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Guerre en Palestine : dire la honte en France

Guerre en Palestine : dire la honte en France

Parmi celles et ceux qui prennent la mesure de l’actualité terrible de la guerre entre le Hamas et Israël, l’un des sentiments les mieux partagés avec la colère et la peur, c’est la honte.

J’aimerais partager un peu de cette honte que je ressens, non pour faire étalage d’une vertu mal placée, mais parce que j’espère encore qu’on peut faire de son poids écrasant un moteur. J’ai besoin de dire cette honte pour qu’un jour peut-être l’histoire se souvienne qu’ici aussi les peuples ne sont pas leurs gouvernements, qu’il y a bien des gens en France qui entendent les cris de la population de Gaza et ne veulent pas s’en détourner. Que nous ne voulons pas tous·tes être les témoins indifférents et passifs d’un génocide en Palestine. Nous avons honte de savoir que nous, les Occidentaux·ales riches, ne sommes une fois de plus pas capables de secourir celles et ceux qui subissent une guerre résultant en partie de notre histoire coloniale.  

Depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, j’ai honte de la médiocrité des prises de parole politiques. Des petits calculs électoraux et des gros sabots de certain·es. De ceux qui ont bégayé pour condamner le terrorisme du Hamas, de l’antisémitisme qui s’est si vite déchaîné, du peu de place laissé à la simple compassion. J’ai honte du soutien total accordé à l’État d’Israël par le gouvernement. De la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a rendu visite aux soldats de Tsahal alors même que la moitié des logements de Gaza ont été détruits par les frappes israéliennes. J’ai honte de Darmanin qui n’a pas hésité à dire que « la haine du juif et du flic se rejoignent », tout en interdisant des manifestations en soutien à la Palestine. Le mépris à peine voilé pour l’émotion de celles et ceux qui soutiennent la cause palestinienne est dangereux ; et ce moment révèle encore une fois les deux poids deux mesures qui existent dans la société française. J’ai honte qu’encore Darmanin prenne à partie Karim Benzema et que sur ordre de l’Intérieur, on arrête l’intellectuelle palestinienne Mariam Abu Daqqa, qu’on stoppe net sa tournée de conférences, qu’on l’assigne à résidence pour quarante cinq jours. Je m’étouffe d’entendre Marine Le Pen se poser en « bouclier » pour les juif·ves français·es. J’ai honte que la guerre entre le Hamas et Israël rappelle à quel point la France se fascise. Et devient bête. Quelle est l’utilité politique de menacer de fermeture administrative le Chamas Tacos de Valence parce qu’une lettre (le C) ne brille pas ? Je veux dire, comment peut-on être aussi malade de suspicion raciste et de stupidité ? Cette liste des décisions politiques qui font honte depuis quinze jours pourrait être encore allongée, tant les aberrations sur le plan international et intérieur sont nombreuses. 

J’ai honte du travail grossier de certain·es confrères et consœurs journalistes. Des angles déshumanisants, des mots qui trahissent les doubles standards. Qu’on demande aux intervenant·es arabes ou palestinien·nes de condamner les violences du Hamas avant de pouvoir s’exprimer, là où les invité·es israëlien·nes peuvent répondre à des questions sans qu’on leur demande de dénoncer l’apartheid. Ce moment fait ressortir l’inanité d’un traitement de l’actualité courte-vue, uniquement à chaud, et les biais d’une profession malade de son entre-soi. Celles et ceux qui entretiennent des traitements médiatiques discriminants font un mal profond en nommant mal les choses.

Dans ces moments terribles, je veux néanmoins dire merci aux auteurs et autrices qui prennent la parole pour mettre les mots justes sur l’indicible. Parce que le combat n’est pas égal, nous avons d’autant plus besoin des voix palestinien·nes. Dans l’enfer de ces jours sombres, il est d’autant plus scandaleux que l’autrice Adania Shibli ait été déprogrammée de la foire du livre de Francfort. Plus que jamais, dans un monde de polarisation et de violence, celles et ceux qui travaillent le texte sont les gardien·nes de la nuance. Vous qui, comme Karim Kattan, tentez de nous éclairer sur une ligne de crête, soyez remercié·es. 

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J’ai honte, enfin, de notre ignorance générale sur les sujets de géopolitique au Proche-Orient et de notre difficulté à trouver les mots justes pour dire à nos ami·es – qu’iels soient juif·ves, arabes, musulman·es, palestinien·nes – que nous voyons leur douleur et que nous la partageons. J’ai honte de bénéficier du confort que l’empire colonial d’hier nous permet aujourd’hui : regarder de loin tant de guerres, pouvoir éventuellement couper les notifications et agir « en fonction de comment on se sent ». C’est le plus honteux des privilèges, et parce qu’elles ne subissent pas le racisme ou l’antisémitisme, trop peu de personnes blanches en ont conscience. Lutter contre l’indifférence, c’est lutter contre la honte et c’est un devoir. Par l’information, les dons et l’action politique. 


Image à la Une : © Chahina Moses, place de la République à Paris lors du rassemblement du jeudi 19 octobre 2023

Relecture & édition : Sarah Diep, Anne-Charlotte Michaut, Léane Alestra, Costanza Spina

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