Vous avez probablement vécu dans une grotte ces derniers mois si vous n’avez pas entendu résonner ici ou là quelques notes de « Kid » ou « Fête de Trop ». Un flow ardent, une écriture littéraire soignée, réaliste et sociale, une esthétique à mi-chemin entre rap et chanson française. Des sujets modernes et des mots justes qui semblent parler à une communauté d’auditeurs chaque jour plus grande depuis la sortie de ce premier EP, Kid. S’il séduit par sa musique, le jeune Eddy de Pretto intrigue et fascine aussi à l’écran et sur scène, avec sa silhouette si particulière et sa manière bien à lui de se mouvoir, à la fois fluide et saccadée. Originaire de Créteil, c’est sur ses terres, à Maison-Alfort, lors d’un concert en première partie de Fishbach, que nous avons eu le plaisir de lui poser quelques questions.
L’année dernière les médias ont beaucoup mis en avant une scène pop française féminine (Fishbach – avec qui tu joues d’ailleurs ce soir –, Cléa Vincent, Clara Luciani, Juliette Armanet…), à laquelle il peut faire sens de te rattacher car tu fais partie de la nouvelle scène francophone, avec un certain héritage du format chanson, qu’en penses-tu ?
Je travaillais déjà mon EP à cette époque l’année dernière. Bien sûr j’ai entendu parler de ces artistes, je me sens rattaché à eux en tant qu’artiste émergent, et jeune français qui défend la langue française, mais je me sens assez éloigné de leur univers par le style et l’écriture.
C’est vrai que cette scène a une écriture sensiblement plus imagée, avec une interprétation plus libre, alors que tes textes ont un côté plus réaliste et social, et se rapprochent en cela du rap.
C’est vrai, je voulais des textes directs et francs, qu’on comprend dès la première écoute. C’est assez intime et introspectif, il n’y a pas de trouble entre le premier et le sixième degré parisien. Je n’ai pas envie de faire de faux-semblants. Je voulais être le plus sincère possible. C’est pour ça que je ne me retrouve pas forcément dans cette scène-là, parce qu’il y a moins ce côté direct, franc, vif.
Est-ce que ce n’est pas cela le vrai défi de ton écriture, être à la fois très direct et développer une langue très écrite, très littéraire ?
Sur l’écriture je ne me dis pas grand chose, je ne sais pas comment j’ai réussi à écrire ces textes ni comment je réussirai à en écrire d’autres. Je ne calcule pas, c’est un peu maladroit, dégueulé. J’ai une écriture très intuitive et je retravaille rarement mes textes. Il y a un truc qui bout pendant des semaines, ils travaillent en moi, j’analyse, j’observe énormément. Une fois que ce thème a envie de sortir, sous une forme ou sous un point de vue, ça vient intuitivement, et quand c’est prêt j’ai comme la folie d’écrire, mais je ne contrôle pas encore tout à fait ça.
Pour le moment on connait quatre de tes morceaux, sorti dans ton EP Kid ; que découvre-t-on d’autre dans ton set sur scène ?
Mon set actuel dure une trentaine de minutes, avec trois nouveaux morceaux qui ne sont pas encore sortis.
Tu travailles déjà à un prochain opus ?
Oui, on est en train de travailler l’album en studio, qui devrait sortir au printemps, en avril. Le label et moi voulons que ça aille très vite.
Tout est allé très vite.
Oui ! Depuis ce 6 octobre il y a énormément de promo, mais je trouve que c’est assez gérable finalement. Et il y a un accueil du public et des médias très favorable.
Quel a été le déclic pour toi dans ce cheminement, à quel moment as-tu commencé à sentir que ça prenait ?
Dans ma tête je ne voyais pas d’autre chemin possible, c’est plus de l’instinct personnel, j’ai toujours su que je voulais faire ça, que je voulais un peu « briller», avoir une reconnaissance, et j’ai travaillé et je travaille toujours pour. Après ça se concrétise au fur et à mesure, des gens de plus en plus intéressants et qualifiés viennent vers toi pour t’aider et canaliser l’énergie. Et bien sûr il y a les réponses de tremplins, comme les Inrocks Lab, Le printemps de Bourges… où tu te rends compte que ça peut aller un peu plus loin. Depuis deux ans ça n’a fait que monter.
Il n’y a pas eu un palier particulier ?
Pour moi il y a eu un palier, le 23 février 2016, aux Trois Baudets, quand je n’étais pas encore signé. On a réussi à blinder la salle, je n’ai jamais reçu autant de mails de pro que le lendemain, et ensuite les propositions se sont enchaînées. Il y a vraiment eu un avant et un après cette date.
Dans l’industrie de la musique telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, on voit des carrières très fulgurantes, aussi bien d’ailleurs dans le milieu indé que mainstream. Dans quelle mesure ce système peut-il t’angoisser ?
Ça m’angoisse totalement ! Le fait que ça aille aussi vite pour un premier album, qu’il ait un effet de mode, je trouve ça intéressant, mais le plus dur, c’est le deuxième album. C’est là que tu vois si tu vas continuer sur le long terme ou si c’était juste un phénomène de mode sur une sortie.
Je ne sais pas si je serai capable d’écrire un deuxième album même si le premier est bien accueilli. Je vais essayer de marcher à l’instinct, comme depuis le début, le plus naturellement possible, et en disant les choses le plus simplement possible. Il y a des paramètres incontrôlables aussi.
Certaines décisions peuvent changer beaucoup de choses, que ce soit le type d’endroit où tu joues, les médias dans lesquels tu parais… Il y a beaucoup de choix stratégiques qui influent sur le fait qu’une carrière s’ancre dans le temps ou dans un simple effet de mode.
Oui, mais je fais totalement confiance à mon label, Initial, à leur vision. Ils sont très respectueux de ce que moi je veux faire et de comment je veux le faire, même en ce qui concerne l’image. On a préparé les fondements, on est depuis un an sur cet EP, tout a été pensé, il y a une vision d’une carrière durable. C’est une façon de travailler bien particulière, tout le monde ne sait pas développer des artistes sur le long terme.
Donc tu penses que c’est à la fois ton authenticité et la confiance de ton équipe qui te permettront de poursuivre ton chemin ?
Oui, parce qu’eux sont dans l’optique de fabriquer des carrières à long terme, d’avoir des artistes qui perdurent, et c’est aussi mon envie. Après le public, la vie… sont d’autres facteurs, mais incontrôlables.
D’ailleurs, est-ce que tu te représentes un peu, jusqu’ici, le type de public qui a pu t’écouter, te soutenir, venir te voir en live ?
C’est très aléatoire. Je n’ai pas l’impression que ça soit classé par âge ou quoi que ce soit, tout le monde a l’air de comprendre le propos et d’être touché. J’ai toujours eu l’envie de partager ma musique avec n’importe qui et je ne voulais pas du tout être élitiste dans ce que j’avais envie de dire et ce que je voulais faire, donc je suis très content.
Les textes ont une place cruciale dans ton oeuvre, et c’est aussi beaucoup de ces textes dont les médias et le public parlent, est-ce que pour toi la musique n’est pas un peu mise en retrait, est-ce que ça te dérange ?
Non pas du tout, c’est un choix. Pour moi le texte est le plus important, c’est le moteur premier, et je veux que la musique serve le texte, qu’elle le sublime. Sur le premier album jamais la musique ne prendra le dessus sur le mot. Peut-être qu’après je ferai un troisième album instrumental où je me tairai, on verra !
Quelle part prends-tu à tes compositions musicales, avec qui travailles-tu, quel est le processus ?
Je pars du texte, ensuite je pose des bases au piano, puis je passe à une préprod sur Ableton, et ensuite on travaille ça en studio avec des producteurs, qui sont eux axés sur une esthétique urbaine.
Tes clips sont jusqu’ici très centrés sur ton personnage, plus que sur un univers ou une esthétique visuelle particulière ; est-ce que tu souhaites que ça reste comme ça, un peu à la manière des clips traditionnels de chanson française ou de rap ?
Peut-être que je réglerais cette problématique plus tard, mais pour le moment je veux dessiner et mettre une silhouette précise sur le personnage que je suis en train de définir. J’ai envie de rester centré sur cette incarnation totale.
Tu disais, pour le morceau « Kid », que c’était une expérience très personnelle, et que tu n’avais pas envie de parler au nom d’une génération, de représenter un ensemble de personnes. Or j’ai eu l’impression que beaucoup de gens ont analysé ce texte au prisme d’une période qui cherche à redéfinir la masculinité. Comment perçois-tu tout ça ?
Je suis conscient du contexte du moment, qui n’est pas celui de l’écriture. Mais je l’ai écrit pour raconter mon histoire avec mon père, j’avais envie de raconter ce que je ressentais vis-à-vis de ce père qui ne m’a donné que des injonctions. J’ai vu que ça avait été récupéré et je ne peux qu’être satisfait, parce que je pense que c’est un beau message.
Mais en effet, je ne veux pas être manifeste ou porte-drapeau d’un mouvement ou représenter qui que ce soit. Je raconte ma chanson, mon histoire, s’il y a des gens qui veulent la mettre en avant, libre à eux de l’utiliser, je ne dirai jamais qu’elle est interdite pour telle ou telle manifestation, association. Mais je ne serai pas poing levé pour les soutenir, je n’ai pas envie de surligner quoi que ce soit vis-à-vis de mon personnage et de ma vie privée, je pense que c’est assez clair dans mes textes, je n’ai pas envie d’être trop caricatural d’un mouvement ou d’un genre. J’ai envie d’être le plus banal, le plus bref vis-à-vis de tout ce qui pourrait toucher à ma vie privée, ma vie sexuelle… Mais j’ai reçu beaucoup de messages de personnes qui m’ont remercié, et ça fait du bien.
Pour « Jungle de la chope », qu’est-ce qui t’a insufflé cette chanson ? La consommation de l’amour aujourd’hui de manière générale ?
Les réseaux sociaux, comme tout le monde j’ai allumé Tinder et d’autres réseaux. Et c’est la consommation que j’ai subie sur ces réseaux – je dis bien subir, parce que je ne l’ai pas vécu d’une manière très sympa, ça ne me plaisait pas, ne m’attirait pas – qui m’a inspiré ce morceau. J’y suis allé par curiosité et parce que des potes l’utilisaient aussi, mais c’était une expérience dérangeante.
À travers ce morceau, tu aspires donc à ce qu’on redéfinisse l’amour autrement ?
Oui, ça serait l’espoir de cette chanson.
Mais je serai encore sur ces réseaux, parce que ça fait partie de nos vies aujourd’hui. Donc peut-être que si un jour je veux baiser rapidement, j’y retournerai, je ne me dirai pas que j’ai fait une chanson où je démontais l’application donc que je ne peux plus y aller. C’est comme la fête, je la fais, je l’adore, je m’y perds, mes chansons sont comme des checkpoints, quand ça me saoule, j’en parle, mais ça n’est pas rédhibitoire. Je témoigne de ce que je vis, mais j’y retourne.
C’est une idée qui te plait, d’être le témoignage d’une époque ?
Oui ! On m’a dit que j’arrivais à parler du moment, à être moderne, à représenter quelque chose d’aujourd’hui, et ça je ne le décide pas trop. Je ne décide pas d’avoir des idées qui traitent ou témoignent de certaines problématiques. J’ai juste parlé de mon histoire de la manière la plus sincère possible, j’avais toujours envie de faire groover le mot, d’être très corporel, j’avais envie que les sons sonnent d’aujourd’hui, voire de demain, et ça se présente sous cette forme.
Mais tant mieux si ça parle, si à quinze ans j’avais eu quelqu’un qui parlait de ces choses-là, je n’aurais sûrement pas écrit ces textes-là, parce que cette personne aurait répondu à mes problématiques.
Dans les artistes de ta génération, est-ce qu’il y a d’autres artistes francophones qui attirent ton attention ?
Je pense à Aloïse Sauvage, qui fait ma première partie le 27 novembre, j’adore ce qu’elle propose. Je trouve qu’on est très proches musicalement, elle a un truc de sur-diction qui me parle. J’ai beaucoup écouté Feu! Chatterton aussi, pour le mot, j’aime leurs textes, très littéraires, très beaux. Et le dernier album de Damso aussi, son écriture est plus simple, plus directe, mais il m’a beaucoup touché. J’ai trouvé que c’était un album très sincère et très proche de lui.
Tu n’es pas du tout blasé par ta génération musicalement ?
Ah non, pas du tout ! Je pense justement qu’on est dans la reconquête musicale, je suis très optimiste. J’ai trouvé qu’on avait eu un creux dans les années 2000/2010, où j’avais l’impression qu’il n’y avait que du commercial autour de moi et que c’était un peu la fatalité….
Après il y a eu la vague Stromae qui a donné le courage à pas mal de jeunes d’écrire en français je crois, Christine and The Queens aussi, qui a notamment débloqué des choses sur la corporalité. Ces deux artistes ont fait énormément avancer la création française.
C’est cette scène-là, avec La Femme aussi par exemple, qui a relevé le défi du français et inspiré la nouvelle scène…
Oui, c’est tout ce qui ne finit pas sur Les Enfoirés. Il y a un aspect un peu indé mais qui se veut un peu mainstream aussi, et même si Christine and The Queens passe sur NRJ, elle continue de plaire aux deux publics. Elle a réussi ce pari compliqué. C’est ce à quoi j’aspire aussi.
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En live prochainement :