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Les Femmes s’en Mêlent. « La ligne directrice, c’est qu’on ne prend pas la parole à la place des artistes »

Les Femmes s’en Mêlent. « La ligne directrice, c’est qu’on ne prend pas la parole à la place des artistes »

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Un festival, avec uniquement des artistes féminines. C’est le pari que s’est donné Stéphane Amiel, programmateur et directeur du festival Les Femmes s’en Mêlent, qui verra sa 21ème édition se dérouler du 8 mars au 5 avril 2018. Combinant exigence artistique et éclectisme dans sa programmation, l’événement se veut accessible, comme une ouverture pour tous sur un monde peu connu, et qui pourtant le mérite. À la fois parisienne, et tournant aussi dans toute la France, la célébration de la création féminine se poursuivra ainsi tout le mois. Un festival généreux, donc. De Virginie Despentes à Léonie Pernet en passant par Irène Drésel, les festivités promettent de nous faire vibrer, mais aussi de questionner. Marquée par des personnalités fortes, des discours puissants, cette édition se démarque par son impétuosité et sa résistance. Rencontre avec Stéphane, pour un retour sur les origines et les enjeux d’un tel festival.

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© Pauline Furman

Comment en êtes-vous arrivé jusqu’au festival Les Femmes S’en Mêlent ?

On était en association avec un ami, on cherchait à monter un petit festival avec des groupes qu’on aimait bien. C’était en 1996. Naturellement, en faisant le tour de ce qu’on aimait et ce qui ne se faisait pas non plus à l’époque, on a pris ce prétexte du 8 mars 1997 pour faire une soirée musicale avec des artistes féminines. C’est parti de façon simple, pas trop réfléchie, pas trop contrôlée. Juste envie de voir des groupes live avec des artistes féminines, d’accompagner cette date-là avec de la musique.

Ça s’est fait d’une façon très naïve, comme quand on a une idée et qu’on se dit « Faisons-le ». On s’est rendu compte qu’on était assez sensible à l’expression féminine, aux voix féminines, et comme il y en avait peu, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à explorer. Une fois qu’on fait la première, c’est là qu’on met le pied à l’étrier, qu’on rentre dans un système, qu’on réfléchit plus à l’événement. Il y a eu tellement d’éditions… Chacune d’entre elles est différente, avec ses enjeux, ses positionnements et sa ligne directrice. Mais au départ, c’était vraiment dans l’action, on n’était pas militants, pas affilié à un parti politique. On était juste des garçons qui aimaient la musique.

Comment le festival a évolué depuis 1997 ?

Comme c’est un festival d’artistes féminines, le cœur du festival, c’est la scène, le choix artistique en amont, qui définit quel genre d’artistes on veut mettre en avant. C’est un choix, un peu politique. Cela passe beaucoup par l’artistique. Comme moi je suis un garçon, je ne me mets pas à la place des filles, ce n’est pas à moi de dire « Le discours c’est ci, c’est ça ». Le discours est libre, mouvant depuis le début. On a tout type d’artistes, complètement hermétiques à tout engagement ou très politisées.

C’est histoire de ne pas enfermer le festival dans une revendication, c’est avant tout une célébration. Célébrer c’est faire la fête, un moment de joie, de partage, de rencontres. Après c’est vrai, avec cette époque où les questions féministes sont plus présentes, des questions se posent, mais la ligne directrice c’est qu’on ne prend pas la parole à la place des artistes. Il y a de multiples nuances, elles n’ont pas toutes les mêmes choses à raconter. LFSM c’est une vitrine et une célébration, et si à l’intérieur de ça il se passe des choses, elles prennent la parole, c’est le moment.

Comment s’est fait le choix de la programmation cette année, quelle est l’unité ?

Des fois c’est juste parce qu’il y a une ou deux artistes qui nous disent oui, ça oriente. Par exemple, le fait qu’il y ait Virginie Despentes qui lise Le Requiem des innocents, ça oriente au moins une soirée. On est sur une édition où il y a beaucoup de parole, de verbe. Il y a La Pietà, beaucoup de hip-hop, de rap, à la limite de la poésie. Ça c’est fait comme ça. Après il y a des choses très électro, mais ce qui est prégnant c’est la prise de parole, des textes incroyables et assez engagés, avec plein de féminismes différents.

Il y a des personnalités très marquées en effet. Malgré le fait que LFSM ça soit l’artistique avant tout, vous vous considérez comme faisant de l’activisme culturel ?

Oui, et puis c’est aussi mettre en valeur des artistes. On est un festival indépendant, donc on va vers des artistes indépendantes, qui ressemblent au festival. On est dans cette action alternative, de proposer des choses qu’on a peu vues. Après ça dépend de chaque édition, de la chance et du hasard. Il y a beaucoup de choses qu’on ne maitrise pas dans une programmation. Cette année il y a beaucoup de personnalités, c’est vrai, très fortes, très engagées et très lucides. C’est plutôt une édition assez lucide sur l’état du monde, et pas que sur des questions féministes. C’est un activisme politique, féministe mais en même temps antiraciste, anticapitaliste. Il y a beaucoup de résistance.

Il y a aussi des fortes personnalités queer. Il y a une volonté d’un féminisme intersectionnel ?

Il y en a toujours eu, mais on ne le met pas en avant. D’autres festivals le font. Il y a toutes sortes de femmes qui s’emmêlent, dont des queers, parce que ça fait partie de la société, mais aussi parce que ce sont des mouvements intéressants artistiquement. Parmi les plus grands groupes que j’ai vu, il y avait toujours une partie queer à l’intérieur, ça va bien ensemble. On essaye de mélanger. Les groupes, il y a dix ans, qui étaient composés uniquement de lesbiennes comme les Lesbians on Ecstasy, étaient contentes de jouer dans un festival où tout est mélangé. Après le mouvement queer est fort, mais c’est pas un endroit où tu demandes la carte d’identité, qui fait quoi avec qui, l’important c’est l’émotion. Est-ce que ça raconte des choses ? Est-ce que sur scène ça va être émouvant, transcendant ?

Après j’essaye de l’oublier, que le public n’ait même pas forcément à le savoir, parce que ce qui est important aussi c’est d’amener d’autres publics. Rester dans des communautés c’est cool et ça se fait pas mal aujourd’hui, mais ce qui est aussi intéressant c’est que tout le monde vienne : on va voir un spectacle. Même si on en ressort avec des questions, avec des artistes qui questionnent le genre, ce sont des groupes sur scène qui font du spectacle. C’est de l’amusement, du rock’n’roll, des attitudes. L’important c’est que ça ait de la gueule, que ça soit pertinent et puissant, d’avoir communié, de rassembler. C’est vraiment au coup de cœur artistique, trouver une cohérence plus ou moins d’ensemble et essayer de mettre différentes approches, différentes personnalités qu’on confronte, qu’il est intéressant de faire dialoguer.

La programmation est en effet très éclectique, et ajouté à cela vous faites une tournée dans toute la France. Il y a une volonté d’accessibilité et de démocratisation?

Oui, ce n’est pas juste Paris. On a fait cette tournée dès la troisième édition. C’est un modèle économique, on n’a pas assez d’argent pour faire venir des artistes qui viennent de trop loin, donc si on ne propose qu’une date, c’est pas très bien payé parce qu’on n’a pas de subventions, alors que si on propose trois-quatre dates c’est beaucoup plus facile. Après il y a une véritable demande, même si cette année c’est plus compliqué, mais parfois on a eu trente villes. Les programmateurs, souvent des hommes d’ailleurs, s’emparent du festival. C’est un véritable échange, une communauté alternative. On peut être dans des bars, dans des clubs, des toutes petites salles comme le Baraka à Clermont-Ferrand. Ça devient compliqué, comme le live de manière générale, mais tu sens un vrai engagement, c’est le moment de raconter des choses pour les programmateurs, d’avoir des questionnements sur la programmation, de se dire « C’est vrai que je mets beaucoup beaucoup de garçons ». Ça recrée un petit équilibre, et des fois ça donne bonne conscience aussi.

Comment on survit quand on est un festival indépendant qui ne programme que des femmes dans un milieu très masculin ?

Il y a plein d’hommes qui s’en mêlent, aussi. Heureusement, ça intéresse beaucoup de monde artistiquement. C’est faire venir le public qui est compliqué, mais c’est en règle général sur de la nouveauté, des choses peu connues. J’ai l’impression que ça devient plus compliqué qu’à une certaine époque où on pouvait amener des choses inconnues. À Paris il y a trop de choses, mais je vois dans les tournées qu’il y a moins de concerts aussi. Parce qu’il y a de moins en moins de budget, ils sont tenus par des budgets de région ou de ville, ils font moins de choses, donc on prend moins de risques, donc on prend les groupes qui marchent ce qui laisse moins de diversité. Mais ça va changer, il va y avoir plein d’endroits moins subventionnés qui vont prendre le relai.

Vous avez noté une amélioration de la visibilité des femmes dans l’industrie musicale depuis le début du festival ?

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Il y en a de plus en plus en tout cas. Les trois premières années, il fallait vraiment réfléchir, trouver des françaises échappant à des styles musicaux qu’on ne mettait pas en avant. Ce qui a changé, c’est que les premières années, on pouvait les compter sur les doigts d’une main et à partir de la dixième édition, la proportion d’artistes françaises était de moitié. Et dans plein de choses, folk, électro, expérimental. Après en termes de festival, quand on en parle c’est souvent de gros festivals. Nous c’est un festival urbain, de salles, on n’est pas soumis à des contraintes de remplissage énormes. On est pas sur les mêmes économies donc c’est moins compliqué, on peut se permettre de la diversité, des coups de cœur, des risques, des artistes pas signés, qui n’ont pas de promo. Après sur tous les autres festivals, il faut rentabiliser, il faut des têtes d’affiches. Les têtes d’affiche féminines il y en a peut-être moins. Quand tu es programmateur d’un gros festival c’est plus compliqué, tu es soumis à des pressions financières.

Selon vous, quel rôle peut jouer la culture aujourd’hui dans la politique ?

Déjà ça permet d’avoir un dialogue, de ne pas avoir d’a priori. On peut être hétéro et aimer la scène queer. Ça peut ouvrir les esprits, montrer un éclairage différent, loin de clichés ou d’a priori que les gens peuvent avoir. Je me souviens que l’image des artistes lesbiennes à une époque était assez mal vue, très politisée. Les groupes lesbiennes ne devaient parler qu’aux lesbiennes, et je ne vois pas pourquoi. Ce qu’on juge c’est le propos artistique. Nous on est dans un format pop de scène et de musique, dans des moments de fête, de rassemblement. On est tous d’accord sur des bases, sur l’égalité entre les hommes et les femmes, les égalités de traitement, et c’est un propos très large, humaniste.

Ce qui est difficile avec les évènements comme LFSM, c’est qu’il ne faut pas se parler qu’entre nous, entre personnes sensibles aux sujets, ce qu’il faut c’est ouvrir à des nouveaux publics, à la jeunesse. L’important c’est de transmettre. C’est un bon médium, la scène et l’art, pour commencer à évoquer certains sujets tout en voyant de la beauté, ou de la colère engagée par la scène qui fait vibrer. Dans la scène hip hop, je retrouve cette rage, tu as envie de pogoter, de tout casser, tu as une décharge d’adrénaline, c’est une forme d’exutoire avec le public.

L’écueil c’est de ne pas rester entre soi. Ce n’est pas trop la tendance non plus, on est plus dans un repli sur soi, ce que je peux comprendre. Par exemple ce que fait Rag avec les Wet for me, c’est super cool, il y a une vraie demande de filles qui veulent pas être avec des mecs relous. Mais il faut aussi que ça se mélange, élargir, même si c’est dur. La scène c’est beaucoup de jeu, c’est un exutoire, où on peut dire des choses fortes. Comme le mouvement français alternatif avec les Béruriers Noirs, tu prends position politiquement, et en même temps tu communies avec une énergie rock’n’roll, une vitalité, tu t’amuses. On a tous besoin de défouloir. Cette édition, c’est un bon festival de défoulement.

C’est vrai que c’est délicat comme position d’avoir à la fois cette revendication d’artistes uniquement féminines et de vouloir créer cette ouverture.

C’est vrai, c’est toujours perturbant, questionnant. On a l’impression d’être à côté de la plaque, pas au bon endroit, on se fait attaquer sur mille choses. Le fait que ce soit un garçon qui le fasse, par exemple. On se dit que je le fais pour des raisons artistiques, même si j’ai d’autres raisons mais je ne les mets pas en avant, c’est les artistes qui ont des choses à dire, pas moi. C’est une plateforme, des rencontres. Ce sont des plateaux avec des gens qui ne se connaissent pas, qui veulent se rencontrer, ça crée une émulation, un moment que tu offres aussi aux artistes qui défendent des mêmes choses. Il y a eu des années où des artistes se voient sur plusieurs dates de tournée, ça crée des liens de travail, d’entraide. Dans un milieu tenu par des mecs, c’est quand même bien de s’entraider. Ça représente pas non plus tout ce qui se fait, on n’a pas cette prétention. Ce sont des scènes féminines, et on fait la fête. Ce n’est pas un concert lambda, il y a une saveur particulière, c’est un moment qui a du sens.

C’est assez rare cette position pour un homme, offrir simplement un espace d’expression sans revendication.

Il faut être humble par rapport à ça, et pas donneur de leçon, c’est ce qu’il y a de pire. Il n’y a pas de postures, il y a déjà ce que tu fais. Les paroles il y en a beaucoup, mais les actes un peu moins. C’est les actes qui comptent avant tout. J’accepte la critique sur LFSM bien sûr. J’entends bien, mais l’acte est là. Je sais pourquoi je le fais, dans quelle position, je sais que c’est difficile, mais je préfère l’action aux donneurs de leçon.

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