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What The Fuck Festival. Place au discours du corps queer

What The Fuck Festival. Place au discours du corps queer

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Un festival sans tabou, sans frontière, avec du beau et du sexe queer : c’est un OVNI, c’est le What The Fuck Festival. Le 6 et 7 juillet, il s’installe au Cirque Electrique pour deux jours de programmation audacieuse et délicieuse.

Hors du commun, cet événement saura nous faire voyager à travers des représentations alternatives des corps, des genres et des sexualités dans une atmosphère dissidentes. S’y côtoieront performances radicales, usages non conformes du corps, expérimentations insolites et artistes engagés en relation avec le post-porn. Ici la marge est reine, chacun y trouve son lieu d’expression et les désirs s’entremêlent dans un espace résolument politique. Alors que Facebook a récemment censuré leur page, rencontre avec Marianne et floZif, à l’origine du What The Fuck Festival, pour mieux saisir l’importance de ce genre de beaux moments en perspective.

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Glitter Butch

Manifesto XXI – Comment est né le What The Fuck Festival, avec qui et pourquoi ?

Le WTFF met à l’honneur les représentations sexuellement explicites queer. Ce point de départ permettant d’une part de briser les frontières artistiques/pornographiques – habituellement le premier terme renvoyant au légitime digne d’intérêt, le deuxième renvoyant au méprisable illégitime, de considérer que les formes qui s’y inventent sont riches, porteuses d’expérimentations et de productions passionnantes. D’autre part, ce qu’il s’y joue ce sont également des enjeux d’auto-représentations des marges sexuelles qui ne sont jamais représentées dans les espaces mainstream, ou alors représentées par d’autres, de manière stigmatisante et stéréotypée. Or, toutes les luttes politiques se mènent en partie sur la question des visibilités et sur les ré-appropriations de discours.

En invitant des artistes, activistes, performers, réals, putes, queers en tous genres à montrer leur œuvres, à faire entendre leurs discours, le WTFF s’inscrit résolument dans une ligne festivement politique, dans une volonté de renvoyer fiertés et puissances comme discours en retour aux injonctions à se taire et disparaître véhiculées par les lois discriminantes et les normes oppressantes. Enfin, le WTFF c’est la rencontre entre Marianne Chargois et floZif, toutes les deux performeuses, organisatrices de soirées et festivals, et imprégnées de l’incroyable Porn Film Festival de Berlin.

Comment va se dérouler cette édition ?

Les 6 et 7 juillet aura lieu la troisième édition du festival. Nous sommes très heureuses de continuer à porter ce projet qui réunit tous les ans plus de publics et d’enthousiasme. Ces retours sont d’autant plus précieux que le WTFF ne bénéficie d’aucune soutien financier institutionnel ou autre, il s’agit d’une économie très fragile et DIY. Ce succès nous conforte dans les lignes que nous menons, et nous persistons donc dans notre programmation avec des projections de films queer, porn, des concerts, et des performances.

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Gordon B Rec

Comment définiriez-vous votre place dans le queer ? Est-ce que le queer est toujours politique pour vous ?

Un des fondements des pensées queer est de créer des savoirs et expertises depuis les vécus, depuis les pratiques physiques, depuis les corps. Car les infériorisations et discriminations vécues par les personnes racisées, trans, putes, pédé, gouines – bref, par les queer – leur sont adressées précisément pour marquer et sanctionner leur non adhésion, non concordance, aux codes des dominants : à savoir être blanc, hétérosexuel, dans des vies articulées autour des valeurs de l’emploi et de la famille. Pour cette raison faire un festival qui met les corps, les agentivités queers, les auto-représentations par les marges elles-mêmes est très important. Nous ne nous intéressons pas qu’aux œuvres, mais aussi aux processus de ces œuvres : qui parle à propos de qui ?

Ce qui est politique c’est de garder présentes ces préoccupations. Ce que racontent et expérimentent les personnes concernées – quelque que soit le support artistique – sera toujours immensément plus riche et complexe que des représentations crées par des personnes extérieures, créant depuis un surplomb.

Qu’est-ce que la relation au sexe de la société dit de la France selon vous ?

Les allusions au sexuel sont récurrentes dans les pubs et les espaces médiatiques mainstream divers, ce qui pourrait donner l’impression que la sexualité est partout. Or, si on y prête attention, il ne s’agit quasi exclusivement que de références hétérosexuelles et très caricaturales en terme de rôles de genre féminin et masculin – et on ne parle même pas des références transgenres, car il n’y en a aucune, ou alors monstrueuses. De plus, il y a un gros retour des censures insidieuses, rampantes dans les représentations en France : par exemple être nu sur scène redevient sensible, même sur les scènes contemporaines, comme si la nudité était en soit un acte sexuel. Il y a régulièrement des scandales -toujours animés par des réactionnaires de droite- autour d’un baiser entre deux hommes sur l’affiche de L’inconnu du Lac de Guiraudie, La vie d’Adèle qui perd son visa d’exploitation, etc. Mais ce qui est alarmant c’est que ces associations catholiques d’extrême droite – Promouvoir, Civitas entre autres – ont gain de cause.

Les mouvances Manif pour tous ont acquis une place d’épouvantail : tout le monde redoute de se retrouver avec des actions virulentes de leur part, et pour éviter cela les lieux, programmations, politiques, préfèrent ne pas soutenir ou diffuser les discours et œuvres féministes, queer, etc. Bien sûr ce sont comme d’habitude les minorités qui en pâtissent, mais de façon plus large les libertés d’expressions et de créations pour toutEs.

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Take Me Like The Sea

Qu’apporte le post-porn ?

Ce qui est intéressant avec ce qu’on appelle le post-porn, c’est une forme de visibilisation des discours contenus dans le sexuel et ses représentations. Par exemple un porno hétéro mainstream porte dans sa forme même les politiques des corps, et normes en vigueur : homme pénétrant/femme pénétrée, focus sur les organes génitaux, corps blancs, minces et jeunes, ou alors exotisés etc. Le post-porn est une ré-appropriation du porno par les marges sexuelles.

Quelle place a la performance dans le festival ? 

La performance permet des actions radicales et des discours qui passent par le corps et non pas par l’intellect – tout comme le porno. C’est un support qui a toujours été utilisé par les minorités, aussi parce qu’il est possible de travailler avec son corps comme seul matériau. En effet, ce sont des formes qui se font souvent sans argent, sans résidences d’artistes, en dehors des économies institutionnelles. Il y a donc souvent au WTFF des performances qui se créent spécifiquement pour l’événement, que nous n’avons pas vu au préalable, mais intéressantes car nécessaires. Cette année Gordon B. Rec performera autour de sa transidentité FtM, Glitter Butch sur la grossophobie par exemple. Nous invitons également des formes ayant déjà tourné, comme Zelda Weinen et son hip-hop pute dépressif, ou Le Corps du Roi, spectacle de Matthieu Hocquemiller qui invente un sacre queer jouissif.

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Who Will Fuck Daddy

Comment avez-vous choisi cette programmation ?

Nous construisons nos programmations au fil de ce que nous voyons dans les différents évènements queer, en France et à l’étranger. Nous faisons également tous les ans des appels à projets, et nous avons à cœur de soutenir les initiatives, les personnes qui se lancent sur un premier projet. Encourager les proliférations de films et de performances est vraiment une des missions du WTFF, que les personnes se sentent autorisées à créer elles aussi les formes qu’elles veulent, à contribuer à enrichir les diversités de représentations.

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