de hard house mexicaine. On adorait tout mélanger quitte à provoquer un peu. C’était le fondement du label et de cette époque là. Il y avait moins ces discours puristes d’aujourd’hui qui ne jurent que par la “vraie techno analogique”. On voulait bousculer ça aussi avec Marble.
Vous aviez une démarche plus spontanée et décomplexée que certains autres labels.
Oui c’est vrai. Je pense que c’est parce qu’on venait tous du rap underground et qu’on adorait Timbaland. A part Das Glow, qui était notre caution real techno (rires) Nous on découvrait la musique électronique et on la faisait à notre façon. Ça faisait des trucs un peu catchy avec des bouts de voix que les producteurs de minimale détestaient sûrement.
Vous avez vu l’arrivée en masse de la minimale dans les clubs en France ?
Il y avait déjà la minimale quand on a commencé, c’était la micro house, la musique qu’il y avait au Pulp ou à Bordeaux, là où j’habitais juste avant. C’était hyper à la mode jusqu’en 2003/2004 en France. Les gens du Pulp étaient cool mais quand on arrivait avec notre musique ils ne devaient pas trop comprendre. Eux passaient des sons hyper raffinés, fins, avec le même hi hat pendant une heure. Nous on était là, hyper jeunes, hyper bourrés, à mettre nos tracks trop bizarres avec des voix rap et des samples ghetto par dessus. Je ne suis pas sûr qu’ils nous respectaient. (rires) Après, ce sont des modes. A un moment tout l’univers Institubes est devenu complètement has-been. Il y a eu la techno à nouveau avec la folie du Berghain. Mais l’esprit de la club music décomplexée est vraiment en train de revenir, j’ai l’impression.
Tu avais un avis sur cette Berlin-mania qui a envahi les clubs à Paris ?
Je m’en foutais. Je n’ai pas trop d’avis là-dessus, j’aime bien la techno type Berghain mais ce n’est pas quelque chose qui m’excite à mort. J’aime la techno tout court. Après, beaucoup des gens de cette scène ne sont pas du tout ouverts d’esprit. De toute façon les modes changent tout le temps et cette obsession pour Berlin est en train de s’estomper. Maintenant c’est le reggaeton. (rires) Ou la noise.
Ou la trap.
Aussi. Tout se mélange en fait. Chez Institubes, on respectait beaucoup Diplo au début. Lui et Low Budget (sous le nom de Hollertronix) avaient sorti l’album Never Scared en 2003; c’était quand Diplo était respecté par les nerds et les gens qui suivaient Institubes. Il mélangeait de la pop des années 80 avec du Dirty South justement, et pleins d’autres choses super crades comme de la Baltimore Club. Hollertronix c’était une version américaine et plus rap des 2 Many Dj’s, et donc l’opposé de la techno minimale qu’on entendait partout dans les clubs à l’époque.
Tu sais pourquoi Institubes a fermé ?
Je ne pourrais même pas te dire exactement. Je crois que les disques revenaient chers et étaient longs à fabriquer. C’était hyper frustrant à la fin pour les artistes parce que quand on faisait un EP, il sortait un an après. Mais j’ai de super souvenirs de ce label. On s’entendait vraiment bien. Le logo était trop cool aussi. J’ai retrouvé un t-shirt chez moi l’autre jour.
Et ensuite tu as créé le label Marble avec Surkin et Para One. Pourquoi cette décision ?
On se disait que les temps de sortie d’un album chez Institubes étaient trop longs, que faire des vinyles ça coûtait cher et qu’il fallait attendre des mois que l’usine te les livre… Nous avec Marble, on voulait aller vite et on s’est dit qu’on ferait tout en digital pour sortir le plus de choses possible. A l’époque, on était tous dans les mêmes studios dans le 11ème. Tous les jours on se croisait, on faisait des morceaux ensemble. Marble c’était ça quoi.
Tu as créé ton propre label New Dawn. Tu as des buts précis pour ce projet ?
Pour l’instant il ne sert qu’à sortir mes propres sons. Le pack Whiteout “kit de survie” avec une cassette, une carte, des illustrations et des allumettes aurait été difficile à sortir sur un label classique. Et je me suis amusé à le faire moi même. En tout cas je ne sais pas encore ce que je vais faire de New Dawn, ça me permet de faire tout de A à Z quand j’en ai envie mais ça ne m’empêchera pas de sortir de la musique ailleurs non plus.
Tu es encore en contact avec les gens de Marble ?
Oui, carrément. Là j’ai vu Para One récemment. Sinon Surkin je le vois aussi, pareil pour Das Glow quand il est à Paris. Les membres de Club Cheval je les croise souvent. Tout les monde est à Paris à part Das Glow qui est à Berlin.
Comment tu avais rencontré Club Cheval ?
Teki Latex nous avait mis en contact. Panteros666 avait sorti un truc sur Sound Pellegrino et Club Cheval est arrivé au studio dans le 11ème. Ça s’est fait naturellement.
Il y a quelque chose en particulier qui vous a réuni ?
On avait un peu les mêmes goûts. On trouvait cool de mixer de la dance music avec du R’n’B par exemple. C’est surtout Canblaster et Myd qui ont sorti des EP chez Marble. En fait Marble c’était le prolongement de l’esprit d’Institubes.
Marble a dû s’arrêter aussi. C’était pour les mêmes raisons qu’Institubes ?
Non. On avait des projets très différents à ce moment là. Para One allait faire une musique de film et Surkin avait son projet Gener8ion qui sortait sur Bromance. Moi je voulais faire quelque chose de différent aussi. Peut-être qu’un jour on refera une soirée Marble. En 2014, quand le label s’est arrêté, on voulait tester d’autres choses. Et puis, on faisait tout nous mêmes et c’était énormément de boulot. Quand tu sors un album et que tu dois gérer le reste à côté, c’est compliqué. Il n’y avait pas de label manager ni rien, on était vraiment seuls. J’avais sorti mon album en vinyle et ça m’avait pris beaucoup trop d’énergie. Gérer le label en plus c’était too much.
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