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Divines : film de notre génération ?

Divines : film de notre génération ?

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Si vous vous demandez quand est-ce que vous avez pris une claque sur grand écran pour la dernière fois, n’attendez plus et foncez pour le cinéma le plus proche. Parce que tout n’est pas dit dans la bande-annonce de Divines, loin de là. Le sublime ne se limiterait pas à ces mots.

Une tragi-comédie contemporaine

Petit rappel du synopsis :  Dans un ghetto où se côtoient trafics et religion, Dounia a soif de pouvoir et de réussite. Soutenue par Maimouna, sa meilleure amie, elle décide de suivre les traces de Rebecca, une dealeuse respectée. Sa rencontre avec Djigui, un jeune danseur troublant de sensualité, va bouleverser son quotidien.

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Alors, très rapidement il faut dissiper l’ambiguïté comme le titre i-D, non Divines n’est pas « un film de banlieue » (et c’est tant mieux). Dire que cela n’a rien à voir, non. Mais réduire le film à cela serait une grossière erreur. À l’origine de ce film, il y a les émeutes de 2005 que la réalisatrice Houda Benyamina a vécu de l’intérieur avec une rage de brûler des voitures elle aussi. Ce cadre est rugueux et rappelle une réalité que nous ignorons beaucoup trop facilement, sur ce Paris au-delà du périph’, mais la beauté du film repose sur les trois personnalités de Dounia, Maimouna et Rebecca.

Le personnage principal de la bâtarde qui veut faire ses preuves est une authentique héroïne, une sorte de Tony Montana, un monstre comme la définit Houda Benyamina au sens où c’est un personnage entier et sans concessions. Le film est empreint de romantisme, c’est une quête d’absolu, une rage de vivre de la jeunesse que l’on a connue à d’autres époques et dans bien d’autres milieux qui anime le personnage de Dounia. Mais cette quête d’idéal cohabite avec un désir brûlant de réussite et d’argent qui lui apporterait la dignité qui lui manque… Noblesse et passions humaines cohabitent. Ces femmes sont le péchés et la rédemption, le pardon. Elles sont divines.

Le pari était risqué de vouloir dire autant, mettre autant d’émotions dans un seul long-métrage, plusieurs éléments ont contribué à la réussite de ce cocktail détonnant. Le moins que l’on puisse dire est que le rythme du film est calibré avec minutie pour ne nous laisser aucun répit. Le grand tour de force de cette réalisation est de servir un drame aigu avec lyrisme sans jamais tomber dans le pathos.

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Une expérience esthétique complète

Houda Benyamina considère le cinéma comme la réconciliation de tous les arts, et ce premier film en est une brillante illustration. Divines aurait pu remporter bien d’autres prix à Cannes pour la justesse du jeu de ses acteurs notamment. Mais cette Caméra d’Or c’est la reconnaissance d’une esthétique fascinante et étudiée dans les moindre détails. Houda Benyamina dit vouloir un cinéma d’ampleur, à la Fellini, et il est fort à parier que de nombreuses analyses pourront être faites pour révéler toute la subtilité du cadrage. Les cieux sont une préoccupation permanente. Les différentes séquences du film sont autant de contrastes visuels et musicaux. Azealia Banks côtoie  le Lacrimosa de Mozart pour nous faire passer du rire aux larmes et vice versa.

La beauté formelle du film est aussi portée par une façon de filmer fraîche. La caméra du film est résolument ancrée dans le présent et la séquence d’ouverture filmée au portable annonce la couleur. La technologie mobile fait aussi évoluer le mode de narration pour mieux nous rapprocher des personnages, nous immerger dans leur réalité.

Divine France

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Quand on lui demande s’il y a une morale dans son film, Houda Benyamina répond qu’elle n’est pas nécessairement une réalisatrice à message. Pourquoi en dire que ce sera le film de notre génération ? Déjà parce que ce sont les femmes qui sont fortes dans ce film, qui sont montrées en proie à des passions. Dans la lignée de Bande de filles de Céline Sciamma, ces guerrières ni anges ni démons crèvent le cœur et l’écran. Sans être ostensiblement féministe, Divines donne aussi la rage à celleux qui le regardent. On retiendra au moins cette géniale citation : « T’as du clitoris toi, j’aime bien. » Avoir des couilles ça n’a pas fait changer les choses en France, c’est dépassé maintenant, compris ?

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Voir Divines et mourir. Bon, peut-être pas. Mais voir Divines est une expérience complète, une grande expérience de ce que le cinéma peut avoir de meilleur dans la création d’images et la narration. Chacun pourra aimer ce qu’il veut dans le film, et cette dimension universelle est la consécration ultime pour l’ambition d’humanisme que portait l’équipe du film. Cette œuvre dit quelque chose de la France contemporaine, ce qu’elle peut lui apporter à nous de le décider.

Saluer cette réussite éclatante nous amène très rapidement à nous poser quelques questions sur l’après. Car rappelons-le, c’était un premier long-métrage. Toute l’équipe du film, acteurs et réalisatrice ont mis la barre très haut. Mais à voir la détermination et l’ambition affichées par tous, la deuxième claque ne devrait pas tarder. Et pour une fois, on tendra l’autre joue.

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