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Vernis sage #1 : La jeune création est-elle conformiste ?

Vernis sage #1 : La jeune création est-elle conformiste ?

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Qu’on soit amateur ou indifférent aux actualités de l’art contemporain, nous avons tous fréquenté une fois au moins un vernissage. Symbole de l’entre-soi superficiel qu’on reproche parfois à ce milieu, ou occasion rêvée d’ouvrir l’art à de nouvelles pratiques et publics ? Nous sommes partis à la rencontre de jeunes artistes et commissaires afin de comprendre de quel bois se chauffe aujourd’hui le vernissage.

En ouverture de cette série, focus sur le paradoxe du vernissage.

À mi-chemin entre la satisfaction mesquine du happy few et la perspective, non plus avouable, du buffet à l’œil, le vernissage a tout du coupable idéal. Le vernissage a tiré son nom de l’habitude des amateurs fortunés venus observer, à la veille du XXème siècle, les peintres portant la dernière couche de vernis à leurs toiles. Il est aujourd’hui concurrencé par le plus sobre et cosmopolite opening. En ces temps de premiers froids et de FIAC, il est un alibi idéal à l’alcoolisme mondain des jeudis soirs d’octobre.

« Le vernissage est un événement qui s’adresse à un public quasi exclusif – sous couvert de leur ouverture, c’est également le cas des vernissages « publics » – et qui est souvent traité comme un temps du plan de communication plutôt que comme un temps de l’exposition. » souligne Marion Coindeau, jeune commissaire indépendante. « Je pense qu’il faut d’abord distinguer deux choses : le vernissage, comme rituel qui précède l’exposition, et l’exposition elle-même. La majorité du public d’un vernissage se rend à un vernissage et non à une exposition, elle ne concentre donc pas son expérience sur les œuvres et sur l’exposition mais se rend à une petite fête. »

Le vernissage d’art contemporain se voit ainsi piégé dans ce rôle crucial qu’il est appelé à jouer, paradoxal moment où une grande majorité du public verra l’exposition, au moment même où l’affluence, le bruit, l’ivresse rendent la rencontre avec les œuvres non moins qu’impossible.

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©Sofia Lambrou

La jeune création artistique se serait-elle résignée à cette situation ?

On observe aujourd’hui assez peu d’initiatives allant à l’encontre de cet ordre établi du mondain. Du vernissage monstre du Palais de Tokyo jusqu’aux tiers-lieux clamant pourtant leur temps d’avance sur la liberté, les pratiques ne varient guère. Certes, la bière artisanale remplace le champagne, mais le tout-Paris surlooké qui les fréquente est (presque) le même, et l’intérêt porté aux oeuvres à peu près nul.

Le vernissage serait donc bien ce coupable idéal, qui témoignerait de la vacuité d’un art poseur, plus prompt à avaler les petits fours qu’à creuser le sillon du sens et de l’expérience esthétique véritable.

La réalité est, peut-être, bien plus nuancée. Tout d’abord, la question, voire la dénonciation, de la frivolité du milieu de l’art a occupé les artistes pendant une bonne partie des cinquante dernières années. Dénonciation ludique quand, en 1958, Yves Klein, faisait du vernissage l’occasion de colorer l’ensemble des éléments liés à l’événement – cartons d’invitation, vitrines, cocktail – de son bleu caractéristique, contrastant ainsi avec la blancheur des murs de la galerie laissés intactes pour son “exposition du vide”. Rieuse, encore, lorsque Maurizio Cattelan, plus récemment, affubla son galeriste Emmanuel Perrotin d’un déguisement de lapin rose des plus équivoques.

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©Maurizio Cattelan, « ERROTIN, LE VRAI LAPIN (A, B, C) » 1995

Performances et interventions plus violentes ont également donné une dimension plus événementielle, voire politique, aux vernissages. Jusqu’aux dérives sensationnalistes qu’incarne par exemple l’opening party de Loris Gréaud à Dallas en 2015, où les convives se retrouvèrent face à un gang cagoulé, enrôlé pour l’occasion, détruisant avec fracas la quasi-totalité des œuvres présentées.

LORIS GREAUD – THE UNPLAYED NOTES MUSEUM – OPENING REPORT! – DALLAS CONTEMPORARY – 2015 from GREAUDSTUDIO on Vimeo.

Cet inventaire historique en tête, les artistes contemporains ont peut-être l’impression qu’il n’est plus nécessaire d’en remettre une couche, que la question a déjà été traitée. Il est également possible qu’aujourd’hui puisse être séparé le temps de l’oeuvre de celui, d’égale importance, de se retrouver collectivement. « Même si les conversations de vernissages ne sont pas forcément portées directement vers l’œuvre, son analyse ou sa compréhension, ils peuvent avoir le mérite de réunir des personnes qui ne se retrouveraient pas forcément ailleurs. » abonde dans ce sens Rafaela Lopez, plasticienne et Présidente de Doc à Paris. Le vernissage serait ainsi, et sans arrière-pensée, un moment d’échange et de rencontres. Celui de l’art viendra après, à tête reposée.

Cette posture soulève pourtant une question cruciale, celle des publics de l’exposition. Les amateurs éclairés ne rechigneront pas, en effet, à s’y rendre plusieurs fois pour apprécier les œuvres de jeunes créateurs dans un cadre plus feutré. En revanche, le public moins habitué n’est pas intégré à cette temporalité binaire de l’exposition. Une problématique qui se pose d’autant plus avec le foisonnement de ces nouveaux lieux et friches, dont l’inclusion territoriale est pourtant une des valeurs cardinales. Dès lors, des voies sont-elles aujourd’hui explorées pour repenser ce rapport entre les œuvres et le public, au travers notamment du vernissage ?

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