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Hildegarde : Queer body of the future

Hildegarde : Queer body of the future

A l’occasion du Queer Ball for hot bodies of the future, soirée organisée par Gerald Kurdian au FGO Barbara mettant à l’honneur les personnalités originales, marginales, alternatives, humaines ou extraterrestres, on a voulu rencontrer un.e de ses protagonistes parmi les workshops drag, les chorales féministes, les cours de voguing, les lectures, DJ sets et lives. Musicien.ne et artiste pluridisciplinaire, Hildegarde viendra proposer une performance centrée autour de la figure de la sorcière et sa symbolique dans le discours féministe d’aujourd’hui. En porte-parole d’une communauté queer voulant s’affranchir de la norme, aussi bien du point de vue du genre que de la sexualité, Hildegarde ne se revendique ni femme ni homme mais préfère voir son corps comme une enveloppe modifiable à l’infini et un moyen de véhiculer des messages forts. Tantôt clown burlesque, elfe malicieux aux longues oreilles ou créature fantastique, il.elle insuffle un peu de magie à qui voudra bien croiser son chemin.

Manifesto XXI – Peux-tu me présenter ton parcours ?

J’ai toujours fait de la musique. J’ai fait du piano, de la basse et du solfège puis j’ai été dans un groupe de rock quand j’étais au lycée. Ce projet n’était pas hyper sérieux mais ça a quand même tenu quelques années. Ça ne s’est pas très bien fini, puis un jour j’ai découvert qu’avec la musique électronique je pouvais tout faire tout.e seul.e. (rires) Quand je me suis enfin retrouvé.e seul.e à composer derrière mon ordinateur ça a été une révélation. Je faisais souvent de la MAO la nuit après avoir bu quelques bières et allumé des bougies disposées autour de moi. C’était un genre de rituel. (rires)

J’ai ensuite étudié aux Beaux-Arts de Cergy où j’ai rencontré Jeanne (Gina Pain) avec qui j’ai formé Scorpiomystic (qui s’appelait Giallarhorn auparavant). C’était un mélange d’ambient, de techno, de noise, un peu de trip hop aussi. Un gloubiboulga expérimental. Aujourd’hui je fais quelque chose qui y ressemble de loin mais la dimension narrative et le chant ont pris de plus grandes proportions. En effet, Hildegarde c’est un désir de partager, raconter et questionner.

Pourquoi avoir décidé de mettre un terme à Scorpiomystic ?

C’est assez triste comme histoire. Cette rupture fait suite à des problèmes personnels ainsi que des soucis d’organisation. Ça m’a appris combien la bienveillance, l’écoute et la communication sont des notions importantes. On était très proches, on avait même organisé un mariage symbolique dans un squat… Dès que ce projet s’est fini j’ai eu besoin d’embrayer sur mon projet solo.

Je dis souvent que j’ai vomi mon EP.

Je n’ai pas attendu d’avoir un clip à montrer ou une stratégie de communication. Cet EP est né d’émotions très fortes que j’ai eu besoin de catalyser. Il s’appelle, de manière extrêmement ironique, J’espère que ça va bien se passer. Parfois on sent les choses nous échapper et on se répète cette phrase. C’est une manière de se rassurer. Ce projet est très centré sur les émotions, c’est quelque chose qui me guide de manière générale. Dans tous mes travaux artistiques, soit c’est très absurde, soit c’est totalement transparent. Je n’ai pas trop de filtres, ce qui n’est pas toujours facile. (rires)

Quels retours as-tu eu face à ce déversement d’émotions ? Si on ne connaît pas le contexte, les textes sont libres d’être interprétés à toutes les sauces.

Je pense que les gens n’ont pas forcément cherché à rentrer dans le détail ou alors ils/elles connaissaient déjà l’histoire. En tout cas, tout le monde a perçu que c’était un EP très personnel et très sombre. Quand j’ai joué au Cirque électrique, on m’a dit que ça avait quelque chose d’hypnotisant.

Le public était hyper concentré sur moi, sans danser, c’était intense.

Ça me plait d’inspirer ça, néanmoins je suis en train de travailler sur des morceaux plus axés club. J’aime le côté spectacle mais j’aime aussi l’univers de la fête. Avec Scorpiomystic lors de nos lives on était un peu bloqué.e.s derrière nos ordinateurs et ça avait un côté très froid. Maintenant que je me présente vraiment face aux gens et que je chante, j’ai l’impression que l’on considère ça davantage comme un “live”.

© Jean Ranobrac

Quand il a été question de te produire sur scène avec le projet Hildegarde, comment t’es venue l’idée de te transformer physiquement ? L’aspect visuel comptait autant que la musique ?

Dès que j’ai pu choisir mes vêtements, j’ai eu un look assez atypique. Et je suis toujours sorti.e avec des maquillages bizarres. C’est quelque chose que j’ai creusé au fil des années et voulu exploiter quand j’étais en école d’art. J’ai pris le temps de réfléchir au rapport que ça me donne aux autres et à la manière dont je me présente au monde.

C’est un peu une performance quotidienne même si ce n’est pas toujours facile de sortir avec des trucs écrits sur le visage. (rires) Recevoir les réactions des gens en te présentant à eux est hyper intéressant et en même temps très éprouvant. J’ai fait quelques recherches sur les figures atypiques au sein de la société et me suis attaché.e à la figure du clown. Il y a cette phrase que j’aime bien : “A clown shows what is wrong with the ordinary way of doing things/A clown shows how to do ordinary things the wrong way”. Ça me parle parce que socialement je me suis toujours senti.e à côté de la plaque tout en ayant un profil un peu sympa mais un peu bizarre à la fois.

Finalement, j’ai trouvé une performance à faire aux Beaux Arts de Cergy autour de la manière excentrique que j’ai de me présenter. Je parlais du fait que ça me rend à la fois très visible et invisible. Ça m’est arrivé qu’une personne ne me reconnaisse plus d’une année à l’autre à cause de mes nombreux changements physiques.

Ça fait écho à un travail que j’avais mené sur le facedazzling qui est le fait de modifier son visage de manière à ne pas être identifié.e par les caméras à reconnaissance faciale. Mes maquillages servaient à ça pendant longtemps, d’où l’aspect géométrique et contrasté. J’avais fait une performance où on était quatre à porter des masques avec une photo de mon visage maquillé. Tout le monde devait parler comme s’il/elle était moi. J’étais content.e de mon coup parce que je l’ai fait devant toute ma classe et mes profs et personne n’a capté qui était qui. En plus j’avais utilisé des vocoders pour modifier les voix.

Socialement je me suis toujours senti.e à côté de la plaque tout en ayant un profil un peu sympa mais un peu bizarre à la fois.

Le clown était une sorte d’alter-ego ?

Non, pas vraiment, il fait juste partie de moi. Récemment j’ai expérimenté un nouveau style de costume, un genre de vampire sexy. Je ne me reconnaissais pas du tout dedans, ce n’était pas moi. Je me suis rendu.e compte que tous les personnages que j’incarnais étaient des facettes de moi.

C’est pour cela que je peux les intégrer complètement et que je me sens à l’aise avec. Après le clown, mes maquillages prenaient une tournure extra-terrestre puis j’ai eu mes oreilles d’elfe et maintenant j’explore la figure de la sorcière. Ça paraît décousu de loin mais ça rejoint ma volonté de sortir de l’humain, d’être une créature autre. Je ne suis pas hétéro, je ne suis pas gay, je ne me sens ni fille ni garçon ou les deux à la fois.

Je sors complètement de toutes ces notions et étiquettes. C’est une manière de s’échapper de l’humain. A travers ce que je fais, j’aimerais que les gens se sentent plus libres d’être eux/elles-mêmes. Il y a des gens qui vivent très mal la manière dont je me présente et d’autres qui en sont inspiré.e.s. Ils/elles se disent qu’une autre manière d’être est possible. Les codes féériques et imaginaires servent aussi à se distancier de la société et se protéger de celles/ceux qui ne nous comprennent pas et nous rejettent. C’est une prise de position du côté de la différence que je vois comme une chose précieuse et rare qu’il faut défendre et revendiquer.

L’accueil du public n’est pas forcément le même d’un lieu à l’autre. Tu dois t’adapter selon les soirées ?

Oui, totalement. Jouer dans un contexte de concerts et jouer en club n’a absolument rien à voir. Une fois, un photographe m’a claqué une fesse lorsque j’étais en backstage pour me changer. Sur le coup j’étais tellement hors de moi que je lui ai sauté au cou en lui demandant pourquoi il faisait ça.

J’en ai parlé publiquement, j’avais peur de passer pour une drama queen mais j’ai reçu beaucoup de soutien. Donc sous prétexte qu’une personne est maquillée et en petite tenue, les gens se donnent le droit de la toucher. C’est pareil pour les gens qui se sentent obligé.e.s de toucher tes tatouages.

Ce qui est difficile aussi c’est de capter l’attention du public à partir d’une certaine heure… Quand je fais des performances comme celle de Witches won’t burn qui est lourde de sens et de symboles, il faut une certaine attention pour y être réceptif.ve ! C’est réducteur mais en club, il faut du boum-boum et du visuel, quelque chose qui attire facilement le regard. A la Kindergarten ça marche plutôt bien puisqu’on ne parle pas, on fait des actions fortes afin que le public comprenne directement de quoi il s’agit. Je ne veux pas non-plus que mes performances ne s’adressent qu’à un certain public averti. C’est dommage quand tu cherches justement à libérer un truc chez des gens qui ne seraient a priori pas concerné.e.s.

La première fois que j’ai fait Witches won’t burn c’était à l’Abracadabar près de Jaurès. C’était très politique, j’étais à moitié à poil devant un public qui ne s’y attendait pas forcément. J’appréhendais de ne pas être bien reçu.e. Finalement ça s’est extrêmement bien passé, j’ai eu de bons retours.

Inversement, parfois tu fais la même chose en club où les gens déclarent transpirer le queer et se disent très politisé.e pour finalement passer à côté de ce que je propose. Ils/elles sont parfois dans un délire de monstration, et tu ne peux pas recevoir quand tu es tourné.e vers toi-même.

Organiser une soirée queer c’est devenu à la mode ?

Carrément. A la fin ça n’a plus de sens, on appelle “queer” des soirées LGBT tout comme des soirées tout public. À la base, le mot queer c’est la revendication d’un rejet des normes de la société. C’est l’affirmation du bizarre, du différent et de manières de réfléchir qui dépassent les codes établis.

Aujourd’hui on est dans un phénomène de pinkwashing où être homo est devenu un élément marketing. Ça dépolitise, ça rend beau et vendable.

C’est intégrer dans le capitalisme cette notion-là pour qu’elle ne soit plus du tout transgressive. En soirée en ce moment il y a un gros problème. J’y pense de plus en plus, aillant des ami.e.s et connaissances trans qui se font agresser en soirées “queer”… C’est pour ça que la notion d’espace “safe” est très importante.

Qu’est ce qu’une soirée « safe » pour toi ?

C’est une soirée où personne ne juge personne, sans remarques sur ton apparence et tes habitudes, où les gens sont bienveillant.e.s. Une soirée où personne ne te force à faire quoi que ce soit, et là je ne parle pas que de harcèlement sexuel. C’est bête mais une des conditions principales pour moi, même si c’est dommage de refuser des gens à l’entrée d’un club, c’est de ne pas faire rentrer les groupes de mecs cis-hétéros bourrés. Tu peux être certain.e qu’ils vont faire chier et prendre toute la place ! Evidemment il y aussi des meufs qui vont se comporter de manière insistante avec des drag queens. Je pense à des remarques comme “Tu te maquilles mieux que moi”. (Rires) Ça peut aussi aller plus loin malheureusement.

Quelles sont les soirées que tu considères “safe” en ce moment ? La Kindergarten en est une ?

Cette soirée est pleine de bonnes intentions, et ça prend du temps d’ériger un tel projet mais c’est en bonne voie. Les organisateurs sont des bon.nne.s ami.e.s. Je fais moi-même un peu partie de la team. J’y fais régulièrement des performances. A chaque fois les gens se donnent à fond, ils/elles s’éclatent. Et pour éviter les problèmes dus à la drogue qui sont monnaie courante et de plus en plus problématiques, il y’a de la prévention.

A un moment j’ai beaucoup été en soirée techno. J’adore la musique mais tous.tes ces bourgois.e.s habillé.e.s en noir qui font la gueule et font de la drogue une fin en soi me mettaient mal à l’aise. Dans ces soirées-là je ne pouvais pas exister, surtout avec mon identité (je suis non-binaire et afab). Sinon les soirées à la Station sont très cool, j’y ai fait ma release party lors d’une soirée organisée par Polychrome et j’avais beaucoup aimé les BP l’été dernier. La Péripate est bien aussi,  j’aime le sentiment de liberté qui s’en dégage. Je retiens une fois où j’y suis allé.e en portant une grosse moustache et une fille m’a interpellé.e pour me dire qu’elle l’adorais mais qu’elle ne comprenais pas mes poils sous les aisselles (rires)

La moustache c’est dans une optique de genderfucking ? Brouiller les codes du féminin et du masculin pour qu’il ne reste plus rien d’identifiable ?

Oui, je me considère comme agenre. Peu importe que je porte des jupes ou des pantalons, ce n’est pas la question. C’est juste que dans ma tête je ne me suis jamais senti.e simplement femme malgré mon assignation de naissance. J’avais un Skyblog où j’écrivais au masculin quand j’étais au collège. Quand j’étais bébé, ma mère me mettait un gros bandeau rose autour de la tête parce qu’elle en avait marre que l’on me prenne pour un garçon. Tous les choix de transformations physiques que je fais comme le grand nez, les grandes oreilles ou le binder pour cacher ma poitrine font écho à des critiques que j’ai reçues quand j’étais petit.e. On m’appelait Cyrano ou Dumbo et on comparait mes seins à des Smarties ! Je suis dans une optique de self-design.

Tu vas réaliser une performance pour le Queer Ball for hot bodies of the future! Comment as-tu été contacté.e ?

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J’ai répondu à un appel à projet qui cherchait des performers et dans les mots clés il y avait “alien” et “sorcière” ! Ça m’a fait plaisir car nous sommes peu à sortir de l’humain et avoir un travail visible. Les gens me parlent beaucoup d’Orlan mais je m’identifie pas du tout à elle. Bref, j’ai tout de suite proposé la performance de la sorcière qui me paraissait correspondre au thème.

Comment s’articule cette performance ?

Lorsqu’on a monté Come you spirits : unsex me here avec le Blast Collective, j’ai fait beaucoup de recherches sur la chasse aux sorcières. J’ai toujours été fasciné.e par ça. J’ai une famille espagnole où certaines femmes font des actes spirituels ou magiques dans la vie de tous les jours – bien qu’elles soient très catholiques, ça me fascine – et c’est quelque chose que je tends à maîtriser aussi. Par essence, je me sens légitime de parler de ça.

La figure de la sorcière est complètement inscrite dans le combat des gens marginaux et mis à l’écart. Bien évidemment, lors de la chasse aux sorcières, toutes n’étaient pas des “sorcières” à proprement parler. Il s’agissait souvent des femmes indépendantes qu’il fallait éliminer. Pour cette performance, j’ai écrit un texte qui parle de la condition de la sorcière à travers différents prismes. Ça donne quelque chose d’assez violent avec beaucoup de faux sang et du perçage de ballons. Je suis très content.e de présenter cette performance dans une salle comme le FGO Barbara.

La figure de la sorcière a été beaucoup exploitée ces derniers temps dans le discours féministe. Qu’en penses-tu ?

C’est par vagues, dans les années 1970 il y avait déjà eu un mouvement féministe intersectionnel Italien qui reprenait ces codes. Il y a eu le mouvement W.I.T.C.H qui est né dans la même période aux Etats-Unis puis est revenu en force ces dernières années. Suite à ça, le Witch Bloc Paname est né. Visuellement ça marche super bien, avec des pancartes comme “Macron au chaudron”. Je connais bien leur travail et ça me parle.

© Linda Trime

En ce moment c’est la figure que tu exploites le plus ?

Pas seulement. Il y a une notion qui me parle de plus en plus, autant dans le travail que dans ma vie personnelle, c’est l’impermanence des choses. Ça aide à lâcher prise et peut expliquer pourquoi du jour au lendemain je peux passer d’un look très éthéré à une esthétique carrément gore ou horrifique. On n’a qu’un corps dans une vie alors autant s’amuser avec.

Tu vas participer à une conférence sur le harcèlement dans les milieux drag lundi. Comment appréhendes-tu ce moment ?

Oui, c’est organisé par Caélif LGBT et Stop Harcèlement, qui ont créé les soirées Pimp my Queer. Ils.elles sont venu.e.s vers moi par rapport à mon post Facebook où je raconte mon expérience de photographe peloteur. Je ne connaissais pas du tout ce photographe et ça m’a choqué qu’il soit aussi présent dans le milieu. Une drag m’a même remercié.e d’avoir parlé car si ça semble anodin à certain.e.s, c’est notre quotidien. Je précise que mon personnage n’est pas ultra féminisé par rapport aux drag queens qui sont davantage sujet.te.s aux remarques et au harcèlement.

Ça m’a fait plaisir d’être invité.e à cet événement parce qu’il n’y a pas beaucoup de représentant.e.s de mon genre dans ce milieu et c’est important d’avoir l’avis de tout le monde. J’ai commencé à faire de la photo de nu quand j’avais vingt ans et j’étais dans une optique de dédramatisation et de désexualisation de la nudité. Mais je recevais quand même des messages d’hommes qui cherchaient à me flatter et ne comprenaient pas ma démarche. J’ai fait une performance pendant un an sous la forme d’un Tumblr où je postais un selfie aux toilettes par jour.

C’était une critique du contenu de merde qu’il peut y avoir sur Internet, comme par exemple “Une illustration par jour” et tout ce qui privilégie la quantité sur la qualité. Je recevais quand-même ce genre de messages : “I love you when you poop”… Le dernier truc qui m’a fasciné.e sur Internet c’est le fétiche d’aimer voir des femmes habillées dans l’eau, à la piscine municipale comme dans des étangs. D’ailleurs je suis entrain d’écrire un morceau là-dessus.

A Queer Ball For Hot Bodies Of The Future ça se passe samedi au FGO Barbara. Plus d’infos ici.

Hildegarde jouera aussi au Cri du Singe le 24 mai lors d’une soirée En Veux Tu En V’la. Plus d’infos ici.

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