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Prix Pulsar. Doit-on hacker l’art contemporain ?

Prix Pulsar. Doit-on hacker l’art contemporain ?

Un prix d’art contemporain qui brasse nouvelles technologies, hackathon, speed dating et création? La première édition du Prix Pulsar avait de quoi aiguiser les curiosités, voire irriter les plus rétifs au vocable rabâché de la « start-up nation ». Pour comprendre comment la technologie peut être mise au service de l’art, et non l’inverse, nous avons rencontré Marine Ulrich et Alix Debussche, co-fondateurs, Eric Minh Cuong Castaing et Thomas Guillemet, artistes et membres des équipes lauréates des premier et second prix.

@Céline Laviolette – Eric Minh Cuong Castaing, Marine Ulrich, Thomas Guillemet, Alix Debussche, Gaspard Bébé-Valérian

Sous les combles métalliques de la Fondation EDF, qui expose les trois œuvres lauréates du Prix Pulsar, Marine et Alix évoquent la genèse du projet. « Nous avons eu l’intuition d’un événement qui puisse porter notre conviction, la technologie n’est pas uniquement un geste froid. Il s’agissait d’investir ce champ pour porter un message sur cette technologie et les nouveaux modes de collaboration qu’elle induit. » Avec pour parrain Gilles Babinet, entrepreneur renommé et Digital Champion français auprès de la Commission européenne, cet OpenArtPrize s’est lancé au printemps 2017 afin de faire émerger de nouvelles passerelles entre art et tech. « Nous étions frustrés de voir que la technologie était considérée comme une catégorie artistique autonome, alors qu’elle traverse au contraire l’ensemble des pratiques artistiques », poursuit Alix. Il s’agissait donc de récompenser un projet collectif, décloisonnant les pratiques d’artistes, ingénieurs et designers, pour son usage innovant des technologies, tout en montrant comment des pratiques collaboratives, issues de ce monde, peuvent aujourd’hui profiter à la création contemporaine.

©Céline Laviolette

Premier défi de ces jeunes professionnels, eux-même à la croisée des champs de l’innovation et de la culture : concevoir un processus de création collectif, tirant profit des méthodes itératives propres au monde digital. Le Prix Pulsar s’ouvre ainsi par un speed dating, où plasticiens, codeurs, chorégraphes disposent de sept minutes en tête à tête pour se trouver et composer une équipe inédite et pluridisciplinaire. 19 teams sont créées, une première réussite. Alix : « Nous n’avions a priori aucune certitude qu’une seule équipe serait formée le jour-même ! » Ces groupes ont alors quelques jours pour apprendre à se connaître, partager leurs pratiques et expériences, pour présenter à un premier jury une note d’intention. Les dix projets jugés les plus novateurs, tirant profit de la complémentarité des savoir-faire, poursuivent l’aventure. Ils se retrouveront début octobre, entre le TechShop Leroy Merlin et la Station F, pour quatre jours de production échevelés, hackathon créatif à l’issue duquel ils présenteront au jury final leur prototype. Un processus singulier pour des artistes rompus aux traditionnels prix d’art contemporain.

©Céline Laviolette – Urinotron, de Gaspard Bébé-Valérian et Dorian Reunkrilerk

Trois œuvres lauréates sont récompensées par un jury composé de personnalités issues du monde de l’art ou de la tech, en tout cas sensibles aux entrelacs des deux champs. Image/Mouvement de Simon Hill (programmeur et ingénieur du son) et Eric Minh Cuong Castaing (chorégraphe) ; Bodyfail de Clément Barbisan (creative codeur), Thomas Guillemet (artiste-designer), Jean-Marc Matos (chorégraphe) ; et Urinotron de Gaspard Bébé-Valérian (plasticien) et Dorian Reunkrilerk (designer), se sont ainsi vues récompensées autant pour leur usage et discours sur la technologie que pour avoir su tirer parti des expériences complémentaires de leurs créateurs. Repenser l’outil de motion capture pour saisir chez le danseur la profondeur et la couleur (Image/Mouvement) ; rechercher l’instant où la machine échoue à capter le corps, et dévoiler son code (Bodyfail) ; réaliser une œuvre sculpturale capable de transformer l’urine en énergie (Urinotron) : trois propositions prenant la technologie comme point de départ d’un questionnement plus large sur une époque où nous apprenons à être-avec ces nouveaux outils.

La richesse de la démarche Pulsar ne se résume pas, pourtant, à la qualité de ces œuvres finies. Elle se trouve dans le processus de collaboration, parfois nouveau pour les créateurs. « Le croisement de compétences, les rencontres, permettent d’élargir notre horizon d’attente initial. Cette démarche correspond à la vision que je me fais de la création aujourd’hui, complémentaire et non substitutive de la pratique individuelle », explique Thomas Guillemet. Aller au-delà d’une structure binaire, l’artiste concevant, l’ingénieur exécutant, pour saisir des interstices inexploités. « Lorsque Clément, notre codeur, nous indiquait que telle démarche était impossible, c’est là que nous nous engouffrions. Il nous était crucial d’établir un dialogue avec la technologie, plutôt que de la mettre uniquement au service de notre idée. De ce dialogue pouvait naître la poétique de notre projet. »

©Céline Laviolette – Bodyfail, de Clément Barbisan, Thomas Guillemet, Jean-Marc Matos

De cette poétique, les plasticiens soulignent le discours fécond que l’art permet sur la technologie, tout en rejetant une approche immédiatement politique, « qui relève des pouvoirs publics » selon Eric Minh Cuong Castaing. « Le numérique est aujourd’hui pensé pour créer de la communauté, de la rencontre », poursuit-il. La technologie, son usage tant que sa production, peut aujourd’hui être vecteur d’expérience collective, d’échanges, autant qu’elle a pu paraître incarner une certaine forme d’atomisation. Que l’art s’approprie certains de ces champs, « c’est l’opportunité de faire émerger de nouveaux modes de pensée et de production, de ne pas laisser l’innovation enchaînée au principe de sur-consommation associé aux GAFA », explique le chorégraphe. Lui-même a investi, au sein de sa pratique, drones, réalité virtuelle ou robots, « tout en réservant la part la plus importante de ses budgets à la masse salariale, l’humain derrière l’outil ». Les artistes primés insistent sur la manière dont la technologie permet de collaborer différemment, en confiant à d’autres, voire à la multitude, une partie de son processus créatif. Une démarche défendue par Pulsar, pour faire dire quelque chose de nouveau à l’art autant qu’au medium neuf qui l’exprime.

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Partant de ce succès, relayé davantage peut-être dans le monde de l’innovation que celui de la création, l’équipe du Prix souhaite construire autour cette première expérience un projet pérenne. Sensibiliser davantage, publics autant que créateurs, à leur démarche. Nouer des liens plus forts avec l’institution publique, encore embryonnaires cette année. Creuser un sillon qui, s’il n’a pas vocation à représenter un futur exclusif de l’art, en explore les possibles avec audace.

©Céline Laviolette – Bodyfail, de Clément Barbisan, Thomas Guillemet, Jean-Marc Matos

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