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Dyke-ctature brésilienne. L’instant Tahnee #3

Dyke-ctature brésilienne. L’instant Tahnee #3

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Comédienne et stand uppeuse aux multiples talents, Tahnee, l’autre, vous raconte les actualités et le monde d’aujourd’hui avec panache. Sur scène comme dans les « pages » de Manifesto, elle décrit notre quotidien entre contradictions, ras-le-bol et tout de même, quelques bribes d’espoir. 

Illustration : Dario Göo

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Vous aussi vous avez eu une petite baisse de moral en découvrant les résultats des élections au Brésil ? Moi, j’ai trouvé que ça faisait mal au ventre, presque pire que les règles, c’est pour dire. J’ai vu les images de ces chars militaires défilant gaiement dans les rues, acclamés par leurs groupies, et par réflexe j’ai pris un cachet de Spasfon. C’était bête, « T’es con Tahnee, c’est pas les règles, c’est le Brésil ».

J’étais un peu sonnée. J’ai rejoué la vidéo. Et bizarrement, je me suis rendu compte que ce n’était pas tant les militaires brandissant fièrement leurs armes qui m’intriguaient, mais encore plus les hommes en tee-shirt jaune excités comme des fans qui jubilaient.

Je me suis dit « Tiens, c’est fou, comment je réagirais moi si un groupe social me ressemblant accédait au pouvoir et s’imposait si violemment ? »

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Illustration : Dario Goo

Imaginez : une Frida Ovairano élue à 55% des suffrages. Un monde tremblant, après la victoire de l’Américaine TrumpdeFallope, suspectée d’avoir remporté ses élections en complicité avec la Russie, territoire de la blonde et indétrônable Vaginir Gouinedine.

Des chars célébrant ces résultats avec des fanions ornés de vulves, annonçant une dictature lesbienne des plus terrifiantes : sidecuts pour tout le monde, regard méprisant envers les femmes n’ayant ni piercing, ni tatouage, ni cheveux décolorés. « Tu ne portes pas de bague au pouce ? Haha on dirait une hétérale ! » (nouvelle insulte qui désignerait les hétéros) ou « Moi je préfère mourir noyée dans du houmous plutôt qu’avoir un fils hétérosexuel ! »

Censure, contrôle des médias, un seul journal tenu par Gouinetteparletrop, 100% de contenu lesbien. « T’es bien pâle toi pour une citoyenne ? » « Je… je suis un homme, on dit citoyen. » « T’entends ça ? Tu crois que je vais m’embêter à accorder mes mots au masculin ? C’est la règle du féminin qui l’emporte, virlote (autre insulte inventée pour ridiculiser les hommes virils) ! »

PMA et GPA devenus la norme : « Quoi ? Vous êtes allés à l’étranger pour concevoir naturellement votre enfant ? Voyous, répugnants ! »

Récitation de l’hymne national « Le sex appeal de la policière » obligatoire à la récréation de 10h dans tous les établissements. Uniformes de licorne, ongles courts imposés, ballerines strictement proscrites.

Serais-je vraiment heureuse ? Serais-je vraiment fana ? Sauterais-je vraiment de joie devant un char de femmes topless brandissant des clitoris ?

Le temps d’une pride oui, le temps d’une vie non.

C’est marrant dans les lignes d’une chronique, mais pas dans celles d’un mandat politique. C’est drôle parce que c’est extrême, beaucoup moins drôle quand la réalité se rapproche des autres extrêmes.

J’ai mal au ventre devant le Brésil, de plus en plus après la Russie, les Etats-Unis, l’Italie, même mon pays me fait peur avec son racisme et son homophobie. Mais pour ce mal de ventre, la bouillotte bien chaude ne suffira pas. Pas de Spasfon, pas de recettes de grand-mère, pas de journées au lit, ça ne suffira pas : meufs, pédés, lesbiennes, trans, noir.e.s, pauvres, indigènes, minorités et autres discriminé.e.s, il va falloir nous serrer les coudes et créer nous-mêmes notre gigantesque tampon.

(Sinon… je propose que nous nous noyons dans du houmous !)

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