À 26 ans, le rappeur DVTCH NORRIS – Fahad Seriki de son vrai nom – est un habitué de Dour. Le jeune belge d’origine nigériane y avait déjà été invité à trois reprises, par son acolyte Coely, du label Beatville Record. Mais cette année, DVTCH NORRIS était tout seul sur scène pour présenter son EP Fahad Seriki, I hate you. Instant magique – avec son flow, il nous a ensorcelé, emportés par la foule, alors qu’on venait de se réveiller. On l’a rencontré juste après son show, pour parler d’insécurité, d’estime de soi, et de célébrité – en toute humilité.
Il est 14h, Dour s’éveille tout le monde dort. Il y en a un, pourtant, qui en a décidé autrement. Pour une première en solo à Dour, DVTCH NORRIS ne nous a pas laissé le choix : et des réveils comme ça, on en demanderait tous les jours. 14h45, le show commence. On n’a pas le temps de dire ouf qu’il fait déjà sauter la Boombox. La salle est pleine, on ne l’a même pas vue se remplir. Il sait nous prendre de court, Fahad. Un peu comme avec son EP, Fahad Seriki, I hate you : le deuxième en un an. Sincère, intime, puissant. Depuis sa signature avec le label indépendant belge Beatville record en 2013, le rappeur s’est souvent produit aux côtés de la prodigieuse Coely. Et puis tout à coup, il débarque seul et ça lui va bien. Son mélange de trap et de hip-hop bouscule, d’un débit unique, de mots qu’il traîne. Et puis qu’il assène. En fait, il cogne avec ses rimes. Il nous laisse sans le souffle. Enfin, sur scène, il s’accapare l’espace, crie et danse. Il est possédé par la musique, et nous possède à son tour. Quoi, c’est déjà fini ? On verrait bien ça tous les jours.
Manifesto XXI – Eh, merci pour le show, c’était fou. Tu viens de dire sur scène que tu avais attendu ce moment depuis très longtemps. Comment tu te sens ?
DVTCH NORRIS – Je me sens tellement bien. J’ai l’impression d’avoir accompli tellement de choses cette année, des choses que je peux maintenant barrer de ma bucket list. C’est dingue. J’avais déjà joué plusieurs fois à Dour en tant qu’invité. J’ai joué 3 fois ici avec Coely. À chaque fois, que j’étais sur scène je me disais : « Putain. J’aimerais tellement un jour être à l’affiche, ici, et tout défoncer. Et si ça arrive vraiment, ce sera une belle victoire ».
Tu viens d’ailleurs de nous offrir un moment assez mémorable de Dour. Sur le morceau « Save us », quand tu as lancé ce regard épique au-dessus de la scène. Comme si, plutôt que d’appeler au secours, tu remerciais le ciel de t’avoir donné l’occasion de jouer ici. Tu te retrouves cette année au milieu d’un line-up rap de dingue. Il y a des artistes que tu aurais aimé voir comme festivalier ?
Schoolboy Q, sans hésitation. Je suis complètement fan. Pour le reste, je ne sais pas trop. Là tout de suite, j’ai pas trop le line-up en tête. Mais dès qu’on termine cette interview je vais aller faire un tour et en profiter à fond !
On dirait que tu as un peu brûlé les étapes. Avant de faire Dour tout seul, tu as déjà beaucoup joué à l’étranger. Le mois dernier, dans un article de The Independant, tu as même été nommé artiste belge vedette après la sortie de ton EP. Tu cherches à toucher la scène internationale ? Est-ce aussi pour ça que tu choisis de chanter exclusivement en anglais, ou simplement parce que tu te sens plus à l’aise dans cette langue ?
C’est avant tout parce que je me sens plus à l’aise dans cette langue. J’ai grandi en parlant anglais. C’était plus naturel pour moi de faire de la musique comme ça. J’ai essayé en flamand, hein. Mais c’était pas naturel. C’est ma deuxième langue, et je me sens beaucoup moins à l’aise en flamand.
Et dis moi, récemment tu as joué en Allemagne. Aujourd’hui sur scène, on t’a entendu crier « L’Allemagne c’était trop cool mais la Belgique c’est mieux ». Quelque chose à déclarer ?
Haha. J’ai dit ça ? Non, je crois que j’ai dit « L’Allemagne c’était cool mais ÇA c’est la Belgique !!!! ». Ah, faut vraiment pas m’en vouloir pour ce que je dis pendant mes concerts. Parfois je dis vraiment de la merde. Ce que j’ai voulu faire comprendre à mon public belge c’est que, même si le concert en Allemagne était une tuerie, les concerts les plus fous que j’ai fait jusqu’à présent étaient en Belgique. Je voulais que le public ressente ça. Et, ça a marché ! C’est le dernier jour de Dour, putain. Les gens font la fête non-stop depuis 4 ou 5 jours et ils n’ont probablement pas dormi la veille. Je me suis dit : mon concert est à 14h, il n’y aura personne. En fait, pas du tout. Les gens sont venus. Et c’était fou. Toute cette énergie qu’ils m’ont renvoyée… J’ai senti qu’on était sur la même longueur d’onde.
Je me bats depuis longtemps pour connaître l’estime de soi.
DVTCH NORRIS
C’était très fort en effet. Et à propos de ton EP de 9 titres sorti dernièrement, le titre Fahad Seriki, I Hate You m’a interpellée. Tu as des comptes à régler avec toi-même ?
Oui, carrément. Ce projet marque la première étape dans mon combat pour apprendre à aimer qui je suis. Je me bats depuis longtemps pour connaître l’estime de soi. Pendant très longtemps je me suis dit : je n’aime pas la personne que je suis. Dans cet EP, je parle de la perception que j’ai de moi-même, des choses qui m’ont poussé à ressentir cette haine contre moi, de mon passé à l’école, des filles… de beaucoup de choses en fait. Oui, c’est un EP sur l’amour-propre et la haine de soi.
Et donc aujourd’hui, tu préfères DVTCH NORRIS à Fahad Seriki ?
J’ai toujours préféré DVTCH NORRIS à Fahad. Aujourd’hui, je commence à trouver un équilibre entre les deux. Je veux que ces deux personnes ne fassent plus qu’une. Et je sens que je suis sur la bonne voie. J’en avais marre de me concentrer uniquement sur ma personnalité d’artiste. C’est quand tu commences à vivre qu’à travers ton nom de scène que tu commences à te perdre. C’est à ce moment-là que tu entends tes proches te dire : « Je ne te reconnais plus ». J’ai dû apprendre à gérer ça aussi. Sur les deux personnes que j’étais, je préférais DVTCH NORRIS parce que c’est lui qui me permettait de joindre les deux bouts, c’est lui que le public admirait. J’ai grandi sans m’entendre dire : “Tu es génial”. Alors quand je me suis découvert un talent, quand j’ai commencé à avoir des fans qui me disaient : « Tu es génial », je ne voulais plus être Fahad. Je voulais être DVTCH NORRIS uniquement. Aujourd’hui, je commence à retrouver un équilibre.
« Je ne veux plus être dans la crainte, tout le temps. C’est trop fatigant. »
DVTCH NORRIS
On retrouve cette ambiguïté dans tout ce que tu créées. Dans ton EP, entre « Save us » qui appelle à l’aide, et « Blessed » qui respire la joie de vivre. Même dans le clip de « Blessed »: on te voit danser et rire avec tes amis, mais sur le dos de ta veste, il y a écrit INSECURITY, en gros. Ça veut dire quoi, pour toi, être en sécurité ?
Pour moi, c’est à partir du moment où on commence à accepter et à aimer la personne qu’on est. J’ai remarqué qu’à chaque fois que je faisais une erreur, je mettais une éternité à m’en remettre. Plus que n’importe qui d’autre. Très souvent mes amis me disent : « Relax, arrête d’être aussi dur avec toi-même, c’est pas si grave ». Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles je recherche tant à apprécier qui je suis. C’est pour me sentir plus en sécurité. Je ne veux plus être dans la crainte, tout le temps. C’est trop fatigant. On est en sécurité dès lors qu’on parvient à s’aimer soi-même. C’est ma définition.
Eh, une dernière chose avant de partir : C’était comment de sauter dans la foule pour la première fois ? On aurait dit que tu faisais du parachute.
Haha c’est exactement ce que j’ai ressenti ! C’était incroyable. Mais je viens de regarder les vidéos que le public a fait, et je ressemble à un poisson qui ne sait pas nager !
(Fahad Seriki, Please Love Yourself.)