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Shades of Blue, le virage synthétique de Fabrizio Rat

Shades of Blue, le virage synthétique de Fabrizio Rat

Manifesto 21 - Fabrizio Rat

Ce vendredi 14 février, le pianiste et producteur de musique électronique Fabrizio Rat a dévoilé son troisième album Shades of Blue. 12 plages expérimentales qui rompent avec tout ce à quoi nous avait habitué l’artiste, ou presque.

Originaire d’Italie et installé à Paris depuis une dizaine d’années, Fabrizio Rat creuse son sillon dans la scène techno européenne depuis 2016, année lors de laquelle il sort l’EP La Machina sur Optimo Trax, le label du DJ et producteur britannique JD Twitch. Ce premier EP contient déjà ce qui constituera la marque de fabrique de Fabrizio Rat, à savoir une juxtaposition singulière entre piano et sonorités techno. Comme il l’explique dans la brève biographie que l’on peut trouver sur sa page SoundCloud, l’artiste a pour leitmotiv de « projeter le piano, instrument romantique et classique par excellence, dans l’univers hypnotique et puissant de la musique techno ». Le résultat de cette démarche est saisissant, en particulier en live où le pianiste de formation construit et reconstruit ses morceaux à la volée à l’aide d’un piano à queue et d’une sélection de machines old school toutes plus mythiques les unes que les autres (pour les connaisseurs, on citera notamment les synthétiseurs TB-303 et SH-101, ou encore la boîte à rythmes TR-909).

https://www.youtube.com/watch?v=IDxHjPM-UWU

Subtilité de taille, le piano entendu dans la plupart des enregistrements de Fabrizio Rat est un piano dit « préparé », soit un piano dans lequel des objets usuels de tailles diverses et variées (fourchettes, trombones, récipients, etc.) ont été placés entre les cordes afin d’altérer le son que ces dernières produisent en résonnant. Inventée par le compositeur et plasticien américain John Cage, cette technique qui permet de démultiplier les possibilités sonores du piano et ce à moindre frais a notamment été explorée par Aphex Twin (en particulier sur le double album Drukqs sorti en 2001), Brian Eno ou encore le Velvet Underground. Dans une interview accordée à Trax en 2017, Fabrizio Rat expliquait qu’il voyait dans le fait de préparer un piano un processus « très similaire à la synthèse d’un son dans un synthétiseur à travers ses différents oscillateurs et effets ».

En sortant deux albums et une poignée d’EP en seulement 3 ans, l’artiste semblait avoir trouvé sa formule : un beat simple mais massif, quelques nappes de synthétiseur et ce piano préparé omniprésent jouant des motifs courts et hypnotiques. Une équation qui n’est pas sans rappeler les travaux d’un certain Nils Frahm ou encore de l’artiste français Laake dont nous vous parlons régulièrement dans ces colonnes, à ceci près que la démarche de Fabrizio Rat est plus naïve, plus brute que celle de ses collègues. Plus rave, serait-on presque tenté de dire.

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© Philippe Levy

Tout fraichement sorti, Shades of Blue marque un véritable tournant dans le cheminement de l’artiste qui décide de s’éloigner au moins pour un temps de cette équation bien (trop ?) rodée. Ici, pas de beat martial ni même de sonorités oldschool (tout au plus croit-on déceler le son caractéristique du SH-101 dans le morceau Neon). Et pour cause, ce nouvel album fait la part belle aux rythmiques breakées et surtout aux expérimentations synthétiques. D’après nos sources, l’artiste se serait lancé dans ce puits sans fond qu’on appelle synthèse modulaire, discipline de gros nerd s’il en est une consistant à créer son propre synthétiseur à partir de modules acquis séparément et reliés les uns aux autres à l’aide de câbles. Cette nouvelle pratique expliquerait sans peine le changement radical opéré avec cet album. Ambient, IDM, expérimental, ce Shades of Blue est un peu tout ça à la fois. Même si les motifs de piano hypnotiques auxquels nous avait habitué l’artiste brillent un peu trop par leur absence, les 12 plages qui constituent ce troisième album forment un tout cohérent sur lequel on revient facilement. Reste à savoir si Fabrizio Rat adaptera ce nouvel opus à la scène, auquel cas nous serions on ne peut plus curieux d’assister au résultat.

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