Do we enjoy poverty ? Contemplations documentaires #2

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Fragments du quotidien, regards subjectifs sur les corps, intimité partagée… Le documentaire bouillonne, bouscule, réinvente les formes du cinéma. C’est pour le célébrer que nous vous proposerons désormais chaque mois une sélection de films qui nous touchent, à visionner en ligne.

Enjoy Poverty, Black And White Trypps Number Three, Pain is mine, Le gang des DS : Voici nos pépites docus dénichées en mai.

Enjoy Poverty

Renzo Martens (2008)

Les photographies d’enfants africains en situation de malnutrition sont omniprésentes, que ce soit dans les médias, les galeries, ou dans la publicité, se vendant parfois plusieurs milliers d’euros, remportant des prix lors de prestigieuses et luxueuses cérémonies. L’artiste Renzo Martens formule une vérité gênante, l’utilisation de la pauvreté comme une ressource exploitable. Le film du néerlandais dépose de gros cristaux de sel sur les plaies à vifs de l’éthique médiatique et de ses contradictions. Son âpreté est telle que le peu de festival ayant eu le courage de le programmer se rétractèrent après seulement quelques projections. Enjoy Poverty bouleverse le système de valeurs, les gens quittent la salle, ne peuvent finir le film non pas à cause des images de corps bientôt dénués de vie, de peaux cachant à peine l’aspérité des os, mais parce que notre regard n’a jamais réussi à aller plus loin que cette violence là, frontale et anesthésiante, pour voir une réalité encore plus sombre et répugnante, celle de s’apercevoir que nos sociétés se sont bâties sur de la chair en décomposition et que ces photographies ne sont là que pour donner juste ce qu’il faut de compassion pour que l’on réussisse à se persuader que nous ne sommes pas complices. 

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Pain is mine

Farshid Akhlaghi (2018)

Filmé en caméra subjective pendant le lever d’une vieille femme peu après une opération, les treize minutes du film de Farshid Akhlaghi ne laissent aucune chance. Chaque infime mouvement du corps donne naissance à une souffrance engloutissant toutes les autres de puissance, chaque articulation rappelle dans son douloureux déploiement que plus jamais il n’y aura de répit.  Malgré la musique qui le temps de quelques notes à la cithare apaise les articulations et les pensées, le corps nous rappelle à son essence, son éphémérité, son insaisissable altération. L’espérance de vie variant de plusieurs décennies selon les professions, on ne peut cependant s’empêcher de penser que malgré la puissance d’écrasement du temps sur les corps, ceux ci ne subissent pas avec la même violence ses fureurs selon leur rang dans nos sociétés. 

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Le gang des DS

Antoine Garrec (2016)

À pont l’abbée, une petite ville bretonne, dans les années 70, un groupe de jeunes, davantage en manque d’occupations que réellement habité par le désir de terrifier, émaille le quotidien de la commune de bagarres alcoolisées, de tirs de fusils à plombs et de particules fines émanant des pots d’échappements grondants de leur horde de DS noires. Le musicien et réalisateur Antoine Garrec a rencontré les contemporains de cette époque mouvementée pour en savoir plus sur cette légende celtique. Comme pour son album Plastique Sahara sorti en octobre 2020, le breton animé d’un esprit DIY sans faille nous offre des instants de grâce drôles et lunaires. Le cinéma amateur souvent emprunté par son désir suffocant de mimer le cinéma professionnel trouve ici une respiration, dans un documentaire libre de tout standards de formes ou de narrations. Jusque sur la tombe de Merlin, le film d’Antoine Garrec vise juste car tout nous semble si près, les dessins d’enfants, les bars de petites villes, les légendes locales et les histoires d’amours fantasmées, et si loin tant le gang des DS semble être né d’un désir infalsifiable de faire du cinéma avec le moindre bout de quotidien, sans pour autant le travestir. 

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Black And White Trypps Number Three

Ben Russel (2007)

Capté lors d’un concert du groupe noise-punk de Rhode Island Lightning Bolt, le court métrage de Ben Russel donne forme à ce qu’est le cinéma documentaire lorsqu’il délaisse tout, pour n’extraire des images et sons plus que les plus pures sensations émanant de la rencontre entre un être et une situation. Ici un batteur et un bassiste, en pleine cérémonie de mise en autarcie de leur public du reste du monde. Le faisceau de lumière ne laisse jamais apercevoir plus de deux ou trois corps à la fois et par cet amoindrissement du visible étend cette foule potentiellement infime à l’infini. Le drone de Joe Grimm dévore au fur et à mesure la violence auditive du duo noise mais en laisse ressurgir quelques aspects, comme lorsque sous l’eau on ne perçoit plus que de légères apparitions étouffées de ce qui n’est pas immergé, la transe initiée par la musique atteinte, celle ci change de statut, de but elle devient moyen. Ben Russel sculpte dans la foule un passage rituel, l’effacement du corps unitaire au profit du corps collectif, dans un sport collectif, un pogo ou un bloc de tête.

La Commune, la carpe et Lady Jaye : Contemplations documentaires #1

Image à la Une : Black And White Trypps Number Three © Ben Russel (2007)

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