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Pablo Altar, expérimentations sonores et visuelles pour une nouvelle approche du live

Pablo Altar, expérimentations sonores et visuelles pour une nouvelle approche du live

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Ancien membre du duo Apes & Horses, le talentueux et mystérieux Pablo Altar réapparaît avec un projet solo ambitieux, Live ###, et un EP en cours de préparation. Le clip de sa composition « Live Ceremony » , fait uniquement d’images de caméras de surveillance et de webcams, donne un petit aperçu de ce projet qui est en fait une expérimentation musicale et visuelle interactive. Pour avoir plus de détails sur ce projet qui va faire parler de lui, nous avons pris un café avec Pablo juste avant son départ pour la Guyane, où il se rendait pour participer à la pièce Babel Guyane, mise en scène par Ricardo Lopez-Munoz.

Manifesto XXI – Qu’est-ce qui t’as amené à te recentrer sur le live? 

Pablo Altar : Avec Apes & Horses on a arrêté il y a un an, c’était un projet qui durait depuis presque 10 ans, depuis la fin du lycée. Chacun voulait se recentrer sur des projets personnels. J’étais déjà beaucoup dans des recherches de textures de son, c’était ça mon travail dans le duo et la première chose que j’ai faite quand on a arrêté, c’était de travailler sur des improvisations en live. Ça s’appelait « Memory », je jouais dans des galeries et à Hotel Radio Paris tous les mois. L’idée c’était que chaque improvisation puisse nourrir la précédente. Ça nous a amené, avec Olivier Bémer, le vidéaste avec qui je travaille maintenant, à pousser encore cette idée de moment présent, et ce qu’on a trouvé c’est de travailler la vidéo avec des flux live. Des vidéos de webcam par exemple, des vidéos qu’on filme dans la salle, des parties de jeux vidéo en live. Tout va dans le sens du présent permanent.

Qu’est-ce que vous voulez créer avec le public à travers ce dispositif en fait ?

Pour l’instant ce qu’on a expérimenté c’est d’avoir une caméra qui filme le public soit vraiment de face, soit du point de vue de caméras de surveillance. Sur la caméra qui filme de face, on utilise des systèmes des reconnaissances de formes humaines et pour le moment, quand la caméra repère quelqu’un dans le public, ça déclenche un son. Ce son passe dans mes machines et ça devient le matériau, plus que d’une improvisation totale, de la composition aléatoire. Le live que je voudrais faire tout seul ce serait plutôt cette performance à deux en fait.

Comment avez-vous choisi les images sur le clip de « Live Ceremony » ?

C’est moi qui l’ai monté. Ce sont des images qu’on a sélectionnées pour des lives, j’ai récupéré environ 250 heures de vidéos de webcam, c’était un travail… sans fin. L’idée c’était d’écrire le montage du clip avec la partition du morceau, suivre les motifs dans la musique.

Mais ce sont des lieux particuliers ?

Non, j’ai trouvé (et je ne savais pas que ça existait) des caméras installées dans des lieux de culte… Y en a vraiment un nombre incroyable ! Certaines sont sur Youtube, ou des sites vraiment spécialisés pour re-regarder la messe du dimanche. Après j’ai trouvé des lieux totalement random où tu ne sais pas pourquoi on a mis une caméra là, et qui est sensé la regarder. Parfois il y a des lieux touristiques mais d’une manière générale c’est assez mystérieux. Je me suis dit que je voulais quand même ré-utiliser cet aspect banal, je n’avais pas envie de créer une histoire dedans. En même temps quand je vois quelqu’un qui traverse comme ça, c’est un événement parce que tu n’es pas sensé le voir, et la personne ne sait pas qu’elle est filmée, donc ça crée un truc un peu extraordinaire. Beaucoup d’images sont très belles, comme des plans de cinéma.

Il y a une concordance intéressante entre tes sons très clairs et métalliques, comme des cloches, et tous ces lieux de culte qu’on voit. C’est quelque chose d’important pour toi la spiritualité ? 

Bonne question ! Ce sont des voix synthétiques. À un moment, j’ai eu l’idée d’expérimenter des chœurs sacrés. Pourquoi, je ne sais pas exactement. Je pense que les voix dans les églises m’ont fait une forte impression quand j’étais plus jeune, mais sans vraie raison. En tout cas pour moi il y a quelque chose de très beau dans ces images de chœurs pixelisées. Je fais de la musique de film aussi, avec une réalisatrice qui est aussi ma copine, et tous ses sujets tournent autour de la spiritualité, de la croyance en tout cas. Et évidemment on en discute beaucoup.

Quelle utilisation veux-tu faire de la voix dans ton projet ?

Après un duo qui était centré sur la voix, j’avais envie de la réintégrer dans la musique. Tous les sons que je fais sont très synthétiques, tout vient de l’ordinateur, ce qui m’intéresse c’est de leur redonner une sensation, une humanité. Le résultat est assez acoustique, et je sais pas exactement comment je le fais. Mon but c’est un peu ça, prendre des sons très mécaniques et leur ré-injecter la beauté du vivant.

Quels sont les thèmes que tu souhaiterais traiter dans tes prochaines compos, ou live ?

Je ne pense pas refaire des trucs à texte avant longtemps. Mon thème ce sera plus le rapport entre la machine et l’humain, et ce que je suis en train de faire pousse encore plus sur les chœurs synthétiques.

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Alors traduisons la question autrement : quels sont les sons, textures que tu as envie de travailler ?

Ça reste dur à dire ! Les chœurs, les voix c’est clair. J’ai pour projet de peut-être travailler avec des chanteurs lyriques ou un vrai chœur. Beaucoup de ce que je compose apparaît par l’expérimentation. Un groupe de musique souvent tu as un concept qui s’installe et la question c’est toujours, « est-ce que c’est dans le concept ou en-dehors ? ».

Et dans tes rêves d’expérimentation ?

Moi tout seul, j’aimerais pouvoir enregistrer en live ce qui serait une sortie après. Je pense que c’est un rêve pour beaucoup de musiciens. À côté il y a la performance à deux, et on veut avoir un dispositif toujours plus inclusif pour le public et les lieux dans lesquels on joue. Et en plus se rajoutent les pièces de théâtres, c’est un projet un peu plus large Babel Guyane. L’idée c’est à chaque fois d’écrire une pièce sur le lieu. D’ailleurs il est question d’écrire un Babel Irak, ce que je trouve plutôt bien. On a beaucoup poussé les interactions avec le public en Guyane en faisant tomber le quatrième mur en quelque sorte.

Avec toutes les possibilités technologiques qu’on a maintenant, l’interaction est devenue un vrai sujet de réflexion dans beaucoup de disciplines artistiques. Quels autres travaux t’inspirent ? 

Je trouve souvent qu’il y a une utilisation encore un peu trop technologique de ces outils-là. On reste dans un effet « attraction ». Dans beaucoup de choses que j’ai vu, il y a une grosse différence entre le discours et l’expérience.

Sur les croyances, il y a le travail de Clément Cogitore qui a une expo à Bâle en ce moment. Il y a un vidéaste que j’aime beaucoup, Marc Lewis, qui reprend l’idée de narration et de matériaux bruts, un peu comme une webcam. Je n’écoute pas beaucoup de musique en fait. J’essaie d’aller voir les pièces de Romeo Castelluci dès que ça passe à Paris ! Le travail d’image est un peu chirurgical, il y a beaucoup de choses sur les croyances, les symboles. L’imagerie de ces pièces-là est très forte et très travaillée. Et la musique d’ailleurs là-dedans est très importante, c’est de Scott Gibbons qui utilise souvent des chants sacrés et des sons très forts, de l’ordre de la sensation. D’ailleurs ça me fait penser à une autre musicienne que j’aime beaucoup, Lucrecia Dalt. Je l’ai vu à Berlin et son live a un peu changé ma perception des choses. C’était un mix de morceaux plus écrits et d’improvisation, il n’y avait que des machines mais c’était très vivant. C’était très surprenant. C’est ce que je recherche en musique, trouver quelque chose de surprenant et c’est pas facile.

Aux Instants Chavirés à Montreuil le 19 décembre. // Live 003 en 2018.

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