Membre de Bel Air Sounds, dj, producteur et fondateur de La Darude, Die Klar et son swag lunettes de ski + sourire communicatif ont difficilement pu vous échapper si vous êtes un·e féru·e consommateur·rice de soirées parisiennes underground. Son créneau : les esthétiques eurodance/trance et l’imagerie des nineties. Après les avoir remises au goût du jour via ses dj-sets et soirées, il en propose maintenant une version modernisée sous forme d’EP. Avec Fatality, condensé de synthétiseurs endiablés, de rythmiques festives et d’esprit rave coloré, Die Klar et son enthousiasme débordant entament une carrière de producteur hautement prometteuse.
Manifesto XXI – Comment es-tu arrivé dans la prod et le mix ?
Die Klar : Comme la majorité des mecs nés dans les années 90, je pense qu’on a beaucoup été influencés par les médias physiques : radio, émissions de télévision un peu spécialisées (Hit Machine sur M6, Tracks sur Arte…). Ça m’a permis d’avoir une petite base musicale. J’ai aussi appris à jouer de la basse, je jouais dans un groupe au lycée, mais je n’ai pas vraiment de culture solfégique et théorique. J’écoutais beaucoup de genres différents, et je me suis notamment beaucoup intéressé aux contre-cultures musicales des années 80-90, new wave, shoegazing, rave, eurodance en Belgique et Pays-Bas… ça m’a beaucoup façonné musicalement.
J’ai grandi à Saint-Denis, où j’étais plutôt à contre-courant de la culture dominante très rap. Moi j’avais envie de découvrir autre chose, c’est aussi pour ça que j’ai bougé à Paris pour mes études.
Je pense que le périph est une véritable barrière culturelle.
Là je me suis senti davantage moi-même car on acceptait plus mes différences. À la fac j’ai rencontré Romaric, avec qui j’ai fondé Bel Air Sounds, autour d’une vibe électronique influencée par l’Angleterre. On a tout d’abord été épaulés par Cézaire, de Roche Musique, et c’est grâce à lui qu’on a commencé à organiser des soirées. Puis on a pris notre envol et on s’est concentrés sur ce qu’on voulait musicalement.
Moi j’ai toujours eu ce côté très rétro, hyper assumé, mais je n’avais pas forcément eu la tribune pour l’exprimer musicalement.
C’est pour ça que j’ai lancé La Darude, la soirée trance et eurodance de Bel Air Sounds, où on essaie d’offrir une tribune à plein de personnes de notre entourage influencées par ces styles.
Tu as fait quel genre d’études ? Et quelle place imaginais-tu pour la musique dans ta vie ?
J’ai fait des études d’histoire. Au départ tout ça c’était vraiment juste du plaisir car j’écoute énormément de choses, je suis très intéressé par les nouvelles vagues musicales, ce que deviennent les anciens groupes que j’écoutais… Par la suite en créant des projets je me suis rendu compte que je me sentais bien à faire ça, dans ce milieu, je me suis créé un réseau, on m’a donné des opportunités… donc j’ai fini par me dire « pourquoi pas ».
Le côté production c’est venu comment ?
C’est venu plutôt naturellement. Après avoir créé un collectif, fait des soirées, travaillé avec des artistes pour promouvoir leur musique, je me suis dit pourquoi pas me lancer et assumer la musique qui me plaît avec mes codes et mes influences. C’est venu sur le tard, je pense qu’il faut avoir déjà une certaine maturité musicale. J’ai beaucoup évolué dans ma manière de percevoir la musique, et là je me suis dit que c’était le moment de faire un projet qui me ressemble.
Comment as-tu travaillé sur ce premier EP ?
J’ai voulu faire un EP de teuf, coloré, expérimental, et qui rende hommage à la rave belge des années 90. J’y ai mis mes souvenirs d’enfance, l’ambiance génériques de films à l’ancienne, des sonorités retro-gaming, euro, acid, trance…
Dans la construction, c’est un ami qui m’a aidé à utiliser Ableton. J’ai commencé à travailler sur cet EP il y a un an. Je compose essentiellement en programmant. Je voulais des morceaux engagés, punchy, dynamiques.
L’identité artistique de ton projet t’est venue assez naturellement ?
C’était déjà assez clair pour moi. Pour l’anecdote, j’enregistrais souvent les sonorités que j’imaginais d’abord vocalement, puis j’essayais de les reproduire avec mon synthé. J’ai produit sept tracks puis j’en ai sélectionné quatre pour avoir une vraie cohérence musicale.
Qu’est-ce qui a été le plus dur dans le process de création ?
L’attente. Pour qu’un titre soit vraiment complet, il faut du temps pour qu’il arrive à maturation, que tu réfléchisses à quoi ajouter, enlever… pour que ce soit le plus lisible possible. La deuxième phase du mastering a été un peu longue aussi parce que ça ne sonnait pas comme je le sentais. J’ai eu du mal à faire sonner les kicks aussi.
À quoi correspondent tes différents titres ?
« Fatality » ça fait référence à une technique de combat mortelle dans le film Mortal Kombat, et dans ce titre j’ai voulu mettre en avant la désinvolture, la combativité, une certaine violence à l’ancienne. C’est un hymne assez puissant, qui sonne un peu comme un générique de film.
« Ian Thorpe » c’est un célèbre nageur qui avait la singularité d’avoir un finish hyper explosif. Du coup il s’agit d’un son très progressif, qui monte crescendo.
« Rave To Move » c’est le titre peut-être le plus commercial, ça fait plus référence à mon passé très rangé, dont je me suis libéré par la musique, ce que le clip vient imager.
« Vandervaart » c’est sans doute le plus hybride, entre sonorités asiatiques, tribales, et un groove puissant de rave. C’est le nom d’un joueur de l’équipe de foot des Pays-Bas de mon enfance, qui avait un peu une tête de kéké, je me suis dit que ça sonnait bien !
Par quoi a été influencé ton univers visuel ?
On retrouve du noir et du rouge car ces couleurs sont assez violentes, sanglantes, nocturnes…
Je m’inspire beaucoup des anciennes affiches de film d’action des années 90, il y a un côté Kill Bill…
Pour l’artwork de mon EP là je voulais quelque chose qui reflète vraiment la musique qu’il contient, qu’on se dise direct : ok c’est un peu à l’ancienne, un peu violent, il y a une posture un peu ninja…
Comment envisages-tu la suite côté production et releases ?
Je travaille actuellement sur trois sons, il y aura peut-être un remix d’un tube rétro 90, et j’aimerais sans doute ajouter une touche un peu plus atmosphérique dans mes sons, qui là tabassent pas mal. Après j’ai composé cet EP dans une période un peu dure pour moi, donc c’était aussi cathartique, j’ai voulu rendre cette colère un peu plus positive à travers la musique. C’est un EP du moment, mais qui me correspond aussi en tant que personne.
Des producteurs qui t’inspirent particulièrement ?
En rétro, surtout des producteurs belges, néerlandais, anglais… Prodigy, T99, Chanel X… Et des producteurs actuels comme DJ Wag, Paul van Dyck, DJ Furax dans les sonorités très rave, Joey LaBeija, son EP Violator notamment, très punchy, rentre-dedans, avec de la puissance sonore, et un côté très coloré.
Tu fais beaucoup de veille moderne ou tu restes plus sur la scène rétro ?
Je suis assez rétro quand même, même dans mes dj-sets, je fais beaucoup référence à cette période-là.
Et comment traduis-tu justement cette obsession à faire revivre cette musique, c’est le revival fantasmé d’un âge d’or qu’on n’a pas connu en tant que clubbers ? Le retour des 90 est partout d’ailleurs, dans la mode, l’art… On est une génération de nostalgiques ?
La musique est un éternel recommencement, actuellement les gens en âge de sortir ont majoritairement grandi dans les années 90, donc forcément notre enfance influe sur nos productions. Je pense que tout le monde est un peu nostalgique de son enfance car c’est une époque un peu insouciante où on découvre les choses sans avoir de contraintes.
La décennie des 90 est aussi très positive, colorée, il n’y avait pas forcément beaucoup de revendications politiques dans la musique, par exemple l’eurodance est vraiment une musique très pop, avec des paroles très simples… et peut-être qu’aujourd’hui on a besoin de cette légèreté-là.
Actuellement la scène parisienne est influencée par trois grosses scènes : la scène house, plus saisonnière, estivale, et les scènes rap et techno, toutes deux très revendicatives politiquement.
Tu trouves la scène parisienne techno trop sérieuse, trop dark ?
Oui actuellement, non dans les années 90. À cette époque-là la techno était un échappatoire pour une jeunesse qui a connu des périodes de guerre, de misère sociale… Là notre époque est compliquée, mais c’est une période de paix, on devrait voir les choses avec un peu plus de légèreté.
Tu es pour la séparation franche entre journée/nuit, engagement/fête ?
La fête doit rester la fête.
Après plein de producteur·rice·s issu·e·s des années 80 qui ont un certain vécu le transmettent musicalement, et ça ça me touche, le message est vrai, historique. Actuellement je n’ai pas envie que la scène musicale soit une caricature des années passées, on a envie aussi de fraicheur, de quelque chose de plus sincère dans la démarche.
Pourquoi les gens aiment ta soirée La Darude d’après toi, que viennent-ils chercher là ?
Je pense qu’on incarne une scène musicale qui n’a pas connu une grosse émergence en France précédemment, et a été stigmatisée comme un peu niaise, kitsch. Là on est dans une époque où le kitsch revient et je pense que ça nous a aussi aidé·e·s.
Ça marche aussi parce qu’il y a beaucoup de déçu·e·s de la scène techno, qui a du mal à se renouveler musicalement et se prend trop au sérieux.
Nous on est vraiment dans la légèreté, la fête, on ne mise pas sur des headliners, mais beaucoup plus sur l’ambiance, la convivialité. L’eurodance et la trance sont des musiques qui réunissent de manière fun.
Comment fonctionne Bel Air Sounds ?
C’est un projet hybride, qui se base sur trois pôles : évènementiel, label, et « mode ». On est 5 : Romaric (kwamē) et moi, djs et programmateurs de La Darude, Djim (Timorous), dj et monteur vidéo, Pierre (Cielle) qui est dj et programmateur de Cielle Ouvert, et enfin Alexia, designeuse. On a tous·tes des projets assez différents, chacun·e peut affirmer son univers musical, mais on s’entraide, on échange.
Quand as-tu commencé à être dj ?
J’ai vraiment commencé il y a un an grâce à la Kindergarten, qui m’a donné l’opportunité de jouer à leur deuxième soirée. Ça s’est très bien passé, et j’y ai souvent rejoué par la suite. À partir de là d’autres collectifs m’ont invité à jouer, c’était assez nouveau et très enrichissant.
Quelle place tu veux donner au djing dans ta carrière ?
Pour moi le djing c’est le reflet de ce que tu aimes musicalement, qui peut évoluer à travers le temps. Je pense que c’est le meilleur moyen de se promouvoir en tant qu’artiste, j’y accorde une place importante. Ça me permet de faire découvrir une vague musicale que les gens n’ont pas forcément tendance à écouter, et c’est grâce à cette musique que maintenant j’ai le recul pour produire de la musique et des soirées qui me plaisent.
Comment tu digges ?
Ça va de Youtube, où je regarde les live de mes djs préféré·e·s, à Soundcloud où plein d’artistes émergent·e·s encore peu connu·e·s font des trucs incroyables, des BO de films… Je dérive beaucoup sur internet.
Où est-ce que tu rêverais de jouer en tant que dj ?
Le Dekmantel festival, le Thunderdome… avec une scène tournée hardcore et rave belge. Après j’ai surtout envie de bouger un peu, trouver un booker, commencer à faire des festivals…
À quoi vas-tu travailler prochainement ?
Les soirées Darude, avec un planning chargé. De nouveaux morceaux, peut-être des collabs, j’aimerais bien avec Sentimental Rave ou Jardin par exemple. Puis chercher un entourage professionnel.