Pensé par l’Institut National de l’Audiovisuel, le festival INASOUND s’apprête à célébrer toute la diversité de la musique électronique les 8 et 9 décembre prochain, sous les ors du Palais Brongniart. L’institution ambitionne de créer une expérience unique dédiée aux cultures électroniques, sous la houlette de Jean-Michel Jarre.
Le line up affiche une dizaine de noms soigneusement choisis, talents confirmés et nouvelles têtes chercheuses : Jean-Benoît Dunkel (ex-membre du duo Air), NSDOS, CloZee, Kiddy Smile, Panteros666, Erol Alkan… C’est une célébration qui consacre l’influence de la musique électronique, sous toutes ses formes, tous ses rythmes ; et entend bien encore l’amplifier. INASOUND veut être un « véritable hub électronique », avec des concerts, de la teuf mais aussi des rendez-vous de réflexion sur le son. Le festival convoque nombre d’activités annexes aux lives : Un club permanent sera tenu par Trax et Rinse France, des masterclass, des projections et conférences doivent encore être annoncés… Pour donner le la de cette manifestation, la figure emblématique du compositeur Jean-Michel Jarre, président d’honneur du Groupe de Recherches Musicales de l’INA, qui s’apprête à publier un nouvel album (le 16 novembre), Equinoxe Infinity.
Manifesto XXI – INASOUND s’annonce comme un festival très pluridisciplinaire, un événement qui a de grandes ambitions pour valoriser l’influence des musiques électroniques dans la culture. Comment ces musiques ont-elles acquis une aura au point d’influencer toute la culture contemporaine ?
Jean-Michel Jarre : D’abord il y a une légitimité à célébrer les cultures électroniques en France. Trop de gens pensent, même des gens qui sont dans le milieu de l’électro, que c’est né à Detroit et à Chicago avec la techno alors qu’en fait c’est bien avant que ça a commencé. L’électronique et la musique électronique n’ont rien à voir au départ avec le jazz, le blues, le rock des Etats-Unis. C’est vraiment né en France, en Allemagne, en Italie, en Russie. C’est vraiment une conception européenne continentale qui est héritée au fond de la musique classique. Aujourd’hui on a perdu la bataille du hardware, mais on a une chose en Europe c’est le soft. On a une des scènes électro les plus importantes au monde. J’étais à Coachella cette année, il y avait une dizaine de Français. Il y a une vraie influence, et on a ce qui est un peu typiquement français, le fait de ne pas reconnaître ses propres racines. On a deux monstres qui sont Pierre Schaeffer et le GRM. C’est vraiment celui qui a tout inventé, c’est le premier DJ. Il a commencé à trafiquer le son avec des 78 tours à l’époque !
L’INA est sans doute le plus grand réservoir d’images du XXe et XXIe siècle, et tout ça il est grand temps de s’en servir et de le remixer.
Les gens qui étaient assis sur cette mine d’or étaient jusque-là un peu frileux mais là il est temps de le faire vivre et de le faire exploser. C’est des choses qu’il me semble intéressant de mettre à disposition de jeunes qui démarrent dans l’audiovisuel, surtout avec les médias dont vous vous servez.
Dans ce festival, à travers ce que vous en dites, il y a une vraie vision de politique culturelle sous-jacente. Qu’est-ce qui vous pousse vous à vous engager dans la valorisation du patrimoine français ?
Au bout d’un moment je pense qu’il est légitime quand on reçoit beaucoup, de redonner aussi. Moi je me sens très privilégié par rapport à tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant et je pense que c’est important de pouvoir aussi passer le relais.
C’est important de join forces comme on dit en anglais et de pouvoir justement avec une certaine expérience, un certain pouvoir d’influence à l’extérieur, d’établir des passerelles et faciliter l’expression des gens qui arrivent.
Ce que font très très bien les Américains, les Anglais et que nous on sait moins faire. Je pense que c’est essentiel. Votre site aujourd’hui est un exemple de ça, il faut que l’on puisse avoir des stratégies transversales, de braconnage. J’adore ce terme parce que c’est exactement ce dont il s’agit. Moi je suis là pour « braconner » sur les terres de l’INA et du GRM, pour les convaincre d’ouvrir leurs portes au recyclage, au remix. C’est comme ça qu’ils vivront, avec des gens comme vous qui pourront passer le message et ouvrir ces trésors à la rue, à tout le monde.
Comment on fait quand même, quand on est un festival qui porte le nom d’une grande institution française, et le prestige de votre nom aussi, pour ne pas être « qu’un festival institutionnel » ? Est-ce que c’est un aspect sur lequel vous réfléchissez ?
Tout à fait. Paradoxalement, le fait que l’INA et le GRM acceptent de construire un pont avec un saltimbanque comme moi, c’est déjà énorme. C’est quelque chose qui n’était pas pensable il y a encore quelques années, à tort. C’est à nous après de faire exploser le système, au bon sens du terme, et au bénéfice de l’INA et du GRM. Je pense qu’aujourd’hui il y a des outils formidables qu’il faut mettre à disposition d’un certain nombre de gens. C’est là que la configuration d’un festival comme celui-là prévoit l’organisation d’ateliers, de prendre des images du passé et en faire un remix pour le futur.
Il y a quelque chose d’un peu paradoxal dans les musiques électroniques, il y a cet héritage très écrit de musique classique et aujourd’hui ce sont des genres qui explosent grâce à des gens qui créent chez eux, à l’intuition. C’est aussi une ambition de communiquer l’accessibilité de la musique via le numérique ?
Oui, vous avez utilisé un mot que j’aime beaucoup parce que ça fait partie de ma vie d’artiste mais qui fait peur à beaucoup d’institutions, c’est le mot hacking. Je pense que la musique électronique est née du hacking. Pierre Schaeffer était le premier hacker, il prenait des sons qui existaient et il détournait tout l’environnement sonore pour en faire de la musique. C’est finalement toute l’histoire des musiques électroniques, se servir des technologies pour en faire autre chose. Aujourd’hui plus que jamais, on a justement besoin.
La culture c’est toujours un héritage, une histoire de famille et de fascination du futur.
C’est ce mélange-là. Je pense qu’on a nous en France, avec le patrimoine qu’on a, l’opportunité de se servir d’un matériau brut pour pouvoir s’exprimer. C’est ce qu’il faut que les institutions comprennent. Ça a toujours été mon chemin et je pense que c’est bon, de se battre contre les institutions, comme vous le faites. Aujourd’hui, vous êtes devenu avec Manifesto XXI, ce qu’on appelle des influenceurs pour les gens de l’industrie, un media aussi puissant que la presse, la télé et tous les médias traditionnels. Cette influence elle vient d’un piratage de la technologie qui est à disposition, et vous en faites quelque chose qui vous est propre. C’est ça que je voudrais que ce festival puisse porter, en tout cas symboliser et c’est la raison pour laquelle je me suis dit qu’il y avait peut-être un coup à jouer là.
Quelles sont pour vous les grandes tendances dans le paysage des musiques électroniques ? Si vous deviez mettre quelques mots dessus.
Ce serait dans la musique, le remix. Les Anonymous. Et puis l’intelligence artificielle. Aujourd’hui on parle de l’intelligence artificielle comme on parlait dans les années 50 des satellites, sans savoir ce que ça veut dire alors que c’est déjà arrivé, déjà commencé. Il faut savoir que dans dix-quinze ans les algorithmes sont capables de créer des romans, des films, de la musique de manière originale. Et plus d’essayer de refaire laborieusement une chanson de Michael Jackson. On est déjà ailleurs. Ça pour nous tous c’est un autre défi, c’est-à-dire qu’il va falloir replacer notre identité de créateur ou de passeur d’une autre manière. C’est même l’aspect le plus important.
On vit un moment particulier de notre histoire, avec une nouvelle vague de féminisme et donc des revendications pour plus de représentations de femmes artistes. Les festivals sont de plus en plus critiqués quand elles – nous – sommes absentes des line-up. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez pris en compte dans la façon dont vous avez pensé la programmation ?
J’ai été élevé entouré de femmes donc sur le plan personnel j’ai énormément de mal à faire une différence entre un créateur homme ou femme. Il est évident que les discriminations existent dans la société, il ne faut pas être naïf. Alors les quotas, pourquoi pas, au bout d’un moment ça permet de mettre en avant une injustice qu’il faut réparer. Maintenant, il faut aussi que les femmes soient intéressées et présentes dans les domaines concernés. Sinon on fait une sélection à l’envers, au détriment de la création, et ce n’est bon pour personne. Même s’il y en a d’excellentes, on a quand même moins de femmes DJ. Il y a des raisons sociologiques, historiques à cela… et il faut y faire attention. En revanche, dans les projets comme le vôtre, dans les blogs et médias alternatifs, je vois plus souvent des filles que des garçons.
L’événement facebook du festival.
Nouvel album Equinox Infinity, sortie le 16 novembre.