Lecture en cours
Les six voyages de Zombie Zombie

Les six voyages de Zombie Zombie

[video src="https://www.youtube.com/watch?v=4n6NdEDXCDc"]

Zombie Zombie c’était d’abord Étienne Jaumet et Cosmic Neman, deux nerds de musique et de cinema qui se retrouvent autour d’un amour partagé pour les films de Dario Argento et John Carpenter, le jazz de Pharoah Sanders et de Sun Ra, la musique électronique expérimentale de Kraftwerk et un univers empreint de science-fiction et de la pop-culture avec laquelle ils ont grandi. En 2008 sort le premier album A Land For Renegades, savant mélange de krautrock et de nappes sonores répétitives dont l’indéniable caractère visuel peut rappeler la dynamique d’une bande originale de film. Ce n’est pas un hasard puisqu’ils s’attèlent à l’exercice de la B.O. pour deux films et un spectacle de cirque quelques années plus tard, après leur deuxième album Rituel d’un Nouveau Monde. Aujourd’hui le duo est rejoint par un nouveau membre, Doc Shonberg, et sort Livity, une collection de sept morceaux enregistrés en sept jours, un retour aux sources, dix ans après la sortie du premier opus. On a pu les rencontrer pour en savoir un peu plus.

Manifesto XXI – Il s’est écoulé 5 ans depuis le dernier album, que s’est-il passé entre temps dans la vie de Zombie Zombie ?

Doc Shonberg : Déjà, je suis arrivé dans la bande et on a pas mal tourné. Ensuite on a réalisé un disque pour un spectacle de cirque qui s’appelle Slow Future. On a fait une B.O. pour le film Irréprochables. Étienne et Neman ont fait une autre B.O. pour un film de Narimane Mari qui s’appelle Loubia Hamra, mais là je n’étais pas présent.

Étienne Jaumet : Mais tu oublies encore quelque chose ! Slow Future.

Doc Shonberg : Mais je l’ai dit, tu ne m’écoutes jamais !

Comment s’est faite la rencontre avec Doc Shonberg ?

Doc Shonberg : Ils m’ont trouvé dans la rue. Je faisais du konga à cette époque-là (rires). Ils se sont dit que je serais pas mal au rototum.

Cette « pause » que vous avez faite était une décision réfléchie ?

Étienne Jaumet : Non pas vraiment. Ce sont plutôt des opportunités qui sont arrivées, des gens qui sont venus vers nous. On s’est dit ‘pourquoi pas’, on avait déjà fait deux disques avec Zombie Zombie et on souhaitait se confronter à autre chose qu’une discographie.

Doc Shonberg : Avec Rituels d’un Nouveau Monde on tournait dans le monde entier, ce qui nous a pris au moins trois ans. On a fait les deux côtes des Etats-Unis, toute l’Europe… ça prend du temps et de l’énergie.

Étienne Jaumet : C’était bien de travailler avec d’autres artistes que ceux dont on a l’habitude, des gens extérieurs au monde de la musique. Notre nouvel album est, en quelque sorte, la continuité de ce qui nous est arrivé avant.

Comment on compose pour des images avec des contraintes données ?

Étienne Jaumet : La contrainte est un terme important pour nous. On en utilise à chaque projet. Pour Loubia Hamra, c’était un film qui se passait en Algérie pendant la guerre. Il fallait quelque chose qui colle aux images mais sans dénaturer notre musique parce que ce n’est pas ce que voulait la réalisatrice. On s’est fiés un peu à ce qu’on entendait. Par exemple il y a une scène où un enfant chante des chansons arabes sur une plage et ça nous a donné des idées d’accords. Pour Irréprochable, un film complètement différent qui montre une femme qui part à la dérive, on avait des contraintes très différentes. On devait faire des morceaux qui collaient à des contextes particuliers. Quand la scène se passait en boîte, il fallait faire une musique de boîte de nuit. Lorsqu’un acteur écoutait de la musique à la radio dans sa voiture, c’était nous qui la composions. C’était des contraintes auxquelles on n’avait jamais été habitués, ce n’était pas facile !

Pour ce nouvel album, c’était encore d’autres contraintes : on n’avait que sept jours d’enregistrement donc on s’est tenu à sept morceaux. Je pense que les contraintes poussent la musique un peu ailleurs, c’est stimulant.

Au-delà de votre travail pour le cinéma, est-ce qu’il y a toujours une dimension visuelle et cinématographique à votre musique ?

Doc Shonberg : Pas forcément. La musique apporte certainement des images par la suite, mais sur le moment on joue ensemble et les idées viennent. Il y a une vraie émulsion entre nous.

Comment le cinéma a-t-il influencé ce nouvel album ?

Étienne Jaumet : Tu parles beaucoup de la relation du cinéma dans notre musique, probablement parce qu’on fait une musique essentiellement expérimentale. Forcément, on a plus facilement des images en tête, surtout qu’on utilise des instruments assez expressifs comme les synthétiseurs, la trompette ou le saxophone. On ne cherche pas non plus à faire une musique de film, mais plutôt à créer des atmosphères et des émotions différentes.

Doc Shonberg : Après sur l’album, il y a quelques titres qui viennent de commandes pour des ciné-concerts de films de Jean Painlevé et Maurice Pialat. Certains morceaux ont donc été composés pour des images mais on les a joués sur scène sans mise en scène particulière, on se les est appropriés.

Étienne Jaumet : On n’a pas besoin des images pour les jouer.

Cosmic Neman : Étant donné tous les projets qu’on avait fait ces dernières années, on n’avait pas forcément envie de s’inspirer du travail fait sur les B.O. de films. On avait à cœur de faire un disque de Zombie Zombie, quelque chose qui correspondrait plus à notre premier album. On est revenu à l’essentiel de notre musique, dans l’énergie plutôt que dans les images.

Pour revenir à vos expériences de ciné-concerts, selon vous, qu’est ce qui fascine autant dans le travail de Jean Painlevé ?

Cosmic Neman : Ce qui est intéressant c’est que ce ne sont pas simplement des films scientifiques, il y a un côté artistique dans la manière de mettre en scène le sujet. Il était très lié au mouvement surréaliste, ce qui se ressent dans les images. C’est ça qui nous a attiré sur ces films. Le côté psychédélique aussi sur « Cristaux Liquides ». Et puis surtout, Painlevé aimait beaucoup la musique, les bandes originales de ses œuvres étaient déjà très intéressantes.

Doc Shonberg : Pierre Henry en avait composé une, ainsi que François de Roubaix

Cosmic Neman : Contrairement à Cousteau qui avait refusé la musique de François de Roubaix pour Le Monde du Silence, pour mettre je ne sais quelle musique classique dessus, Painlevé était dans l’air du temps et ouvert aux musique modernes et expérimentales.

Étienne Jaumet : C’était un artiste !

Cosmic Neman : On a enlevé la voix off mais même les textes sont superbes.

Pour ce nouvel album, il semble que vous avez la part belle aux plages d’improvisation. Vous aimez laisser les machines aller à leur gré ?

Étienne Jaumet : C’est vrai, on a fait ça mais on le fait toujours. Par contre, la personne qui l’a mixé, I:Cube, a vraiment respecté ça. Par exemple, il y a pas mal de fins de morceaux où on a l’impression que ça s’arrête, puis en fait ça reprend, sur quelque chose uniquement rythmique. Parfois on a envie de continuer le plaisir de jouer et I:Cube l’a bien compris. Il aurait pu l’enlever en pensant que c’était des choses anecdotiques, mais c’est bien de l’avoir gardé parce que ça donne une facette un peu différente du même morceau.

Cosmic Neman : Il a respecté le processus sans gommer d’imperfection. On était contents du résultat, c’est amusant de laisser les choses planer et ne pas faire croire que tout est parfait et maitrisé.

Étienne Jaumet : En concert on n’a pas peur de continuer les morceaux quitte à en jouer moins.

Vous trouvez qu’aujourd’hui la majorité des productions sont trop lisses et mériteraient d’être plus sinusoïdales ?

Cosmic Neman : Aujourd’hui, tout le monde enregistre avec des ordinateurs, c’est tellement facile d’éditer de la musique, d’enlever un bout et de lisser, ce que les gens ont donc tendance à faire. Tu peux même recalibrer le beat, mettre de l’autotune quand tu chantes faux. C’est vrai qu’avant, soit tu ne pouvais pas, soit il fallait couper la bande au cutter pour enlever un bout, c’était déjà plus compliqué. Face à cette froideur de l’ère digitale, on préfère garder les imperfections.

Étienne Jaumet : Il y aussi une certaine pression. Aujourd’hui, un morceau doit être efficace, il doit avoir un impact maximal. Ça se ressent au niveau de la production, du mastering… Si vous écoutez un vinyle pressé dans les années 1960, 1970, on a l’impression que le volume sonore a augmenté. Alors que non, on a juste réduit la différence entre les niveaux les plus faibles et les plus forts pour avoir un maximum d’impact tout le temps. Je trouve ça un peu fatiguant, il y a des disques qui ont été gâché à cause de ça. Il faut laisser vivre un peu la musique avec ses silences et ses imperfections. Les gens sont plus sensibles à l’émotion qu’à quelque chose de très léché.

Votre musique plaît autant à un public de club qu’à des fans de krautrock et de free-jazz, c’est plutôt étonnant.

Étienne Jaumet : Il y a plusieurs raisons. Le fait qu’on a signé sur Versatile Records déjà. Avant, on écoutait pas de musique « club ». En allant à des soirées du label, on a été emmenés dans ce genre de musique et on a commencé à y être sensibles. Cette dimension s’est infiltrée dans notre musique par la boîte à rythmes qui donne un côté binaire. En réalité, c’est quand même plus complexe, il y a deux batteurs donc rythmiquement c’est plus riche qu’un pied de grosse caisse et un claquement de main. Même si on a un côté musique dansante, on a quand même une richesse rythmique et une certaine recherche en plus. Ceux qui ont envie de danser restent bloqués sur le kick et ceux qui sont sensibles à la musique sophistiquée écoutent davantage les nuances des percussions. Il y a deux niveaux d’écoute.

Cosmic Neman : Avec la longueur des morceaux, tu peux plus facilement être emporté dans la musique, c’est le genre de choses qu’on retrouve dans la techno. On essaye d’atteindre cette transe, d’emmener les gens avec nous… c’est une sensation que l’on peut retrouver dans différents styles et où les gens peuvent se rejoindre, que ce soit dans la musique électronique ou le free-jazz.

Il vous arrive aussi de faire des DJ sets, qu’est ce qu’on peut y trouver ?

Étienne Jaumet : On en a fait un à la Java jeudi dernier, c’était très chouette. Les gens étaient réceptifs, ils s’éclataient. La sono n’est pas incroyable à la Java donc c’est difficile d’emmener les gens loin dans l’hystérie, chose qu’il nous est déjà arrivé de faire. On mixe chacun différemment. C’est Neman qui va mixer à la Station.

Cosmic Neman : Tout dépend des contextes. Comme dans notre musique, on aime bien l’idée de ne pas trop prévoir ce qu’on fait. On aime plein de musiques assez différentes. Ce qui est excitant c’est de ne pas savoir ce qui va se passer, de choisir les morceaux au dernier moment.

Étienne Jaumet : Ca dépend aussi de ce que tu emportes avec toi. Parfois, tu as envie de passer des disques mais ce ne sont pas les bons !

Vous êtes des gros collectionneurs de disques ?

Étienne Jaumet : Pas gros mais on aime bien acheter des disques.

Cosmic Neman : (rires) On en achète pas mal mais on connait des gens qui sont plus gros collectionneurs que nous évidemment. Mais on aime beaucoup ça, ça fait partie de notre passe-temps préféré, en tournée, d’aller voir des disquaires un peu partout. C’est un plaisir majeur dans notre vie.

Vous pensez qu’il faut écouter beaucoup de musique pour en faire une bonne ?

Étienne Jaumet : Je ne sais pas si ça existe les gens qui n’écoutent pas de musique mais qui en font. C’est impossible.

Cosmic Neman : Parfois tu peux trouver des idées quand tu découvres un disque incroyable. Après, on n’essaie jamais de reproduire ce que l’on a écouté. Ou bien c’est inconscient. Mais c’est vrai qu’écouter un très bon disque peut déclencher quelque chose artistiquement. Je pense aussi qu’écouter beaucoup de musique peut avoir l’effet contraire, de ne plus savoir ce que tu veux faire. Tu écoutes tellement de choses différentes que, finalement, tu ne sais plus où tu en es.

Étienne Jaumet : Un des pièges, d’ailleurs, c’est de suivre les modes. Il y a des groupes qui font ça : à chaque nouvelle mode, ils font un disque dans l’air du temps.

Voir Aussi

Vous avez le sentiment d’avoir toujours été à contre-courant avec votre musique ? En 2007, vous avez été quelques uns des premiers à faire revenir le krautrock et les rythmes motoriques.

Étienne Jaumet : Ca serait un peu prétentieux de dire ça.

Cosmic Neman : C’est arrivé par hasard et puis on n’était pas les seuls à le faire. Il y avait aussi Turzi aussi. Effectivement c’était une petite niche de gens qui faisaient cette musique-là à Paris à cette époque, mais c’était un peu le hasard. On faisait ça pour s’amuser, on ne revendiquait rien en particulier.

Étienne Jaumet : C’est l’avenir qui dira si on a apporté notre pierre ou pas. Je ne pense pas qu’on a inventé quelque chose de particulier mais bon…

Vous avez confié la réalisation du visuel du nouvel album à Philippe Druillet ; quel est votre rapport à la BD de science-fiction ?

Cosmic Neman : Ca fait partie des curiosités qu’on aime beaucoup. On a tous lu beaucoup de BD américaines indépendantes, des françaises aussi. Ça a fait partie de notre culture, on a toujours été férus de ça. Pour nous c’était impensable que l’on puisse travailler avec Philippe Druillet un jour. On savait qu’il avait déjà fait des pochettes de disques donc on s’est dit que ce projet pouvait l’intéresser, surtout que ça faisait longtemps qu’il n’en avait pas réalisées. On a eu la chance que ça se fasse.

On a un ami qui a un groupe qui s’appelle Yuck as Fuck, il est dessinateur et fan de BD et connaissait Philippe. Il trouvait que la collaboration était une super idée, que ça collait parfaitement à notre univers et nous a mis en contact avec lui. On lui a passé notre disque et ça lui a beaucoup plu donc tout s’est fait très simplement.

Vous aviez donné des pistes à Philippe Druillet pour l’artwork ?

Étienne Jaumet : Non, pas du tout. Il a d’abord écouté la musique, puis il y a une image qui lui est venue et qu’il voulait transformer.

Doc Shonberg : Il nous l’a fait en direct, devant nous !

Étienne Jaumet : On était super contents.

Cosmic Neman : Il travaille avec un associé maintenant, Dimitri Avramoglou, qui l’aide à dessiner. Je pense qu’il reprendra le flambeau et continuera Lone Sloane peut-être plus tard. Forcément, il a aidé à la réalisation de la pochette. C’est marrant, parfois on se dit que certaines situations sont impossibles mais finalement, il suffit de demander.

Le dernier morceau de Livity, « Lune Noire » se détache beaucoup du reste de l’album dans son côté bruitiste, presque musique concrète… c’est ce vers quoi vous voulez tendre pour vos prochains projets ?

Étienne Jaumet : On essaie de ne pas déterminer ce qu’on va faire plus tard, mais je pense qu’effectivement, le prochain disque changera beaucoup.

Doc Shonberg : Ce morceau c’est vraiment une improvisation.

Étienne Jaumet : On s’est laissés aller, on n’avait pas prévu de faire ça. On s’est dit, « tiens, faisons une impro ! » et on l’a enregistrée.

Cosmic Neman : On fait souvent des jams en studio et c’est des trucs qu’on enregistre jamais. Il y a plein de moments mortels qui restent, malheureusement, instantanés. Pour une fois on l’a enregistré, on était content d’avoir ça. Ca nous a donné envie de faire un disque entier d’impros, donc bien vu ! Ce qui est marrant c’est qu’on a hésité à le mettre en premier ou dernier.

Étienne Jaumet : C’est vrai, c’est un morceau dont on sent qu’il ouvre des horizons.

Livity sort le 20 octobre sur Versatile Records.

***

Retrouvez Zombie Zombie sur :

Facebook

SoundCloud

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.