Le cinéma est un voyage : « Lieu commun ! » me direz-vous. Certes. Et pourtant, il y a tant à en dire ! Il n’est d’ailleurs pas anodin que le premier film du patrimoine mondial du cinéma s’intitule Le Voyage dans la Lune. Dès les prémices du cinéma et aujourd’hui encore, la soif d’ailleurs et de découverte des cinéastes et du public ne tarit pas.
Un ailleurs concret, géographique et/ou temporel, d’une part. Hollywood a en effet très vite diverti les foules et fait fortune avec de majestueux péplums historiques (Les 10 Commandements, Spartacus, Cléopâtre…), entrés dans l’histoire pour leurs budgets (et bénéfices) faramineux. L’ère coloniale a également été le décor privilégié de certains des films les plus légendaires du dernier siècle, qui ont propulsé certains acteurs au panthéon hollywoodien (Casablanca, l’Odyssée de l’African Queen…). Nous avons aussi voyagé dans l’Amérique profonde des westerns et de leurs bandes originales inoubliables, avec John Ford, John Wayne et Clint Eastwood (La Prisonnière du Désert, Le Bon, la Brute et le Truand…). Nous nous sommes replongés dans l’Histoire avec les grands explorateurs et les colonisations (Mission, Le Nouveau Monde). Plus tard, c’est la crise existentielle des rebelles du Nouvel Hollywood qui nous permit de redécouvrir les Etats-Unis, avec le célèbre Easy Rider de Denis Hopper, précurseur d’un genre cinématographique toujours apprécié du grand public : le road-movie (Into the Wild, Sur la Route).
Souvent dans l’histoire du septième art, le voyage et l’ailleurs ont été associés à deux genres à part : le film de guerre et le film d’amour. Le premier permet souvent de témoigner d’évènements dramatiques survenus à l’autre bout de monde. Le traumatisant voyage de Martin Sheen à travers le Vietnam dans Apocalypse Now a participé en effet à une certaine prise de conscience par les Américains de l’horreur vécue par leurs soldats dans les années 1960 et 1970, après un retour des troupes au pays on ne peut plus mal accueilli. Le film d’amour quant à lui, a souvent trouvé son décor dans des lieux éloignés et exotiques qui deviennent alors des éléments clés de l’intrigue et du déroulement de l’histoire d’amour (Out of Africa, Australia, Indochine). L’aveuglement amoureux des premiers temps, au milieu d’une nature accueillante et féérique, laisse souvent place au retour des épreuves de la vie, dans un environnement étranger alors plus hostile et des amours qui deviennent impossibles.
Des thèmes sont également apparus plus récemment autour de motifs contemporains : le voyage « forcé » de l’immigration (Samba, The Immigrant, Rocco et ses frères), où le voyage n’est plus vécu comme une chance mais un enchaînement de difficultés et de dangers, et le voyage dans la ville, décor moderne de la désillusion et de la perte de repères de l’Homme (After Hours).
Enfin, bien sûr, le cinéma est amateur depuis toujours de grands films d’aventure qui suscitent le désir et l’évasion du spectateur. Que ce soit le marathon interminable de Forrest Gump sur les routes américaines ou La Vie Rêvée de Walter Mitty en Islande, Hollywood aime nous plonger dans la meilleure tradition des livres d’aventure que nous avons dévorés enfant et auxquels nous aimons re-goûter adulte.
Mais le voyage n’est pas que géographique. Il est aussi recherche d’un monde inconnu, objet de fantasmes et de quêtes acharnées. C’est le voyage dans le temps, sujet souvent traité dans des films d’aventure comme Retour vers le Futur ou de science-fiction comme 2001 : L’Odyssée de l’Espace.
C’est aussi le voyage fantastique et fantasmé dans l’espace de La Guerre des Etoiles, l’héritage d’une tradition littéraire amatrice de héros légendaires et presque mythologiques dans Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter, ou encore la quête d’objets sacrés emprunts de superstitions millénaires dans la saga Indiana Jones. Ces films ont été des succès colossaux de l’industrie du cinéma à chacune de leur époque, preuve que le public ne se lasse pas de ces aventures dans lesquelles le personnage, à première vue banal et auquel chacun peut s’identifier, évolue en un héros plein de bravoure et de vertus.
Un autre type de voyage au cinéma permet au spectateur de s’identifier à un héros « normal », cette fois en quête de lui-même : le voyage initiatique. Ce motif est très présent au cinéma depuis les années 80 et les films de Steven Spielberg dans lesquels de jeunes adolescents s’éloignent du monde de l’enfance. Une perte de l’innocence qui désoriente et une compréhension soudaine de l’hypocrisie de la vie (et en particulier du monde adulte) qui poussent le personnage principal à se questionner sur ce qu’il est et à s’armer pour faire face au monde. On pense immédiatement aux Goonies, à Hook, à L’Histoire sans Fin, au Voyage de Chihiro, plus récemment à L’Odyssée de Pi, Lost River et à Mud, très beau film où l’enfant-héros se montre même juge de l’adulte et le pousse à surmonter lui aussi ses angoisses et à affronter ses responsabilités d’homme.
De la même manière, dans Le Magicien d’Oz, Alice au Pays des Merveilles ou encore Mulholland Drive par certains aspects, le héros voyage dans un monde où il se voit submergé par ses angoisses et ses peurs. Dans le cadre d’un voyage onirique, il va à la rencontre de lui-même et tente de régler ses dysfonctionnements intérieurs. Éveillé, il peut alors affronter le monde réel grâce à une connaissance plus aiguisée de ses forces et de ses faiblesses.
Le cinéma est ainsi pareil à tout art : il transporte son interlocuteur vers un ailleurs pour répondre à un désir immuable de voyage et de conquête. L’Homme a depuis toujours soif de grands espaces et de découvertes : l’Histoire nous l’a prouvé et l’Art s’en fait le miroir dans la figuration de ce besoin de quête perpétuelle, qu’elle soit intérieure ou tournée vers l’autre et l’inconnu.
Anne-Hélène Le Provost