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Hot Chip. « Les gens ont besoin de croire en l’humanité »

Hot Chip. « Les gens ont besoin de croire en l’humanité »

Les Anglais ont publié cet été leur 7ème album studio, A bath full of ecstasy, un condensé de hits euphoriques house et électro. La quintessence du style d’Hot Chip se situerait bien quelque part à mi-chemin entre le Nirvana et le 7ème ciel. Rencontre.

Le trip commence sur le titre jouissif « Melody of love ». « The Spell », le titre suivant, ne nous laisse pas de répit, entraîne presque dans une transe. « Echo » nous invite à envoyer valser passé et regrets dans un même mouvement, « Positive » a la solution à tous vos problèmes… A l’image des couleurs acidulées de la pochette de l’album, les chansons de A bath full of ecstasy apportent chacune une nuance de joie et d’apaisement différente. Fondé en 2000 par les chanteurs Alexis Taylor et Joe Goddard, Hot Chip occupe depuis vingt ans une place à part sur la scène internationale. Les deux dates parisiennes du groupe britannique (les 7 et 8 décembre à L’Élysée-Montmartre) affichent déjà complet. Après avoir été entraînées dans leur irrésistible tourbillon à la Route du Rock, on ne peut que comprendre ceux qui n’auraient pas voulu manquer le rendez-vous. Avant leur show en Bretagne, nous avons pu discuter avec Felix Martin (synthés, boîte à rythme) et Alexander Doyle (basse).

Manifesto XXI – Comment réussissez-vous à mettre autant de couleurs et de joie dans votre musique ? On vit une époque assez noire et tendue, mais on peut avoir cette impression que les choses ne vous impactent pas.
Alexander Doyle : Les choses nous impactent ! Nous avons en quelque sorte pris consciemment la décision de faire une musique qui soit en opposition à tout ça, qui permette aux gens d’échapper à cette manière de penser, que ce soit un peu un refuge. Certaines paroles parlent de choses plus noires, mais la musique reste plutôt joyeuse.

Quand on pense à la musique disco, à la musique des années 70, c’était aussi des périodes difficiles. La récession était en cours au Royaume-Uni, c’était une période bizarre. Les gens faisaient de la musique un statement. Aussi, la techno et la house aux Etats-Unis ont aussi été des refuges pour les communautés noires et LGBT, c’était une possibilité de sortir du quotidien.

Il y a un aspect politique à la musique. C’est finalement ce qu’on a en tête, et ce qui nous semble être la réponse la plus appropriée au Brexit, à Trump, et toutes ces choses. Nous y pensons tous mais le plus beau cadeau que nous puissions faire à notre public, c’est de faire ça, se rassembler et passer un bon moment pour 1 ou 2 heures.

Est-ce que l’amour est toujours le futur ?
Felix Martin : (rires) Ah, une référence à une de nos chansons. Je pense que oui !

Les gens ont besoin de croire en l’humanité, la capacité de s’aimer les uns les autres.

On est en 2019, 20 ans après le deuxième Summer of love. 
Felix : On a refait un ! (rires)

Est-ce que l’amour a changé ? Qu’est-ce qui a changé selon vous ?
Alexander : Je pense que la manière dont les gens écoutent, consomment de la musique a changé pour nous. Nous sommes un peu plus vieux et on se souvient qu’avant la musique était difficile à consommer. Si tu trouvais quelque chose que tu aimais, tu devais connaître le nom de la personne qui jouait ou avoir un ami qui avait une copie, et après tu devais trouver un magasin où l’acheter. Maintenant dès qu’on joue une track, on peut l’avoir quasiment immédiatement.

Je pense que les jeunes gens ont plus de stratégies pour filtrer tout, ce que je trouve parfois intimidant, mais on est submergés, c’est too much. Je pense qu’il y a aussi beaucoup d’importance donnée au live à cause de ça.

La valeur accordée à la musique enregistrée est moindre. Donc le pendant de ça c’est que les gens veulent voir en vrai ce que tu ne peux pas ni enregistrer, ni vendre.

On doit être très collectif, très humain et c’est bon pour nous parce que je crois que nous sommes un bon groupe en live. C’est bien d’avoir sorti cet album, c’est encore récent donc les gens ne la connaissent pas tout à fait mais au fil du temps je pense qu’on jouera de plus en plus de nouvelles chansons.

Beaucoup de vos chansons sont écrites avec des répétitions, comme des mantras. C’est le secret d’une bonne chanson pop ?
Felix : Oui. C’est un truc lyrique, presque rhétorique. On est bon pour écrire des paroles avec le son d’un mot ou d’une phrase, autant qu’avec le sens du mot.

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C’est la première fois que vous travaillez avec des producteurs extérieurs —Philippe Zdar et Rodaidh McDonald — comment ça s’est fait ?
Alexander : C’est une idée que l’on avait depuis longtemps. Nous n’avons jamais vraiment été capable de la réaliser pour des raisons très ennuyeuses d’agenda. Mais cette fois, nous étions prêts à travailler d’une façon différente d’avant, trouver un process différent, trouver un moyen de ne faire ce qu’on avait déjà fait.

Felix : Ne pas se répéter.

Alexander : Je pense que nous n’aurions pas été capables de faire ça nous-mêmes, ça aurait sonné plus artificiel. Je ne sais pas comment on aurait fait, quand tu as une personne extérieure pour te guider, dire des choses c’est différent. Et quand tu tombes sur un problème, dans le processus d’écriture on aurait tendance à s’arrêter et se disputer, et rien n’avance. Dans cette situation on demandait à Phillipe (Zdar) ce qu’on devrait faire, et hop ! super on repartait. Ça aide pour le cours de l’album cette autorité extérieure. A partir du moment où il y a un bon niveau de confiance, tu peux donner des choses à faire et ne pas t’en soucier ce qui est plutôt libérateur, pour se concentrer sur la musique. Surtout pour Joe qui a fait tout le lourd travail de production sur ordinateur.

Comment c’était de travailler avec Zdar ?
Alexander : C’était génial. On en parle avec tout le monde, spécialement en France.

Felix : C’était un process unique, c’est probablement pourquoi on lit que pour chaque personne qui a travaillé avec lui ou avait une amitié avec lui il était spécial et unique, et inspirant j’imagine. Nous avons développé une relation assez intense.

Alexander : Nous avions pleins d’amis en commun donc on avait l’impression de déjà un peu se connaître. Nous avons commencé à travailler très intensément en septembre de l’année dernière, puis au total nous avons passé 4 ou 5 semaines à Paris tous ensemble. Avec la nature du disque, tu arrives il est midi. Tu prends un bon (petit) déjeuner, on allait à la boulangerie chercher de bons croissants. Et ensuite on travaillait toute la journée, puis dans la soirée on allait se faire un bon repas.

On avait beaucoup de temps pour se connaître, on devient amis très vite. Je pense que je comprends en quoi certaines choses dans sa façon de travailler n’étaient pas pour tout le monde, mais pour nous ça a super bien marché parce que nous sommes un groupe de gens tellement disparate qu’il faut quelqu’un de fort qui s’impose et dise “Ok i’m in”. Phillippe était un tel personnage qu’il était capable de s’imposer dans notre groupe, et nous ne lui avons pas toujours facilité la vie. Et aussi, il a mixé tout l’album, c’est pour ça qu’il a cette unité.

L’album sonne un peu comme le plus house de toutes vos productions.
Alexander : Ce n’était pas vraiment intentionnel mais à la fin oui il n’y a pas beaucoup de guitare, de basse… C’est très électronique, synthétique. Philippe était une sorte de caméléon, il a correspondu à nos énergies et les a même dépassées parce qu’il avait bien plus d’énergie que nous tous. (rires) Bref, c’était une expérience merveilleuse.

Au fait le titre de l’album, à quel point la référence à l’ecstasy est une métaphore ou pas ?
Felix : Ce n’est pas une référence à la drogue.
Alexander : Mais ça pourrait l’être ! Alexis ne prend pas de drogue, mais certains d’entre nous si. Mais ce n’est pas ça, vraiment pas. C’est plus quelque chose de fun à dire, il semble que ça fait sourire les gens quand ils prononcent le nom de l’album. Et c’est bien.

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