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Dour mon amour

Dour mon amour

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Aujourd’hui je voudrais vous raconter une histoire, l’histoire d’une semaine au festival de Dour (Belgique).

Lundi 20 Juillet, premiers rayons de soleil. Mon pèlerinage annuel s’achève. J’aime utiliser cette expression qui résume bien les litres de sueur perdus, les kilomètres de marche parcourus sous le cagnard chargés comme des chameaux et la valeur qu’a l’eau à Dour (denrée très rare et convoitée). Je laisse derrière moi le camping D et son champ de déchets, les ptits déj’ Jupiler/ pastèque et les danseurs de la dernière heure qui se déchaînent encore devant le bar alors que les lieux ferment dans deux heures. Mon esprit divague encore, perdu entre deux mondes, mon corps est meurtri, j’ai clairement l’allure d’une pouilleuse qui a pris un bain de boue, et pourtant, je pars avec un petit pincement au cœur. Je ne le sais que trop bien. Trois jours de repos et Dour me manquera déjà.

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Dour Festival 2015

Dour est l’un de ces festivals mythiques qui ont réussi à créer une attente et à fidéliser leur public, tout en sachant se renouveler d’année en année. Et cette 27ème édition n’a pas dérogé à la règle. Me concernant, ça fait trois ans que je m’y rend. Depuis que je l’ai découvert, d’abord attirée par la programmation en 2013, j’ai beau me dire chaque fois que c’est le dernier, en réalité cette résolution ne dure jamais. Comme une addiction, la question ne se pose même plus une fois que la date approche. Le Dour me happe et m’emporte dans le mouvement d’empressement collectif qu’il suscite (notamment dans la métropole lilloise).

Snobé par un certain public, je comprends et partage même la plupart des critiques faites à son égard. D’un côté, il y a ceux qui se plaignent du monopole que commence à occuper la musique techno alors qu’il se définit comme un festival brassant tous les styles. Et de l’autre, il y a ceux qui dédaignent son aspect crade, chaotique et trop éclectique.

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crédit photo : Itinérairebis

Beaucoup de mes connaissances ont déserté le lieu au bout de leur première édition, et j’entends des commentaires du style « Dour ? C’est exactement l’endroit où tu n’as jamais envie de remettre les pieds … ». Moi-même je me demande tout le temps si je vais réussir à tenir les cinq jours. Mais une fois que j’y suis, il n’est plus question de repartir. Tout ça m’a encouragée à réfléchir sur ce que je considère comme l’un de mes petits plaisirs coupables. Pourquoi suis-je accro à Dour ? Pourquoi chaque année je m’inflige ce qui est littéralement une épreuve physique et mentale en me joignant aux premiers arrivés du Mercredi midi et aux derniers partis du Lundi ? Je vous passerai mes commentaires sur le line-up démentiel (Recondite, Robert Hood, Nina Kraviz, Rone, Max Cooper, Scuba, Darius, Alo Wala, Squarepusher, Perc, Agoria, Kink, Dixon, Clouds, Worakls, Seth Troxler, Ame, Infected Mushroom…) car les moments passés devant ces artistes me sont très personnels et subjectifs , et vous en trouverez sûrement de meilleurs sur d’autres reports du Dour. Congratulations cependant à la nouvelle installation de la scène Redbull Elektropedia Balzaal qui nous a offert un dancefloor de rêve (capacité de 10,000 personnes) au milieu des tours de projection vidéo.

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Dour Festival 2015 (Beatalair)

J’aimerais plutôt vous parler de « l’esprit Dour ». Dour ce n’est pas le plus beau festival. Le spot, en soi, est vraiment pourri. A côté du Bois de Vincennes pour la Weather 2015, du Manoir de Keroual d’Astropolis ou encore du magnifique lac boisé du Boom festival, ce champ agricole qui se transforme en flaque de boue à chaque petite averse fait pâle figure. Malgré tout, les organisateurs réussissent à en faire un lieu magique. L’organisation laisse toujours à désirer malgré les efforts faits : ça pue, les têtes d’affiche sont difficilement accessibles, les campings sont bondés, on marche des kilomètres par jour, coupures d’eau … Puis le public est composé de toutes sortes de personnes et il ne s’y passe pas que des belles choses ; on n’est pas dans le pur esprit « peace & love » woodstockien que les adeptes de musique électronique aiment retrouver en teuf. Mais il faut savoir relativiser, et avec l’équipe de bénévoles au top, on a bien envie de laisser passer ces petits détails. Et Dour, c’est une communauté. Communauté certes éphémère mais bien réelle de personnes qui ont décidé de mettre le reste de leur vie de côté pendant quelques jours et de laisser libre cours à leur part de folie.

On pose nos congés, voire des arrêts maladie, on met nos projets en suspens, on dit au revoir à sa petite copine, on fait une amnésie temporaire sur nos soucis personnels, et en route. Ici, nous sommes des enfants. Nous ne connaissons pas d’interdits et repoussons toutes nos limites. Au départ, ce bordel général avait tendance à me déprimer. Toute cette saleté, ces visages de personnes perchées ou dans le mal, les bass hardtek du camping D qui ne s’arrêtent jamais… Mais j’ai fini par y découvrir une véritable esthétique du chaos. Pour avoir écumé beaucoup de festivals européens, je peux dire qu’à mes yeux, l’originalité de Dour se trouve là. Pour certaines personnes, il est impossible de lâcher prise à ce point et de profiter à fond de ce délire collectif. Mais le principe est justement là. Ne plus penser à ce qui se passe en dehors. Se donner corps et âme à la musique, à l’ambiance festive, se suffire de la pure présence de vos amis et de leurs sourires. S’il fallait trouver une règle, ce serait de mettre toute gravité de côté. Il n’y a qu’à ce prix que vous pourrez survivre au régime de base du Dour : 10h de danse, 2h de marche, 1h30 de queue, 1/2 repas, des litres d’alcool par jour, 4h de sommeil sur un matelas dégonflé à l’extérieur de votre tente qui devient dès 10h du matin un four géant, des cris de Dourééé qui résonnent partout … On en oublie même jusqu’à nos principes. L’écologie, la santé, tout ça ? Connais pas.

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photo : Camping D – petite sieste en famille

Dour 3A Dour, il se passe des choses que vous ne verrez nulle part ailleurs (pas même dans un film expérimental ou une campagne de prévention contre les substances illicites). Pour les plus aventuriers, mettez les pieds au bar du camping D un matin entre 7 et 11h . On s’y rafraichit au vin rouge, on navigue au dessus du public sur un bateau gonflable, on se fait ravitailler en alcool par de faux infirmiers, on danse avec des chariots sur la tête, puis au moment d’aller se coucher, on doit virer un pauvre mec qui a dû trouver votre tente plus confortable que la sienne … Mais tout ce qui se passe à Dour reste à Dour ! C’est une communauté de gens qui marchent sur la tête . Il y a bien sûr plein de manières de vivre ce festival. Il y a un tas de coins chill, des foodtrucks et même des cabines-hôtel pour ceux qui tiennent à leur confort. Mais celui qui nous a balancé « bande de bourgeois » quand j’étais posée au stand Samsung pour recharger mon téléphone m’a rappelé le Dour que j’aime. J’ai encore le souvenir d’une ravissante jeune fille rencontrée un soir et qui se vantait d’avoir gardé la même culotte tout le festival. Et croyez-moi, elle est loin d’être une exception!

Ce serait exagéré de dire que tout ça est bon pour la santé , mais ça fait vraiment du bien de se défouler à ce point. Plutôt que de « zone de non-droit », terme qui revient souvent pour décrire Dour, je préfère parler d’univers parallèle. On quitte notre société ultra-sécuritaire pour nous rendre dans un endroit où l’on perd en confort mais où l’on gagne en liberté. Le Dour, comme beaucoup de festivals, effraie, car il est par essence opposé à la civilisation. On retourne à une sorte d’état primitif qui privilégie la survie et les pulsions aux règles sociales de bonne conduite. Je crois que les paroles d’une vieille dame habitant la ville de Dour croisée le Lundi matin dans le train du retour résument bien notre état d’esprit : après nous avoir interrogé sur comment s’était passé notre festival, elle a rigolé en nous dévisageant quand je lui ai demandé si elle avait été s’y promener. « Oh ! C’est pour un style particulier de personnes vous savez ! ». Je ne sais pas si ce sont nos têtes de zombies , notre parfum eau de transpiration, nos piercings et nos conversations sans queue ni tête qui ont influencé sa réponse, mais c’était comme la rencontre du troisième type, ou plutôt le retour à la réalité. Je suis repartie d’ici ressourcée, bien qu’avec quelques tracas supplémentaires. Le bureau des objets perdus doit être une mine d’or et la police locale a de quoi s’enjailler après Dour. S’amuser en mettant tous ses problèmes de côté pendant plusieurs jours ça a des vertus. Vent de liberté, débordement des pulsions, insouciance … Bref, des choses pour lesquelles on doit se battre ne serait-ce que pour les effleurer au quotidien. Petit havre de chaos dans ce monde trop rangé …

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crédit photo : Itinérairebis

Parole d’une Lilloise qui ne reviendra sûrement pas l’année prochaine. Mais Dour, c’est comme ça qu’on t’aime. Ne change rien ! Tu luttes pour défendre ton image et ton intégrité, et je te soutiens.

« Si vous ne ressentez plus votre enfance , vous êtes des adultes ratés – comme la plupart des adultes – ».

Philippe Sollers

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