En 2019, Domenique Dumont est commissionné par les Arcs Film Festival pour revisiter le film muet Menschen am Sonntag (Les Hommes le dimanche) écrit par Billy Wilder. Quelques mois plus tard, le 13 novembre 2020, nous découvrons le doux parcours sonore créé pour accompagner ce périple mondain en noir et blanc. L’album People on Sunday se détache des compositions plus exotiques auparavant proposées par Domenique Dumont et se révèle être une belle bande-son de nos balades automnales.
Domenique Dumont aime brouiller les pistes. Souvent présenté comme français, de par son nom de scène et sa signature sur le label parisien Antinote. Sortant peu à peu de l’ombre et de l’anonymat, le compositeur (qui s’avère être letton) nous avoue aimer jouer de l’énigme tant au niveau de son identité qu’à travers ses œuvres. Deux ans après Miniatures de auto rhythm, il annonce un retour avec son album People on Sunday qui sort sur The Leaf Label, plutôt réputé pour ses disques spécialisés dans l’instrumental et le live. Un choix qui ne nous paraît pas anodin au vu de cet ensemble de morceaux contemplatifs et frôlant l’ambient sur lesquels Domenique Dumont souhaite s’émanciper des paroles. Manifesto XXI a rencontré l’énigmatique compositeur pour discuter de son aura mystérieuse, de bien-être à travers la musique, ou encore d’instrumental en dehors de sentiers battus.
Manifesto XXI – Au premier abord, le nom Domenique Dumont a des sonorités françaises. Vous êtes en fait un trio letton. Quelles sont les origines de la création du groupe ?
Domenique Dumont : J’ai commencé à faire de la musique pour Domenique Dumont il y a environ sept ans et j’ai décidé de ne divulguer aucune information sur nous lors de la sortie de l’album Comme ça. J’ai décidé de faire ainsi afin que notre public puisse faire ses propres hypothèses uniquement à partir des chansons plutôt qu’à travers les images, vidéos et textes qui circulent sur les réseaux sociaux. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant d’engouement pour un autre album ou des concerts, mais nous nous sommes donc vus sortir de l’anonymat de façon naturelle.
Je ne m’oppose pas à la présence sur les réseaux. Je voulais simplement prendre une route différente et j’en suis heureux car nous avons pu avoir d’agréables surprises tout du long.
En parlant de Comme ça, la plupart des paroles sont en français sur cet album. Y a-t-il une raison particulière à cela ?
Quelques-unes des idées du premier album me sont venues après avoir passé du temps à Marseille, proche de la Méditerranée. Ce n’est qu’après mon retour en Lettonie que j’ai commencé à collaborer avec Anete, notre chanteuse. J’étais surpris de découvrir qu’elle avait vécu en France pour ses études et qu’elle parlait donc parfaitement bien français. Je ne le savais pas au préalable mais c’est apparu comme une évidence qu’on allait prendre cette direction. J’ai toujours aimé l’idée de « chanter en yaourt » et la réappropriation du langage. Nous mélangeons donc cette méthode avec la langue française. Dans tous les cas, je n’ai pas de relation précise avec la France mais peut-être que mon esprit y est ou y a vécu auparavant.
People on Sunday a été produit pour accompagner la projection du film muet allemand. Est-ce que cette réinterprétation d’une œuvre muette a motivé votre envie d’explorer des sphères plus classiques ou ambient ?
J’ai toujours apprécié les genres musicaux que tu mentionnes. Etant donné la dramaturgie du film People on Sunday, je ne me sentais pas dans l’obligation de créer quelque chose de très expressif. Ce film a des allures de documentaire et il est facile à suivre. Il est considéré comme l’un des premiers films du mumblecore, mouvement de cinéma indépendant américain né au tournant du XXIe siècle. Il n’y avait donc aucune raison pour moi d’être dramatique, bien au contraire. En fait, j’avais très envie de mettre en avant son apparence onirique, afin que l’audience le vive telle une rêverie détachée de notre réalité. Comme si nous visualisions notre vie antérieure sur un grand écran, ou quelque chose dans cette veine-là. L’ambient est assez propice à créer cette atmosphère.
Quelle importance représentent le cinéma ou les arts visuels dans ton processus créatif ?
Par exemple, lorsque je fais de la musique, j’aborde la photographie comme un test : je fais ça pour vérifier si l’atmosphère musicale peut ajouter un mouvement émotionnel au visuel. C’est une technique qui me plaît. Du coup je peux affirmer que l’univers visuel joue un grand rôle dans ma création musicale. Je pense aussi que c’est lié au fait que mon premier travail payé était caméraman pour une société télé. J’ai aussi passé pas mal de temps en tant qu’artiste d’animation. Ces six dernières années, je me suis impliqué dans l’organisation du Festival international du film de Riga, donc ces choses ont toujours été très ancrées et le seront toujours dans ma vie.
Pourrais-tu m’en dire plus sur cet album ?
Je souhaitais rester le plus minimaliste possible au niveau du son. La plupart de la musique a été bâtie autour de l’idée de l’onde sinusoïdale, qui est considérée comme l’onde la plus douce pour l’oreille humaine parmi les trois qui sont carrées, triangulaires, à dents. Artistiquement parlant, le plus grand challenge pour moi était de trouver un son sur un terrain d’entente avec le rétro tout en restant moderne, afin que cela coïncide avec l’ambiance du film. Ce qui a principalement déterminé la nature de ma musique était le mouvement dans le film. Pour cet album, j’ai utilisé un séquenceur, un synthétiseur modulaire et une guitare jouée principalement avec un ebow (arc électronique pour guitare).
Tu souhaites t’affranchir des paroles dans ce nouvel album. Pourquoi rendre l’instrumental proéminent ?
Je ne voyais pas de raison artistique qui validerait le fait d’ajouter des paroles pour ce film muet. Ça aurait été trop théâtral. Aussi, j’ai fait cet album tout juste après la tournée du premier. Cette tournée nous avait pris beaucoup d’énergie et nous avions tous les deux décidé de faire une pause.
J’avais très envie de mettre en avant son apparence onirique, afin que l’audience le vive telle une rêverie détachée de notre réalité. Comme si nous visualisions notre vie précédente sur un grand écran, ou quelque chose dans cette veine-là. L’ambient est assez propice à créer cette atmosphère.
Domenique Dumont
Tes albums semblent souvent méditer sur les transitions entre les saisons. Votre album précédent Miniatures de auto rhythm, sorti en 2018, était plus léger et solaire. Celui-ci semble plus expérimental et introspectif et m’évoque l’automne. Comment expliquer cette transition délicate ?
C’est une comparaison intéressante car je dois avouer que les saisons impactent ma musique aussi. Par exemple, j’ai fait People on Sunday pendant l’automne, surtout au mois de novembre, qui me plaît le moins notamment parce que c’est une période étrange où les choses deviennent plus froides et ténébreuses. Ou du moins de ce côté du monde (en Lettonie). Bien évidemment, on peut retrouver une certaine beauté dans tout ça mais personnellement, rien de joyeux ne se passe en novembre. C’était le cas l’année passée aussi où je suis tombé très malade. Je ne parvenais pas à me libérer d’une toux qui a duré deux mois et m’empêchait de dormir. Je faisais de la musique en étant malade et en manquant de sommeil ; en désirant le soleil et un climat plus chaleureux. Cela explique sûrement ce lien avec le printemps : une envie de changement.
Les deux albums diffusent tout de même une bonne dose d’endorphines. Est-il important pour toi de générer un certain bien-être dans tes compositions ?
Je crois entièrement que la musique peut avoir des caractéristiques de guérison aussi bien chez l’auditeur que chez son créateur. C’est assez ironique car je suis normalement assez sceptique sur tout dans la vie, mais lorsque l’on parle de musique, je peux être assez ésotérique. J’acquiesce volontiers à toute personne qui me parlera d’ondes positives. Nous savons que la musique est une collection de fréquences vibratoires. Il y a donc un impact, c’est indéniable même si la façon dont c’est vécu émotionnellement demeure propre à chacun·e.
En tant qu’humain, nous sommes exposés aux sons dès notre création, lorsque nous entendons le battement du cœur de notre mère ainsi que sa respiration. J’ai par ailleurs entendu dire que certains revisitent ces sons en thérapie musicale afin d’apaiser les nourrissons. Ces sons familiers conduisent à nos fonctions primitives.
Je pense aussi que la musique existait bien avant que les humains aient développé le langage. Les oiseaux étaient sûrement les premiers musiciens à bercer les environs de nos ancêtres. On peut d’ailleurs penser à l’effet sharawadji : une analyse intéressante de la façon dont les bruits impactent notre environnement tel un jardin sonore. Ceci étant dit, je ne pense jamais à cela de façon consciente lorsque je crée. Je fais, simplement.
En parlant de bien-être, comment restes-tu positif en ces temps troublés ?
Je ne sais pas, c’est pas évident de rester positif lorsque tout le monde lutte. Je tiens le coup à mon échelle individuelle, je dois avouer que ce n’est pas la pire année de ma vie. J’ai eu la chance de passer la plupart de cette année dans ma maison d’été, proche de la nature tout en travaillant à distance. Dans mon temps libre, je faisais de la musique, je lisais des livres et je me concentrais sur les belles choses que je ne pouvais faire avant le confinement. Selon moi, c’est important de continuer à faire les choses que tu aimes le plus et s’il n’y en a pas, cette période difficile peut permettre de déceler de nouvelles passions ou centres d’intérêt.
Comment parviens-tu à rendre modernes les sonorités rétro dans un paysage sonore contemporain qui est constamment en évolution ?
Merci ! C’est évident, même si je n’en ai jamais fait ma priorité ni conscientisé cette sonorité. Peut-être que c’est dû au fait que j’aime les instruments qui peuvent créer de telles ambiances et me sont devenus propres à travers les années. Comme j’ai pu le dire avant, j’avais vraiment envie de faire du son qui se confrontait aux caractéristiques du film sur People on Sunday.
Comment l’orchestral peut-il évoluer en dehors de la salle de concert symphonique ?
Question intéressante, mais je crains de ne pas en avoir la réponse. Je me rappelle avoir entendu un chanteur d’opéra qui s’entraînait du haut d’un toit lorsque je me baladais et j’ai trouvé ça sublime. Pourtant je ne suis pas un adepte d’opéra, mais entendre ce type de musique en dehors de son habitat naturel l’a rendu spécial pour moi et cela m’a transcendé. Je ne sais pas si c’était une performance ou un évènement spontané mais ça m’a prouvé, une fois encore, que j’aime l’inattendu, en musique ou en art.
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Image à la Une : © Martins Cirulis