Nippons Fripons #2 : Haruomi Hosono

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Haruomi Hosono, Akiko Yano, Tatsuro Yamashita… Ces noms ne vous disent peut-être rien mais pourtant ce sont des artistes qui ont apporté une pierre considérable à l’édifice musical nippon et continuent, aujourd’hui, à inspirer de nombreux musiciens occidentaux. On a décidé de vous faire découvrir chaque mois des musiciens japonais d’hier et d’aujourd’hui, souvent sous-estimés, méconnus ou passés à la trappe et qui mériteraient qu’on s’y attarde davantage. Des 70s jusqu’à nos jours, plongez dans le Japon underground et innovant qui a vu naître des courants musicaux comme la City Pop, la Techno Kayō ou encore le Kayokyōku qui deviendra la J-Pop telle qu’on la connait aujourd’hui.

# 2 Haruomi Hosono

Remettons les choses dans leur contexte. Quand le rock psyché arrive au Japon, au milieu des années 1960, les locaux s’en emparent rapidement et se contentent souvent d’imiter des groupes occidentaux, fondateurs du genre comme les Beatles ou les Rolling Stones. Ça donne des formations dont l’esthétique peut faire sourire comme The Golden Cups ou The Mops, groupe surtout connu pour ses reprises des Doors et Jefferson Airplane. Petit à petit, certains musiciens japonais font évoluer ce qu’ils connaissent du rock et se décident enfin à le mélanger à des sonorités traditionnelles japonaises et à expérimenter toujours plus loin. Haruomi Hosono est, sans nul doute, un de ces musiciens clé qui a contribué au développement de la musique au Japon, un véritable touche à tout multi-instrumentiste qui a su imposer sa vision à un paysage musical sonore encore trop monochrome. Pour ce faire, Hosono se démarque par son utilisation de synthétiseurs et ses techniques d’enregistrement novatrices, expérimentales et pleines de collages sonores.

Né en 1947 à Tokyo, Haruomi Hosono débute sa carrière en tant que bassiste du groupe Apryl Fool qu’il rejoint en 1969. Le groupe de rock psyché, formé en 1966 sous le nom de The Floral, s’était formé dans la mouvance dite du « Group-Sounds« , sorte de mélange du Kayokyōku (pop japonaise typique de l’époque) et du rock occidental. Ils adoptent le nom Apryl Fool en accueillant Hosono et Takashi Matsumoto à la batterie. Le groupe n’aura sorti qu’un album, éponyme, du blues-rock assez classique mais qui n’a rien à envier à Canned Heat. Au fur et à mesure que l’album suit son cour, viennent s’ajouter des petites excentricités telles que des collages de bandes ou des pistes passées à l’envers. On est particulièrement dérouté par le morceau « The Lost Mother Land (Part 1) » et son orgue tonitruant et effets de voix hallucinés.

Des cendres de Apryl Fool nait le groupe Happy End, composé de Hosono et Matsumoto, accompagnés de Eiichi Otaki et Shigeru Suzuki aux guitares et voix. Happy End se démarque en étant un des premiers groupes japonais à chanter dans leur langue natale au lieu de l’anglais qui était de mise à cette époque-là. Un débat qui marquera l’histoire du rock au Japon, tiraillé entre ses traditions et l’envie de toucher un public plus large. En 1970, sort leur premier album éponyme sur le label URC (Underground Record Club), un exercice encore bien sérieux pour Haruomi Hosono qui exécute ici un rock FM assez standard, très emprunt de la folk et du rock américains. Happy End connait tout de même un large succès commercial, à tel point qu’en 2007, Rolling Stone Japan nommera numéro 1 le second album du groupe, Kazemachi Roman, sur sa liste des 100 plus grands albums de rock japonais de tous les temps.

L’année 1973 voit naître la carrière solo de Hosono avec l’album Hosono House, une entrée en matière tout en décontraction, un voyage teinté d’exotisme, où musique latine côtoie joyeusement pop traditionnelle japonaise. Hosono semble s’en donner à cœur joie sur les arrangements et sur une orchestration particulièrement riche et soignée avec des cuivres et des percussions aux sonorités tropicales. Le tout accompagné de sa voix de crooner lascif. On imagine facilement le musicien dans un hamac, sirotant un cocktail dans une noix de coco, se la coulant douce sur une plage de sable blanc à Hawaï. L’album marque le début de la fascination qu’aura Hosono pour l’exotica et les voyages imaginaires.

Paraiso, sorti en 1978, est le quatrième album solo de Haruomi et aussi le dernier de la saga exotica, après Tropical Dandy et Bon Voyage co. Le musicien se lâche totalement, et c’est visible dès le premier morceau « Tokio Rush », où klaxons de voitures se mêlent à une ligne de synthé farfelue et groOoOovy. C’est une vraie invitation à l’évasion, on est très rapidement transporté dans une vieille carte postale, un peu hors du temps. Hosono n’est pas seul sur cet album puisqu’il s’entoure de Ryuichi Sakamoto et Yukihiro Takahashi, le « Yellow Magic Band » qui deviendra le légendaire Yellow Magic Orchestra par la suite. Il fait aussi appel à son ancien collègue de Happy End, Shigeru Suzuki. On s’aperçoit vite que toute cette scène japonaise s’entremêle et s’entraide, formant un grand arbre généalogique dont toutes les ramifications sont intéressantes à explorer. Paraiso met à l’honneur les synthétiseurs, qui seront la marque de fabrique et l’outil de choix du Yellow Magic Orchestra, que l’on commence déjà à deviner.

Ça y est, on y est : le Yellow Magic Orchestra est officiellement formé et deviendra une véritable pierre angulaire du développement de la musique électronique, au Japon et dans le monde entier. Le premier album éponyme, sorti en 1978, rencontre un succès phénoménal au Japon et se fait doucement une petite place en Europe et aux Etats-Unis. Merveilles pop aux multiples facettes, bruits étranges, presque inquiétants, lignes de synthé aux accents nippons… C’est un cabinet de curiosités qui s’offre à nous, à la croisée de l’Orient et l’Occident, des traditions et du futurisme… Tous les paradoxes auxquels aiment s’adonner YMO. Comme en témoigne la pochette où une geisha voit sa tête explosée en de multiples câbles multicolores. Tous les carcans de la musique sont abattus pour laisser place à une révolution du son.

Forcément inspirés par le travail de Kraftwerk, qu’ils découvraient au milieu des années 1970, YMO a cependant une approche moins froide des machines, préférant apporter de la joie et de l’humour aux musiques électroniques. Contrairement au côté formel et aseptisé de Kraftwerk, les trois musiciens n’hésitent pas à user du second degré dans des morceaux comme « Computer Game ‘Theme From The Invader' » où sons de jeux vidéos se mêlent à des sonneries de téléphone. Ce sont aussi, sans nulle doute, des pionniers dans l’utilisation des samplers, qui étaient à cette époque-là assez méconnus ou peu utilisés.

De 1978 à 1983, le succès de YMO ne dégonfle pas et ils sont considérés comme le groupe plus populaire du Japon à cette époque-là, enchaînant les concerts à guichets fermés et se hissant en hauts des charts. Leur influence dépasse largement les frontières du pays du soleil levant puisque même Michael Jackson reprendra le tube « Behind the Mask » de l’album Solid State Survivor, en changeant les paroles. Sa version ne sortira que sur l’album posthume Michael.

On ferme la parenthèse YMO pour revenir à la carrière solo de Hosono qui est restée active en parallèle de ses autres projets. L’année 1978 a été particulièrement fructueuse pour lui puisqu’en plus du premier album de YMO et Paraiso, cités plus haut, sont sortis les albums Pacific et Cochin Moon. Pacific sort sous « Haruomi Hosono and friends », les « friends » n’étant pas moins que Shigeru Suzuki et Tatsuro Yamashita qui signera par la suite quelques uns des meilleurs albums de City Pop. L’album poursuit l’exploration synthétique d’îles paradisiaques entamée par Hosono, comme en témoignent la pochette et les bruits d’embruns récurrents. Le trio fait même un clin d’œil aux Beach Boys dans le titre « Nostalgia of Island » en singeant les harmonies vocales de « Girls on the Beach ». Pacific comprend aussi une version inédite de « Cosmic Surfin » de YMO.

Cochin Moon, premier album d’Hosono réalisé uniquement avec des synthés, se fait un peu plus expérimental, mélangeant musique traditionnelle indienne et éléments électroniques. Fruit d’un voyage en Inde avec l’illustrateur Tadanori Yokoo, l’album est pensé comme la B.O. d’un film Bollywoodien fictif. Une expérience sonore qui nous transporte dans des contrées étranges et humides.

Philarmony, sorti en 1982, est un des albums le plus varié de l’artiste, tantôt sombre, tantôt enfantin, avec des éléments d’EBM, d’ambiant et même de new wave sur des morceaux comme « Sports Men ». C’est une œuvre bipolaire, tout en contrastes. Hosono semble vouloir explorer tous les spectres de la « techno-pop » et de la musique en général, lorgnant volontiers vers la musique concrète ou expérimentale, en à peine 38 minutes. On est invité à voyager dans les méandres de la psyché torturée du musicien, à des années-lumière des paradis tropicaux dépeints auparavant. C’est un virage à 180 degrés vers de nouveaux horizons à explorer.

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Les années 1980 marquent aussi le début du travail d’Hosono pour la musique de jeux vidéo et de films d’animation. Il est contacté par Namco en 1984 pour réaliser Video Game Music, le premier album du genre. La même année, Miyazaki lui confie le générique de Nausicaa de la Vallée du Vent. Au fil des années, il multipliera aussi les projets avec notamment Friends of Earth, Love, Peace & Trance et le duo Sketch Show avec Takahashi.

Haruomi Hosono, dont la discographie couvre plus de quatre décennies, n’a jamais cessé d’évoluer, de se réinventer, poussant la pop dans ses derniers retranchements, aux confins de la musique expérimentale. On ne pourra évidemment pas être exhaustif sur son impressionnante carrière mais on vous invite à consulter sa page Discogs pour en découvrir davantage par vous-mêmes!

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