« On a fait une projection, dans un cinéma à Clichy, et il est peut-être question d’en faire une autre dans un cinéma de quartier de Lille. Formellement, c’est un long-métrage, mais c’est aussi un film hybride au format un peu bâtard. Le diffuser dans des festivals serait compliqué et ce n’était pas le but initial. Il est entièrement dédié à la “share-zone” d’Internet. »
Et pourtant, on sent bien dès les premières minutes que l’on va rentrer dans un film qui nous raconte quelque chose. De la musique gabber, de l’univers qu’elle traverse, d’un mode de vie peut-être et finalement du monde aussi. Inutile de Fuir, titre éponyme de la compilation hard music du collectif Casual Gabberz, est l’origine de cette histoire.
« Ils m’ont dit qu’ils préparaient une compilation, ils avaient vu ce que j’avais fait pour Ténébreuse Musique et ils ont étés très réceptifs à la vidéo transgenre qui accompagnait l’album ».
« Chiens« , d’Alkpote, était son premier clip, il y a six ans. « Ma volonté dans la réalisation de clips, à la base, était de parfaire une identité visuelle singulière ; et avec celui-là, c’est une des première fois où j’ai senti que je commençais à trouver une articulation entre des influences, un sens vers lequel travailler. » Depuis, il a tourné pour des artistes aussi divers que Tristesse Contemporaine, The Pirouettes ou Oklou, en leur apportant toujours cette esthétique singulière qui semble avoir imprimé diverses influences, pour nous faire toujours un peu entrer dans la matière numérique avec une grâce certaine.
Et de ces « films un peu bâtards » naît un univers à la poésie industrielle, qu’Inutile de Fuir vient faire tonner comme un manifeste. Film, clip, gymnastique audiovisuelle, finalement tout près du cinéma, ce « projet » né initialement de cette rencontre avec Krampf des Casual Gabberz « s’est défini en même temps que la compilation se construisait », explique Kevin Elamrani-Lince. « Ils ont pris contact avec moi quand ils avaient déjà quelques titres, mais ils n’avaient pas encore tous les artistes. »
Et ces titres qui tous dédicacent la culture du gabber viennent logiquement s’intégrer au film, qu’il a entre autres réalisé en Hollande, dans une architecture du son proprement immersive, participant à rendre la discothèque abyssale et l’expérience intense. « Il n’y a pas beaucoup d’événements de groupe qui convoquent la même puissance collective que le club, les raves ou les stades. »
Et à cette puissance collective se mêlent autant l’image d’une petite fille jouant du piano que des couchers de soleil et des jeux vidéo, entre des tableaux de paysages industriels qui défilent dans un noir et blanc et un montage sonore qui confondent l’espace-temps.
« Je suis allé filmer au port de Rotterdam. En fait, j’avais l’impression d’être sur une carte de GTA alternative, c’est-à-dire que tu roules pendant trente minutes et tu n’as que des camions, des installations à perte de vue, des engins tous plus grands les uns que les autres. C’était de la science-fiction, je suis très sensible à ça. Avec les Casual Gabberz, nous avons rendu visite à George Ruseler du collectif Rotterdam Terror Corps. Il nous a conseillé un lieu de leurs premières fêtes, une plage industrielle. C’est là que nous sommes allés filmer religieusement des éoliennes. »
« De manière générale, ce film est une de mes œuvres collaboratives la plus introspective, il raconte ma vision des choses, le beau dans le chaos. Avec un peu d’Histoire et de tristesse. Il s’est écrit, mais d’une manière non-traditionnelle. Par des événements anticipés et d’autres non, certaines choses ont fait sens durant le tournage, des hasards. La cinétique du film use de plusieurs systèmes que j’aime et que je modèle ensemble, ils empruntent à la fiction, au documentaire, à la vidéo d’art et aux vidéos musicales. La réflexion purement cinématographique est arrivée après, et la projection en salle a été révélation. »