Inspirés par la technologie, l’internet wave, un certain héritage folk et punk ou encore le spleen urbain de la trap music actuelle, .dxf composent, programment, samplent, échangent, coupent et recollent pour donner vie à leur propre patchwork sonore. Si leur musique touche d’abord par son aspect introspectif, mélodique et mélancolique, elle interpelle aussi par ses rythmiques imposantes au balancement communicatif, ou encore par la philosophie glitch qui émane des distorsions instrumentales et vocales. L’univers de .dxf se nourrit d’hybridations et de contradictions, et c’est précisément ce qui lui donne cette justesse émotionnelle, qui jaillit d’une dialectique entre ombre et lumière, matière organique et technologie, détresse et fureur de vivre si propres à l’atmosphère des grandes villes. Si leur EP Keygen nous avait immédiatement séduit, notre immersion récente dans leur show live a achevé de nous convaincre du potentiel explosif du projet.
Manifesto XXI – Est-ce qu’on pourrait commencer par parler de votre rapport à la technologie ?
.dxf : On est tous des kids d’internet, on a complètement intégré la tech en temps qu’outil de créa, nos jobs sont en lien avec la tech aussi…
On vit un moment où, comme l’équivalent des années 60 où les gens commençaient à prendre des guitares électriques pour faire de la folk, en fait du rock, ça se battait sur les genres… Aujourd’hui on vit avec la tech cette même révolution où il faut légitimer son utilisation, réussir à mettre de l’âme dedans. Actuellement le challenge, quel que soit le genre, c’est d’arriver à faire de la technologie quelque chose de complètement organique. Et puis pour l’anecdote, .dxf a été tout de suite lié aux technologies ne serait-ce que parce qu’on s’est rencontrés l’année dernière via un DM !
Comment il s’est formé justement ce projet ?
Ça a commencé sur une simple rencontre avec une mise en commun d’une prod et d’une voix. On a fait un premier morceau ensemble, puis d’autres, et on a senti qu’il y avait une émulsion, du coup on s’est dit pourquoi ne pas créer un groupe. Ensuite Embrace Records nous ont dit qu’ils cherchaient des nouvelles signatures pour leur label, on leur a envoyé quelques sons en cours, et ils ont répondu qu’ils étaient chauds pour suivre le projet. On a pensé à garder Keight + My Friend Is, nos projets respectifs, mais ça paraissait plus cohérent de créer un nouveau nom, un nouveau projet.
Ensuite de début janvier à fin mai on s’est vus toutes les semaines pour faire de la musique ensemble, et on bossait aussi beaucoup chacun de notre côté en s’envoyant des pistes par internet. On voulait un nom qui exprime cette idée. Du coup on a cherché les noms d’extensions de logiciels, et .dxf c’est une extension qui est utilisée dans le dessin assisté par ordinateur, et qui est lisible par tous les logiciels de ce champ-là. On s’est dit que ça imageait bien notre projet : on est tous des softwares différents, et le .dxf représente la musique qui peut nous lier tous ensemble, qui crée une compréhension commune.
Donc vous travaillez à combien maintenant ?
Aujourd’hui on est trois, mais on tient beaucoup au concept de l’extension, donc l’échange avec d’autres personnes. On fait des préprods qu’on ne termine pas pour laisser la place à d’autres gens après, et l’idée c’est que ça sorte avec : lenomdelartiste.dxf, comme une extension. C’est un projet qui bouge, qui est liquide. Même au sein du groupe, que ce soit la composition, la production ou la direction artistique, tout est fluide et n’est pas la propriété d’un seul. En tous cas le premier EP c’était vraiment trois personnes, mais sur les nouveaux drafts là il y a plus de collaborations en cours.
Vous travaillez sur quel logiciel, avec quel panel d’instruments virtuels ou réels, et comment ?
On travaille sur Logic Pro et Ableton.
Sur les matériaux on ne se pose pas de limite, on crée tous nos samples. Ça peut-être des a capella, des parties de guitare qu’on avait enregistrées il y a très longtemps… L’idée c’est d’overwrite tout ce qu’on fait. Il y a beaucoup de midi aussi. On mélange, on s’échange, on sample, on redécoupe, on colle… La particularité c’est que comme on bosse sur des logiciels différents, on ne peut pas s’échanger le fichier de travail global, on ne s’échange que des exports audio, qu’on retravaille chacun notre tour, en utilisant notamment beaucoup d’effets. Le problème du midi c’est que ce n’est jamais figé, alors qu’un audio, tu peux le triturer bien sûr, mais avec une marge de manœuvre limitée. Cette matière organique, ça change la donne.
Vous faites tout de manière DIY et indépendante de A à Z, même le mixage…?
On est complètement indépendants oui. Pour le premier EP, on a assuré tout le mixage, on a juste fait faire le mastering. Mais maintenant Keight maîtrise ça aussi donc dorénavant ce sera nous de A à Z. On veut maîtriser 100% de notre DA et de notre projet. En plus aujourd’hui tu peux tout apprendre tout seul avec les outils que propose internet. On est dans une philosophie du Do It Yourself technologique. C’est un mélange entre un ethos punk et la mentalité bedroom producer. Il y a à la fois l’imperfection du DIY, et une vraie attention portée au soin des détails techniques.
Est-ce que vous vous sentez appartenir à une certaine scène, un mouvement particulier, notamment dans l’environnement parisien ?
Paris c’est marrant comme cosmos, car il y a plein de choses qui se font indépendamment de chaque côté, plein de scènes différentes, et il n’y a pas forcément de conscience commune, mais tout le monde sent les choses venir. Avec les réseaux sociaux, tout le monde se regarde. Et l’ADN de notre projet justement, c’est qu’à la fin ce soit une plateforme, que tout le monde puisse venir et repartir, comme dans un aéroport international. Aujourd’hui on est à un DM de n’importe qui, et l’idée qui rassemble la nouvelle génération c’est le partage. Toute cette connectivité crée une cohérence globale. Puis vivre dans une grande ville comme Paris, c’est toujours à la fois un luxe et une bataille, et ce sentiment se retrouve partout dans la scène créative.
Votre musique est empreinte de spleen, de mélancolie… un peu à la manière de la scène urbaine et rap contemporaine, pourquoi ça selon vous ?
Ça vient probablement de nos trois personnalités, on n’est pas des gens dépressifs, mais on est des personnes sensibles, qui ont des choses sombres à sortir. Il y a quelque chose de l’ethos folk triste dont on hérite, et le sujet de la bataille urbaine aussi. Dans notre musique on ressent à la fois l’héritage de nos influences métal, punk… et l’impact du mood dépressif environnant de notre société actuelle. On renvoie ce qu’on absorbe.
Votre identité visuelle apporte beaucoup à votre projet ; est-ce que vous créez aussi vous-mêmes vos clips ?
On partage la DA de nos vidéos entre nous, et aussi avec d’autres gens de notre entourage. On est des gens très préoccupés par l’identité et la représentation visuelle. Celui d’Efira on l’a fait entre nous, avec les moyens du bord, nos téléphones, des applications de filtres… On a des compétences un peu éclectiques, et on essaie de faire de notre mieux avec ce qu’on sait faire.
Après on a bossé avec des amis qui se sont professionnalisés dans l’image. Mais ça reste géré en famille en tout cas, lié à des rencontres organiques, on ne passe pas des commandes.
Il y a un terme qui me vient tout de suite à l’esprit dans j’écoute votre musique ou que je me plonge dans vos visuels, c’est « glitch ». Est-ce que ça fait écho pour vous ?
Glitcher c’est s’approprier la forme, s’approprier la technique, donner du relief, saturer l’attention, et ça interpelle plus selon nous qu’un mouvement parfait. Si quelque chose contredit ton cerveau pendant une fraction de seconde, c’est là que tu vas vraiment saisir ce qu’il se passe. Après tout le mouvement glitch art, bien sûr c’est une esthétique qui nous a inspiré, mais finalement c’est plus la philosophie derrière le glitch qui nous parle. Même quand on faisait de la folk notre son était glitché, sauf qu’à l’époque ça s’appelait du bricolage.
Là l’esthétique glitch est imprégnée dans les esprits car on est tous sur Insta, mais par définition elle va être abîmée pour donner du relief. Aujourd’hui la marge entre le hit d’un groupe en haut des charts et la prod d’un bedroom producer de 14 ans sur Youtube elle est de 5%, et ce qui va faire cette différence c’est une aspérité, un truc qu’on va reconnaître. Et quand on essaye de rendre un objet non pas parfait mais juste émotionnellement, on entre dans cette philosophie du glitch.
Vous avez travaillé sur un live dernièrement, à quoi on peut s’attendre ?
Techniquement, on est donc trois, et les rôles sont répartis en gros entre chant, synthés, et djing/sound design. On essaie de faire un set semi-organique, semi-programmé, et un peu plus énervé et frontal que nos enregistrements.
Vous auriez envie d’y intégrer un peu d’improvisation au fur et à mesure ?
Il faut partir d’une base pour la déconstruire, mais maintenant que c’est bien solide, on va s’y pencher oui ! Un live ça s’écrit progressivement. On voudrait à la fois une base fixe, et une marge d’adaptation.