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Fictions, pop synthétique boostée aux infra-nostalgiques

Fictions, pop synthétique boostée aux infra-nostalgiques

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Producteur touche-à-tout de la scène indé, Guillaume Léglise ne compte plus les changements de casquette qui lui permettent de mener tous ses projets de front. Sur le dernier en date, Fictions, dont l’EP1 (La Tebwa/Idol) est sorti le 1er  juin, plane une mélancolie cinématographique exhalée d’élégants pianos disco. Un tournant résolument French Pop où ressurgit d’outre-Palace, sur des basses « fat », l’écho du revolver d’une certaine Leslie Winer. Il nous a donné rendez-vous entre ses Moog et ses guitares, dans son studio, rue de Rochechouart (Paris 9e). Un lieu-dit où vous chercherez aussi une trace laissée par la tasse du café de sa « Lady B. » (avec un « Bi » comme Birkin), quand vous aurez tout ouï des fantasmes dont est composé l’EP…

Manifesto XXI – Entrons dans le vif du sujet, avec « Flashback », que je vois un peu comme le titre phare du projet, et le plus représentatif de ses balades dans les romances passées. Tu le qualifierais de nostalgique ? De romantique ? De poétique ?

Nostalgique et poétique, je pense. C’est le premier titre que j’ai composé pour Fictions. C’est le premier texte qu’Alexandry (Costa, son parolier) m’avait envoyé. C’est surtout trois choses : à la fois la nostalgie, la poésie et aussi l’aspect « flashback », parce que c’est comme un personnage de film qui se rappellerait les épisodes de sa vie amoureuse. Je voulais faire un truc deep, profond. L’idée, c’était aussi un petit côté Sébastien Tellier, sur l’album Sexuality. Il y a aussi du piano, qui est mon premier instrument. Et du synthé – le DX7, qui est le synthé qu’on entendait vraiment partout à partir de 1984 dans la musique pop. Je voulais faire quelque chose avec ça. Mais, en même temps, je tenais absolument à imprimer une différence avec certaines prods un peu anciennes en introduisant une basse et une batterie vraiment fat. J’écoute souvent des trucs de hip hop pour ça. Même la trap, je trouve ça hyper intéressant parce qu’ils n’ont pas peur d’être très forts sur des sons très radicaux. Ça fait partie de mes références de production. Je pense que Fictions, ce ne sont pas que des chansons : je voulais avant tout me faire vraiment plaisir sur la prod. Comme je produis…

Tu as plusieurs casquettes sur ce même projet.

Je m’amuse à faire quasiment tout. À part les textes, qui sont une part très importante. Pour les instrus, l’enregistrement, l’interprétation vocale, le mixage, etc., je fais tout moi-même. Il y a juste Raphaël Thiss (un musicien, notamment de Cléa Vincent) qui a posé sa trompette sur « Flashback », et Lise, une chanteuse. Sinon je fais tout ici en studio, j’y suis vraiment tout seul, c’est assez cool. Je vais bientôt bouger au Faubourg du Temple, dans un studio un peu plus grand et en coloc, mais voilà.

Les souvenirs, l’amnésie, l’insouciance, la nostalgie… il y a quelque chose de très léger sur l’ensemble du projet. Mais en même temps ça évoque quelque chose de…

… mélancolique. C’est sûr. Il y a surtout cette idée que je trouve primordiale dans la musique : sa capacité à suggérer des images. C’est important pour moi, c’est ce que je recherche. Une image qui revient beaucoup sur « Flashback » et « Lady B » c’est, par exemple, Loulou de Pialat. Cette époque-là et ses acteurs comme Gérard Depardieu, Guy Marchand, Patrick Dewaere…. Mon point de vue sur la musique n’est pas que celui du texte. Ce qu’il s’est passé dans les années 1990 avec la nouvelle chanson française était très axé sur le texte et musicalement, même s’il y a de très bonnes choses, il y a moins de sophistication dans la production. On est allé très loin dans les années 1980, donc par la suite on est revenu à un truc plus brut. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt le côté sophistiqué des arrangements. C’est pour ça que je me sens proche de la scène électro. Parce que ce sont des gens qui cherchent beaucoup, chaque son.

Tu travailles comment ? Chaque piste en cumulatif ?

Non. En général, dès que j’enregistre je pré-mixe pour que ça ait assez vite le timbre que je cherche à obtenir. Je commence avec plein de pistes en même temps. L’important, pour moi, c’est de trouver la couleur. Et le groove. J’essaye déjà de faire quelque chose sur le texte. Mais, très vite, je tente des choses avec les machines. Après, je fais les arrangements, j’essaye des choses. J’ai acheté une basse il y a 4 ans et ça a beaucoup changé ma musique. Parce qu’avant, je jouais plutôt les basses au clavier. Sur Fictions, on retrouve beaucoup de guitare basse, des arpégiateurs, des synthés etc. Je pense que c’est parce que j’aime la musique de film. Fictions, c’est aussi l’idée de s’évader, de prendre de la hauteur… D’où « Ufo ». Je pense que la musique doit avoir un impact physique. Il faut que la prod, le son, les arrangements te fassent éprouver quelque chose de physique : c’est ce que je cherche à faire.

Le titre « Disco Revolver » fait revivre le disco. Pourquoi donc « revolver », qui fait plutôt penser à la mort ?

En fait c’est venu d’une anecdote. Une habituée du Palace (Leslie Winer), qui avait tenté de se suicider sur le dancefloor. J’aime beaucoup ce qu’elle fait. Ce sont des années particulièrement dark parce que c’est l’époque du punk, etc.

Le clip est hyper théâtral. On y trouve, entre autres, un personnage Boy Georgien. La fiction, le théâtre, le songe… tout y est de cette dimension onirique qui parcourt tout l’album.

J’ai travaillé avec des étudiants de l’école des Gobelins, ce sont eux qui ont eu l’idée. Ça permettait de faire un joli clip sans trop le scénariser. Sur celui-là, je voulais raconter la boîte de nuit. Les personnages se regardent, ça raconte la rencontre.

Ça me rappelle mes années Pulp et les années 2000. Quand je suis arrivé à Paris, je n’allais pas trop dans les clubs et je me suis mis à sortir et je suis allé beaucoup au Pulp. Beaucoup aux soirées du mercredi, du jeudi, les soirées de Smagghe, de Guido, de Chloé, grosso modo. Et la musique qui passait m’a vachement marquée. C’était une époque de découvertes. La découverte de Paris, celle de nouveaux potes. Il y a un retour cyclique. Ça s’est arrêté sans doute parce qu’il y avait une certaine lassitude. Après on vit d’autres choses, on se lance dans d’autres projets. Et, après, on se dit : « Quand j’étais jeune, c’était bien aussi. »

Ça nourrit aussi vos sons d’aujourd’hui ?

Oui, c’est sûr. Par exemple les Vox Low avec lesquels je travaille ont connu cette époque-là. C’est un truc sur lequel on se rejoint. C’est un peu comme si on était allés dans la même école. Il y a aussi qu’aujourd’hui on accepte beaucoup plus facilement le guilty pleasure. Alors que, longtemps, la scène indé rock était hyper snob, hyper pointue, elle dictait le bon goût et le mauvais goût. Or, je pense que c’est en train de changer. Et tant mieux.

Dans le clip de « Sang Bleu » la mise en scène est très morcelée…

Le clip de « Sang Bleu » est une idée de Nicolas Despis, le réalisateur. Il a fait des trucs pour Radio Elvis, pour pas mal de monde. Il a fait aussi des photos pour Daho et il a été l’ancien assistant de Mondino. On se connaissait un petit peu. Puis je lui ai fait écouter les maquettes. Il avait vachement aimé. On s’est parlé pendant 1 an de projets de clips : on voulait trouver une bonne idée avec très peu de moyens – puisqu’on n’en avait pas. À un moment, j’ai trouvé que la Super 8 ça pouvait être cool. Lui a rebondi en proposant de mélanger plein de formats différents. Finalement, on mélange quatre formats différents : DV (les premières caméras digitales du milieu des années 90), iPhone, Super 8 noir et blanc et HD. Il a mis toutes les caméras sur un pied et on a tourné trois fois trois plans-séquences où je chante. On a fait ça en une matinée. Et après, au montage, il a cumulé les différents formats. C’est Nicolas qui a aussi eu l’idée de la casquette siglée « Sang Bleu », qui est importante (un montage des trois visières, où les mots apparaissent simultanément en bleu, en rouge et en rose). Et je suis maquillé par Céline Exbrayat.

Le tout donne un effet puzzle sentimental que l’on retrouve dans tout l’album.

Ça multiplie les regards, ça multiplie les points de vue, les cams. Et ça donne un effet polyphonique, polysémique. C’était une super idée. D’ailleurs, le clip a été vu et remarqué. Lui a rebondi là-dessus pour faire du boulot. Donc c’est cool. L’idée, aussi, c’était de se retrouver derrière un micro. Ça permettait d’habiter le truc un peu plus facilement. Et de « faire le chanteur ». Il y a aussi un clip du chanteur d’Arctic Monkeys qui est un peu comme ça : avec juste un micro.

Tes références à Voulzy, à Gainsbourg, à Jean-Louis Murat… Tu prends quoi à chacun d’eux ?

Je ne prends pas consciemment à chacun d’eux. C’est surtout que quand je faisais écouter les morceaux on me parlait de ces gens-là, en fait. Ce sont les souvenirs des musiques que j’écoutais enfant. Mon père écoutait beaucoup de jazz, donc j’ai eu l’oreille éduquée. J’ai aussi retenu plein de mélodies de Voulzy, Chamfort, Gainsbourg, Daho…

Ce sont des chanteurs auxquels votre génération offre une seconde jeunesse ?

C’est parti de la génération des chanteurs de la nouvelle chanson française, de Dominique A à Bénabar, Miossec etc. – je ne les mets pas artistiquement sur le même plan –, qui a fait des chansons sur un autre mode, qui est un très bon mode aussi. Mais je pense que la passerelle se fait facilement parce qu’on ne se reconnaît pas dans la nouvelle chanson française type Delerm, et qu’on a envie de se connecter à autre chose : la génération d’avant. En fait, la pop en France n’a jamais cessé. Mais elle a été plus discrète pendant des années. Moi, j’aime bien Autour de Lucie ou Katerine ou les Littles Rabbits. Mais c’était moins à la mode. Jusqu’à ce que Katerine sorte Louxor. Il y a aussi Sébastien Tellier qui a remis un truc psychédélique et rétro-futuriste dans la musique. Ça a beaucoup rafraîchi les choses. Ce chanteur français super hype, ça nous a donné des ailes.

Olivier Lamm t’a qualifié de « one-man band ». C’est une manière de te qualifier d’homme-orchestre ?

Oui. Parce que je joue de plusieurs instruments (piano, guitare, chant…) On utilise souvent cette expression quand je fais de la musique pour le théâtre. Parce que je joue plusieurs instrus, ce qui permet aux metteurs en scène de changer les orchestrations.

En concert, tu te positionnes à la fois comme instrumentiste, chanteur, producteur. Tout ça sur une même scène.

Au-delà de ça, c’est une envie d’être dans l’instant présent. C’est pour ça que je chante un petit peu différemment, que c’est orchestré différemment. Je module les synthés en direct pour que ça réagisse avec l’audience. C’est aussi pour « faire le chanteur ». Pour être dans l’adresse. Ça me vient du théâtre. Je ne suis pas du tout comédien, mais comme j’y suis souvent, je vois les comédiens travailler. Au théâtre, tu ne dis pas le texte : tu l’adresses à quelqu’un. Et ça change tout. J’avais vraiment envie d’adresser les paroles des chansons.

Tu veux nous dire un mot sur ton auteur, Alexandry Costa ?

C’est un ami. Il est passionné de musique mais il n’a jamais travaillé dedans. Il est coiffeur dans la mode. On a des connaissances communes et c’est lui qui m’a proposé. Il m’a vu jouer avec My Broken Frame et il a trouvé que c’était pour moi. Au même moment, il m’arrivait de chanter en français au théâtre. Donc l’occasion a fait le larron.

Il y a une sensibilité féminine dans ses textes. Que tu interprètes aussi avec une sensibilité féminine. Et très assumée…

Ce n’est pas parce que tu chantes pour une fille ou que tu fais une chanson hétéro que les gays et les lesbiennes ne s’y reconnaissent pas. C’est l’universel du sentiment, du désir et de la rencontre.

En parlant des femmes, il y en a une qui t’accompagne sur scène. Une bassiste qui a une belle présence…

… Clémence Lasme.  Je l’ai rencontrée car je travaillais sur la réalisation et sur la production d’un album pour Pan European Recording qui va sortir en janvier 2019, de Lisa Li-Lund. Clémence joue la basse dedans. Elle joue aussi dans Buvette, qui est chez Pan European aussi (on l’a vue aussi aux côtés de Moodoïd).  J’ai travaillé avec pas mal de filles : avec Victorine, pour un album et un EP. J’ai fait des arrangements sur certains morceaux et j’ai mixé son album. J’ai travaillé avec Carmen Maria Vega aussi : j’ai mixé son album de reprises de Boris Vian. J’ai produit un album pour Tim, une djette. Et puis j’ai travaillé aussi beaucoup avec Mathias Malzieu, pour son label Eggman Records. Il enregistre des gens dans leur appartement. L’idée, puisqu’il est écrivain, c’était de mélanger écriture et musique.

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Est-ce que tu trouves qu’il y a une différence à travailler avec des femmes ?

Non. Mais pour les femmes, ce n’est pas forcément simple de travailler dans la musique. Parce qu’il y a de la misogynie. Mais, qui que je produise, je ne le fais pas avec le désir d’imposer mes idées. J’ai envie d’être le compagnon de l’artiste pour lui permettre d’aller au bout de ses idées. Les gens avec lesquels je travaille, c’est le fruit de rencontres et d’opportunités. J’ai fait un track de hip hop aussi. J’ai fait pas mal de choses différentes, en fait.

Tu as aussi travaillé avec Rubin et le Paradoxe.

Oui. Il est sur le label HMS. En ce moment on travaille sur des morceaux ensemble. On a un peu le même genre de démarche, en fait. Il fait de la musique pour le théâtre aussi. On prépare un EP. La sortie n’est pas encore programmée, mais ça arrivera pour l’automne. On a fait trois morceaux ensemble. Et il en joue plusieurs sur scène. J’ai collaboré avec un producteur qui s’appelle Golden Bug aussi, qui fait des trucs électro. Je n’aime pas faire toujours la même chose. J’aime bien les nouvelles rencontres, essayer des nouvelles choses et me renouveler comme ça. Ce qui est sûr, c’est que Fictions serait différent si je n’avais pas travaillé avec d’autres gens. Ça m’a fait grandir artistiquement de côtoyer les univers d’autres artistes. C’est précieux et positif.

Tu es quand même particulièrement actif !

Il y a tellement peu d’argent en musique que si je veux faire la musique que j’aime faire…

Tu en es à ton cinquième concert avec celui qui va arriver, et le live est déjà très maîtrisé : il y a un gros travail en amont ?

Oui. C’est ce que j’avais déjà expérimenté avec mon groupe My Broken Frame. Et que j’applique aussi beaucoup dans le théâtre. Donc j’ai l’habitude. On a aussi fait une résidence avec le même ingénieur du son que Vox Low. L’idée, c’était d’avoir un truc prêt. Comme en plus c’est très collé à la sortie, il fallait que ce soit déjà rodé.

Bovary Boat Club, samedi 23 juin sur la terrasse du Petit Bain.

Fictions – EP1 (La Tebwa/Idol), sorti le 1er juin.

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Guillaume Léglise – Tumblr

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