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Enfants exploités et milliers de morts, pourquoi nous n’avons rien compris à la mode éthique

Enfants exploités et milliers de morts, pourquoi nous n’avons rien compris à la mode éthique

Résolument crade, d’inspiration négligée, la collection Sarouels 2015 nous présente ses besaces pseudo engagées ainsi que sa nouvelle fragrance aux effluves douceâtres de transpiration.

Quand on nous dit mode éthique, ne nous mentons pas, on ne peut s’empêcher de penser au grotesque. Les magasins alternatifs, l’odeur âcre des cigarettes roulées, la pilosité, les sarouels, les anti-système, les silhouettes négligées, l’encens, les chemises en lin grossier, les fleurs, l’anarchie. C’est une jachère totale et volontaire dans un désir de retour au naturel. C’est la fashion vulgarisation, l’hypocrisie sous tous rapports. Prétendument inquiétés par l’éthique, le sauvetage de la planète et de ses habitants, les dreads et les imprimés ethniques les confondent par une appropriation culturelle. Hors des systèmes de mode, de tendances, les « babos » oublient qu’ils sont eux-mêmes au sein d’une vaste tendance de décroissance.

Vous l’aurez compris, le concept d’éthique en mode renvoie le plus souvent, dans l’imaginaire collectif, à la silhouette disgracieuse attribuée au look « hippie ». Sarouel de rigueur, assemblage aléatoire de couleurs fades, parfois rehaussées par un triskell ou autre fantasie. Un style peu harmonieux n’est pas la rançon d’une consommation responsable, le total look hippie cheap est à la mode éthique ce qu’est le jogging Kappa à Alexander Wang.

L’éthique, nouvelle religion ?

La mode éthique pourrait bien devenir la prochaine religion des fashion addicts et d’ailleurs, la révolution a déjà débuté.

Si cette image de la responsabilité humaine dans la mode nous répugne, notamment en raison de son hypocrisie et de sa non lucidité sur les codes sociaux du monde qui l’entoure, elle n’en a pas moins le mérite de réfléchir puis d’agir sur des problématiques qui semblent n’interpeller qu’une minorité d’intéressés. Un bobo moyen ira à son job de graphiste freelance à pied, mangera sa tarte aux légumes locaux venant d’un circuit court, fera du compost avec ses épluchures de pêche issue de l’agriculture biologique. Mais aura contaminé une source d’eau potable en Asie simplement en achetant un t-shirt contenant moult toxines de la grande distribution qui durera cinq mois parce que c’est moins cher. Les vêtements sont en effet les grands oubliés de la nouvelle tendance du « retour aux sources ». Tout d’abord parce que le vêtement n’a pas qu’une fonction utilitaire (ne pas être nu en société), il est aussi porteur de marqueurs sociaux, ce qui explique le rebut à adopter une stratégie de ralentissement de la consommation dans ce domaine.

Ensuite, c’est aussi parce que,  pour ceux qui n’ont pas forcément les moyens de voir sur le long terme, cela s’inscrit dans la vitesse du monde actuel qui empêche tout simplement d’envisager la plupart des choses autrement que sur le court terme. Et enfin, la raison principale : on ne parle quasiment pas des dégâts immenses que peut causer l’industrie de la mode telle qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire cette forme de fast fashion que l’on a adoptée au même titre que le fast food, les trains grande vitesse et autres accélérations majeures. Qui connaît réellement la chaîne par laquelle passe son chemisier à fleurs avant d’arriver sur les petits étalages joliment éclairés des magasins ? Qui connaît son coût réel, les salaires, l’eau nécessaire, la pollution produite?

La mode est aujourd’hui un business désastreux pour l’environnement et l’humain, aussi bien au niveau individuel que collectif. Un désastre qu’on oublie de voir.

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Des scandales planétaires éclatent à la suite de la révélation de l’emploi d’enfants dans les usines Nike, ou suite à l’effondrement du Rana Plaza en 2013 faisant plusieurs centaines de morts. La question de la responsabilité des marques, mais aussi des consommateurs suite aux dérives relayées par les médias, a acquis ces dernières années une acuité nouvelle. Ce n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Les conséquences du fast fashion sont aussi écologiques : les engrais et OGM utilisés dans la fabrication du coton, les toxines rejetées lors de la teinture et du délavage des jeans, contaminent les sources d’eau potable des populations.

La mode éthique propose alors de répondre à de nouvelles attentes des consommateurs, plus sensibles aux conséquences de leur style de vie, qui vont cibler le produit en utilisant de nouveaux critères. L’impact environnemental, les conditions de travail des employés, la position de la marque vis-à-vis de la fourrure. De qualité, il est aussi question. Ce nouveau courant revendique le slow fashion, les vêtements se veulent durables. Une mode pédagogique, transparente.  Exit donc le vêtement jetable, le cachemire bas de gamme à l’origine d’un véritable scandale écologique. Exit les prix prohibitifs pour des vêtements issus des sweatshop factories asiatiques, justifiés à grand renfort de campagnes publicitaires vaniteuses.

 

L’avènement prochain du slow fashion ?

Dans un moment plus global de retour à la qualité, à une plus grande durée de vie, à cette idée de reprendre le temps, le slow fashion s’inscrit dans le long terme. Dans l’arrêt de la course folle du monde humain vers sa perte. Or cette tendance ne signifie pas l’oubli de la mode au sens de l’esthétique, de l’harmonie, de tout ce qui fait que le vêtement n’est pas qu’un outil quotidien mais aussi le vecteur d’une époque, de mœurs, de codes. C’est un véritable challenge à la créativité que de devoir réfléchir à des problématiques de mode durable. Un challenge qu’a notamment su relever Stella McCartney lors de sa nomination au poste de directrice artistique chez Chloé. Végétarienne, ambassadrice du style eco friendly, c’est elle qui a introduit le cuir biologique et la fausse fourrure lors des défilés.  C’est sur ce principe que se créent de nombreuses nouvelles marques, notamment aux Etats-Unis telles que Transparence, Reformation, Patagonia ou encore Nudie Jeans. Cette dernière fournit notamment une charte permettant aux consommateurs de connaître les lieux de fabrication de ses pièces, et le cahier des charges environnemental de la marque.

Elles ne ferment pas les yeux sur toute une facette du vêtement, que ceux qui s’y intéressent rapidement trouvent superficielle, mais qui est finalement la plus porteuse de sens. Ce sont des marques qui misent sur l’honnêteté, sur l’éthique environnementale et sur l’éthique humaine.

Emma Watson, nouvelle ambassadrice.

Loin de se cantonner à un petit nombre d’initiés, la préoccupation éthique a su trouver des relais dans les hautes sphères.  Actrice engagée, ambassadrice à l’ONU pour le droit des femmes, Emma Watson milite désormais pour une nouvelle cause. Propulser la mode éthique dans les événements mondains, symbole de cette révolution ? Le détournement du traditionnel tapis rouge en un défi moral : le green carpet challenge. Bannir la fourrure, les créations à la chaîne de production opaque au profit de tenues respectueuses de l’environnement. Lors de la tournée de promotion de Regression, le dernier film dont elle est à l’affiche, elle mettra à l’honneur les créations responsables. La mode éthique, toujours pas glamour ? Allez faire un tour sur son compte Instagram, on est convaincus qu’il saura mettre tout le monde d’accord.

La robe est signée Erdem.

Au-delà d’un choix que les consommateurs doivent opérer, la question de l’éthique doit constituer un tournant pour l’industrie du prêt-à-porter. Il ne doit plus s’agir d’une simple collection parmi d’autres, comme la ligne conscious par H&M, mais devenir une véritable norme.

Cet article a été co-écrit par Antoine Bretecher & Bérénice Cloteaux – Foucault

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