La Diagonale du Vide est une ligne fictive – discutable et discutée – joignant des zones à faible densité de population sur un tracé quasi continu, des Ardennes jusqu’aux Pyrénées-Atlantiques. L’illustrateur Simon Bournel-Bosson et le journaliste Maxime Gueugneau sont partis à l’aventure. Au programme, quatre étapes allant de Saint-Dizier à Pau sur près de 1000 km, en passant par Auxerre, Commentry, Vézelay, Montluçon, Bar-sur-Aube, Tulle, Uzerche, Tarbes ou Lourdes. Un voyage à travers aires d’autoroutes, bars douteux, soirées étudiantes, marchands de cornichons, cadavres de nonnes, sandwicheries, tex-mex, fantômes et autres magasins de bidons sacrés. Une expédition Made in France qu’ils racontent pour Kiblind, avec le bel ouvrage En Diagonale et, ici, à partir de mots clés.
Voyage
Quand on pense aux voyages, ce sont les destinations exotiques qui viennent tout de suite à l’esprit : les Rio, New York, Tokyo et compagnie. On pense rarement aux voyages qu’on faisait pour aller voir sa mémé à Dijon (ou ailleurs, ça dépend de la mémé) qui, pourtant, étaient sans doute au moins aussi formateurs que les grands voyages. Avec des allures connues, mais mille détails qui changent. C’est un peu ce genre de voyage qu’on a fait pour En Diagonale, dans cette sorte de familiarité étrange, qui se dégage de la France dans laquelle on ne vit pas.
Vide
En réalité, on n’aime pas bien cette expression de « Diagonale du Vide ». C’est simplement la façon dont est nommée cette transversale, le nom qu’on a appris à l’école. Avec le recul, ça nous a paru complètement incroyable d’appeler une partie de la France comme ça, alors que des gens qui y vivent, y travaillent, y sont heureux. Rien à voir avec le vide, au contraire ! Il y a simplement moins d’habitants qu’ailleurs. La violence de ce terme fait partie des raisons pour lesquelles on a voulu y aller. Pas pour jouer les chevaliers servants, hein, mais juste parce qu’on n’y croit pas, parce que cette expression ne décrit rien qui puisse être vrai. Alors on voulait voir de quoi ce « vide » était fait. Et, aussi, on voulait rigoler dans des bars.
Aventure
Avec Simon, on part rarement faire du trekking dans le désert d’Atacama. Alors prendre la voiture avec un plan flou, pour rencontrer des gens qui ne veulent pas forcément nous voir dans des endroits qu’on ne connait pas, ça relève complètement de l’aventure. Et puis, franchement, à part ramasser des cailloux, y a quoi à faire dans l’Atacama ?
Inspiration
Comme tous les gars de 30 ans qui n’ont aucune méthode, on a le fantasme du gonzo type Hunter S. Thompson et Ralph Steadman. Le Bourbonnais sera notre Nevada et la 8.6 notre LSD. L’idée est marrante mais l’appliquer complètement n’a aucun sens aujourd’hui, ici et sans un bon dealer. D’autant qu’on n’a pas du tout le talent de ces gens, pour ceux qui en doutaient. Plus prosaïquement, on aurait du mal à fixer une inspiration totem, un truc auquel se référer absolument. On a sans doute suivi une sorte d’air du temps pop et volatile, qui puise dans l’écume des jours pour essayer de les raconter. Le résultat est une forme de conglomérat de ce qui a pu nous plaire au moment du dessin et de l’écriture, réalisé sans penser forcément à quelque chose de précis. On a voulu proposer une offre alternative à ce que peuvent être les reportages dessinés tels qu’on les lit dans XXI ou dans La Revue Dessinée (desquels on est admiratifs, hein, entendons-nous bien).
Graphisme
On a cherché un consensus entre la BD, le reportage, le roman et le carnet de voyage. On ne voulait pas s’enfermer dans un type précis d’objet, ni de lecteur d’ailleurs. Le principe était que l’image et le texte se complètent. L’image dit ce que le texte ne dit pas, et inversement. Il fallait dépeindre en illustration, le plus efficacement possible, les villes, les gens et les situations. Les images se devaient d’être fortes et symboliques, à l’instar de ce que font certains photoreporters. Ah bah tiens, ça peut rentrer dans les inspirations qu’on n’a pas citées plus haut : des mecs comme Depardon (évidemment), Walker Evans, Robert Capa, etc. Histoire de rester humbles.
Journalisme
N’ayant aucune formation universitaire en journalisme, on est à peu près certains d’avoir enfreint toutes les règles possibles. Si vous voulez avoir une étude sérieuse de la vie dans les villes par lesquelles nous sommes passés, veuillez vous adresser à des gens plus instruits. Notre « méthode » consistait simplement à prendre tout ce qui passait, globalement. Et si rien ne venait, on forçait le destin et on entrait dans un bar, commandait une bière et laissait notre charme légendaire opérer. Ou, plus vraisemblablement, on saoulait des gens qui avaient l’air sympas avec des questions de gros touristes un peu lourds. Y a quand même eu deux villes où on a fait des trucs un peu classes : pour Saint-Dizier et Périgueux, on avait contacté des agents sur place, qui nous ont montré la ville.
Exotisme
Je ne crois pas qu’on puisse parler de Nevers ou de Tarbes comme des coins exotiques. On est en France, ça ne fait aucun doute. Et grosso modo, on connait à peu près comment ça fonctionne. Le sentiment de découverte se joue sur des subtilités et c’est là où c’est passionnant. C’est ce principe de familiarité étrange cité plus haut qui nous a titillé tout au long du voyage. On connait très bien nos villes respectives (Paris et Lyon) et quand on va dans l’une ou dans l’autre, on n’a plus vraiment ce sentiment d’étrangeté. Mais dans les villes qu’on a traversées, si les habitudes, les façons de parler, les discussions ressemblent très forts à celles qu’on connait, il y a toujours un grain de sable en plus, un enjeu supplémentaire ou un souci en moins, des lieux perturbants, etc. Tout change, à chaque ville et à chaque endroit, on doit découvrir ce qui va nous étonner. En dehors de ça, nous avons évidemment les paysages, sur lesquels on s’est très peu penchés, mais qui participaient grandement à notre sentiment d’être des voyageurs.
Rencontre
C’était complètement le but du voyage. Sans ça, on sortait un carnet croquis avec des textes au lyrisme vaseux et baste. Ce sont les gens qu’on a rencontrés, ou même simplement observés, qui ont fait le sel du livre. Très peu de paysages ou de monuments dans En Diagonale, mais surtout beaucoup d’histoires, de personnages et l’atmosphère qui en découle. Du vendeur de sandwichs à Vézelay jusqu’aux auteurs de BD à Pau, on a fait pas mal de rencontres marquantes, fussent-elles brèves ou anodines pour eux.
France
Loin, très loin de nous toute sorte de chauvinisme, patriotisme et tous ces trucs là. La France, c’est tout bêtement le pays où on a grandi. C’est donc celui qu’on connait le mieux, dont on connait le mieux l’histoire, les références, les tendances, les stations de radio, la taille des bières, les clichés, les accents, le prix d’un pot de cornichons, etc. C’est surtout le seul pays dans lequel cette aventure était possible, car c’est le seul pays où la Diagonale du Vide avait une signification pour nous et nos lecteurs potentiels. Il y a sans aucun doute le même genre de territoire dans d’autres pays mais on n’en a aucune idée et, à vrai dire, ça nous intéresse beaucoup moins.
Terroir
Ça fait partie de ces mots dont on ne sait plus trop ce qu’ils signifient. Je sais qu’ils l’utilisent dans Top Chef et sur les étiquettes de pâté au piment d’Espelette, mais il a tellement été vidé de son sens, et ça bien avant notre naissance, que je n’ai jamais trop su ce qu’il voulait dire. C’est quoi, c’est une sorte d’humus pour faire pousser de l’authenticité ?
Jeunesse
Le problème de la jeunesse qu’on a rencontrée, c’est qu’elle rêve d’ailleurs. En fait, c’est pas vraiment un problème, c’est même plutôt souvent une solution. Mais, en l’occurence, parce qu’ils se sentaient coincés, ils n’avaient d’espoir que dans l’herbe plus verte ailleurs. Notamment les plus jeunes. Les adolescents de Nevers nous ont mis un bon seau de dépression dans la face. Ils n’arrêtaient pas de nous dire qu’ici, c’était l’enfer, et qu’ils ne seraient heureux qu’une fois le permis passé, pour pouvoir aller à Paris. On glissera sur le fait que les trains circulent depuis bien longtemps entre Paris et Nevers et que, finalement, cette histoire de permis n’était peut-être qu’une vilaine excuse car vivre à Paris – ou tout autre changement de vie – constitue tout de même un saut bien grand pour des gens si jeunes (17 ans à tout casser). Il n’empêche. Les étudiants en mécanique de Montluçon nous ont servi peu ou prou le même discours, si ce n’est qu’eux prenaient leur mal en patience en faisant la fête. Et plus les jeunes qu’on rencontrait était vieux, plus ils s’arrangeaient avec leur environnement. Jusqu’au couple d’auteurs de BD qui nous a vendu Pau comme la meilleure ville du monde.
Transport
Misères et splendeurs de la bagnole, qui a clairement été le troisième larron du voyage. Qui nous a permis de nous perdre, de nous arrêter quand on voulait, de chercher de l’essence, de faire des siestes ou des nuits, d’écouter Rires & Chansons et la retransmission du Fun Radio Electrobeach de Port-Barcarès.
Souvenir
Beaucoup, beaucoup de souvenirs, bons comme mauvais, réjouissant comme affolant. De la crêpe au Lac du Der jusqu’à la bière du Garage de Pau, en passant par le cadavre de Bernadette Soubirous, les tribunes vides de Magny-Cours, le Key Largo de Périgueux ou le Diam’s de Montluçon, la salle V.I.P. du Cardinal, les scouts à Vézelay, etc. Et ce qui est bien, avec ce livre, c’est qu’on n’a même pas besoin d’embarrasser notre mémoire avec tout ça : on l’a dessiné et écrit.
En Diagonale, ed. Kiblind, disponible ici.
Article : Albane Chauvac