Comment on a survécu au Pete the Monkey. Témoignage sans filtre

Il y a désormais presque trois mois, c’était le Pete the Monkey. L’utilité de sortir un compte rendu de festival un trimestre après reste douteuse, mais les choses ne sont pas si simples quand on en vient à PTM (comme la bobocratie parisienne a désormais rebaptisé cet événement se situant entre un supermarché Naturalia et un fest noz).

La première année au Pete, le lointain 2015, fut celle où nous nous trompâmes de Saint Aubin. Nous avions alors pris un Airbnb à Caen : mais arrivées sur les plages du débarquement vides, nous réalisâmes que le festival avait lieu dans le Saint-Aubin à côté du Havre, en Haute Normandie. Dans un état de fatigue extrême après la performance de Rendez Vous, nous n’avions pas manqué d’atterrir à peu près en Belgique en tentant de rentrer sur Caen. La deuxième année fut celle où, par une suite non claire d’événements, nous avions oublié d’appuyer sur « play » pour enregistrer à peu près toutes les interviews.

Parisiens en détresse à Saint Aubin sur mer © Yann Pichot

Cette année, en revanche, les surprises du Pete ont été multiples et nous ont entraînés dans une boucle infernale d’événements qu’on a mis plusieurs semaines à intégrer.

Tout a commencé à l’arrêt du Flixbus de Saint Ouen. Une journaliste, un photographe, une tente deux places (qui se révéla être une place tout compte fait…). Là, une autre victime du journalisme et de ses nombreux mauvais plans, une représentante donc du respectable Brain magazine, nous a rejoints. Nous l’appellerons Kenza pour plus de simplicité.

Le photographe étant un type taciturne, c’est Kenza qui mène la conversation. Alors que nous traversons plusieurs tunnels, elle nous fait remarquer l’abondance de ceux-ci à la sortie de Paris. On se lance ensuite dans un débat sur le pain sans gluten chez Naturalia : une vraie déception, il n’est pas assez compact pour obtenir des sandwichs à la hauteur. Kenza semble spécialisée en nourriture déstructurée et bons plans culinaires. On l’écoute, alors que la Normandie défile sous nos yeux ennuyés.

L’arrivée sur place est festive : les bobos sont visiblement surexcités à l’idée de se lâcher sauvagement dans un pogo devant un live de Voyou. Alors que Kenza rejoint son B&B en compagnie de tous les autres journalistes de médias qui pèsent, ceux dont le nom est rentré parmi les partenaires sur les affiches, nous nous dirigeons désormais vers le camping. Le festival a grandi, ce sont plus de 3000 personnes maintenant : une esplanade Quechua s’étale devant nos yeux incrédules. Sous le Soleil brûlant de Normandie, les parisiens bâtissent leurs tentes, complètement euphoriques à l’idée de se lancer dans une activité aussi subversive.

Mais notre havre de paix sera la forêt, là où s’ouvre le camping des artistes. Pris en sandwich entre Bagarre et Salut c’est cool, nous ne nous faisons pas de faux espoirs quant à la qualité de notre sommeil.

Après un voyage en bus de deux heures, le montage d’une tente et le contact soudain avec une horde de mâles hétérosexuels torses-nus hurlants, leurs t-shirts en mode « Laurence d’Arabie » sur la tête, sûrs de leur potentiel sexuel, nous étions pressés de nous délester devant le concert de Catastrophe. Le seul mot pouvant les définir est finalement « concept ». Un mot fourre-tout, j’en conviens, permettant à la fois d’exprimer l’indéniable qualité artistique du truc et l’insaisissable sens de tout cela.

Beaucoup de personnes virevoltent sur scène tels des derviches jusqu’à la transe pour ensuite engloutir des bouts de papier sur lesquels le public a inscrit au préalable ses pires angoisses. « De quoi avez-vous peur ? » demandent-ils en pleine extase mystique. Nous nous tâtons à écrire « de vous » mais nous trouvons finalement que la blague ne se prête pas à notre rang de critiques d’art. Kenza nous dévoile quelques tips pour prendre des stories Instagram. J’abandonne rapidement : l’écran de mon téléphone n’est pas en mesure de retranscrire fidèlement ce que Blandine Rinkel et sa team ont produit sur scène.

C’est ensuite Voyou qui s’apprête à chauffer l’assemblée. Plus haut, on mentionnait l’absurdité des pogos devant ledit chanteur. Et pourtant, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Nous avons, tous les trois, le photographe, Kenza et moi-même, sauté pendant 45 minutes devant l’angélique chanteur devenu bête de scène. Rebeka Warrior à La Station c’était franchement rien en comparaison de tant d’énergie soudaine. Comment est-ce possible ? On ne se l’explique toujours pas et on pense qu’on vieillit.

C’est alors que nous partons chasser une pizza dans la jungle. Mention spéciale à la bouffe de ce festival, qui pourrait tout aussi être un événement « food » à part entière. Voilà, on vous lâche un conseil d’expansion possible, Pete the Monkey : Music & Food Festival. Jamais mangé une aussi bonne pizza, sauf peut-être à Naples. Repus, nous nous jetons dans une séance de body sculpting sur Blu Samu. Allez, lâchons-nous sans plus retenir les formules de journalistes musicaux en manque d’inspiration : s’il y a un talent à suivre cette année, c’est elle, encore une belge. Mais les Inrocks l’avaient préconisé : « BRUXELLES IS THE NEW COOOOOL ».

La nuit est longue. Le réveil terrible. N’osant pas se servir des douches communes, nos goûts de luxe nous ayant suivis de Paris jusqu’à Dieppe, nous allons de bon matin sonner à la porte du B&B des journalistes sérieux pour quémander un lavage confortable. Kenza est là, toujours pimpante, un smile ravageur, elle prend des stories Instagram de sa chambre pour envoyer à sa rédaction. Elle est du genre hyper diligente.

Nous nous dirigeons désormais vers la plage, un seul objectif en tête : bouffer des moules frites. Nous approchons donc le VIP, resto panoramique avec vue sur les blanches falaises de Normandie. C’est là que Kenza, sans plus pouvoir masquer sa vraie personnalité, la mort dans les yeux et les mains tremblantes, nous annonce qu’en réalité elle n’aime pas les moules. Le photographe, cancalais d’origine, est alors pris d’une violente crise de pleurs, puis de rage, il balance son argentique contre un touriste avant d’aller s’asseoir au bord de l’Océan, contemplatif, le regard rivé vers Saint Malo.

Personnellement, j’accepte Kenza telle qu’elle est. Je propose alors de se rabattre sur ma nourriture nationale qui a le pouvoir de mettre tout le monde d’accord : la pizza ! C’est parti pour la deuxième en deux jours.

Kenza et Coco dans l’un des rares moments de relax du festival © Yann Pichot

Revenons-en à la musique néanmoins. Le tant attendu Johan Papaconstantino prépare son concert. Ce grec aux allures de beauxardeux ( = personne timide possiblement sortie des Beaux Arts adressant la parole uniquement à ceux qui, comme lui, portent des pulls de fripes, une panoplie de boucles d’oreilles, des tattoos schlag et, bien-sûr, un bob) a réussi en une année à remettre le folklore méditerranéen au goût du jour. Je ne peux que le remercier pour cet exploit, salué également par ma mamie Maria, très fan de ses sons. Le live est à la hauteur des attentes de tout le monde, nous crions au génie, puis nous allons nous chercher une pinte.

Le nouveau gourou Papaconstantino séduit la foule © Yann Pichot

Nous divaguons ensuite entre plusieurs concerts, parmi lesquels nous retenons celui de 10Lec6 et de Muddy Monk avec un plaisir particulier. Kenza et le photographe se réconcilient autour d’une friperie en plein air : il lui conseille quelle chemise hawaïenne acheter au meilleur rapport qualité-prix.

La soirée s’annonce intense. Elle démarre en trombe avec l’habituel concert de Fishbach. Il y a tellement de contenus sur Fishbach sur ce site qu’il ne servirait à rien de vous dire encore ce que l’on pense de sa musique. On a donc dansé, piétinés par la meute de femmes en pleurs qui suivent Flora à chaque concert. Ma troisième pizza a atterri sur le sol, pas grave, je n’en avais franchement pas besoin.

10lec6 © Yann Pichot

Ensuite ce fut Bagarre. Enfin, nous retrouvons le goût de la teuf bien sale comme on l’aime. Tout le monde s’en fout, c’est un bordel monstre, La Bête nous balance une bouteille d’eau, on prend une douche et on agite nos cheveux en quête de sex cred. Kenza fait des vidéos pour Instagram. Un génie, comment fait-elle à rester aussi droite ? Les cinq fous organisent un pogo, nous pensons que c’est peut-être trop pour nous : on est en pleine digestion. On sort de la rixe : je croise Samuel, journaliste art de ce même magazine, star de la FIAC et de ses buffets, expert en œnologie de vernissage, celui que nous voudrions écouter sur France Inter à la place d’Augustin Trapenard. Je ne le reconnais pas, l’air bestial, le torse nu, tout juste sorti de la bataille de boue. Je prie pour qu’il ne me tape pas la bise. On reste pantois. Cette vision nous hante encore.

Bagarre en phase de décollage © Yann Pichot

La descente aux enfers ne fait que commencer. Après une rapide sieste, nous revenons dans la mêlée pour Salut c’est cool. Rien n’a plus de sens, le photographe crie à la lune tel un loup sauvage. Kenza me regarde, pose sa main sur mon épaule, je la vois floue : « Il faut que je rentre. Tu comprends ? ». Je dis que non, que je ne comprends pas. Une heure à côté des enceintes pendant Bagarre : mon audition sera compromise pendant une semaine.

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Nous rentrons enfin dans notre humble demeure champêtre entourée de festins nocturnes, de bacchanales vertigineuses, d’hommes et de femmes dansants en proie à l’euphorie normande.

L’Olympic Stage après le pogo © Yann Pichot

Le samedi matin, Kenza nous quitte. La 4G ne fonctionne pas dans la jungle de Saint Aubin : elle se doit de rentrer à Paris pour enfin poster toutes ses stories. Mais avant, nous nous régalons avec un formidable repas à base de falafels.

Un aperçu de la jungle © Yann Pichot

C’est là que tout a dérapé. Soudainement, je me rends compte qu’un tic s’est incrusté sur ma personne au niveau de l’épaule gauche. Kenza, avant de sauter dans sa navette, pousse un cri et me conduit auprès du SAMU. Elle dit que c’est dangereux, elle compile une liste exacte de toutes les conséquences que cet épisode pourrait avoir sur mon existence future et mes espérances de vie. Je comprends que tout peut se jouer en quelques heures. La bestiole est tenace. Les hommes du SAMU nous regardent d’un air grave : il faut partir aux urgences à Dieppe. Hors de question, nous ne pouvons pas rater les concerts d’Aloïse Sauvage et de Chaton. Les larmes coulent, abondantes, alors que le photographe et Kenza me séparent de la scène Jibou. Pas le choix : Dieppe ou la mort. Aloïse et Chaton ou la vie sauve ? Ce fut la décision la plus radicale de notre carrière jusqu’ici.

Aux urgences, le photographe attend, fidèle compagnon, les yeux pleins d’espoir : « tu vas t’en sortir » me lance-t-il. Durant plus d’une heure, j’attends au milieu d’une salle vide, entourée de toute sorte d’aiguilles et de ciseaux, des tâches de sang par ci par là. Je pense à Aloïse. Le temps file. Il est trop tard pour celui qui s’annonçait le concert le plus prometteur du samedi.

Après plusieurs heures, nous sortons de l’hôpital. Rien n’est moins sûr que ma survie : une patte de la bestiole est restée incrustée dans mon corps. Le photographe me rappelle l’horrible sort réservé au scientifique fou du film La Mouche. Serais-je condamnée à devenir un être hybride ? Mi-humain mi-tic ? Nous n’avons toujours pas la réponse.

Un ovni débarquant à Saint Aubin sur mer © Yann Pichot

Aucune navette ne se profile devant nous, alors que le Soleil normand nous guette. L’épuisement est total. Personne ne nous répond de Saint Aubin : pas de réseau. Nous commençons à envisager notre nuit dans la gare lorsque, miraculeusement, un homme portant un bracelet de l’orga apparaît devant nous. Il fait ses courses au supermarché local. Sans hésiter, il nous embarque. Sans ce héros normal, nous aurions sans doute raté le dj set de Myth Syzer et surtout, la traditionnelle parade du Pete the Monkey.

Pendant que la fête bat son plein, que Vladimir Cauchemar enflamme le Pete, nous nous dirigeons, le photographe et moi, vers la plage. La nuit, le ciel de Saint Aubin sur mer est de ceux que l’on voit trop rarement. Un faisceau de lumière traverse la côte. La Tour Eiffel ? Dis-je. Non, un phare, au loin, m’explique le photographe breton.

15 juillet 2018. La France va gagner la Coupe. Nous, on espère que Macron ne montera pas en popularité suite à cet événement que nous suivons dans le Flixbus du retour. Heureusement, l’Histoire nous donnera raison. La France aura gagné au foot, mais la macronie ne nous aura pas.

Suite à ces événements, le photographe tentera à plusieurs reprises de récupérer ses précieux clichés en argentique. Mais deux mois s’écouleront avant que le développeur de Cancale ne décide finalement de nous rendre ces documents historiques qu’il avait songé vendre aux Inrocks.

Nous remettons ainsi notre témoignage aux générations futures. En écrivant noir sur blanc que 2018 fut sans nul doute la meilleure édition du festival. Les Américains ont peut-être Coachella et son lot de couronnes florales, mais nous, on aura toujours nos moules, Saint Aubin sur mer et le Pete the Monkey.

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