Des Sexes et des « Femmes » ne sera pas la prochaine grande trilogie de Wajdi Mouawad, mais un colloque/atelier/débat/exposition.
Tout ça à la fois, et les thèmes abordés changent de ceux que l’on a l’habitude de voir présentés. De l’intersexuation à la transidentité, de l’inceste aux mutilations génitales, et des violences obstétricales au sexisme en médecine, Juliette Drouar (ndlr : qui se genre autant au féminin qu’au masculin) a préparé cet événement depuis un an. Il s’est construit au fil de la déconstruction et de l’apprentissage de nouvelles notions, de l’étude des dominations. Au 59 rue de Rivoli, l’événement accueillera l’indicible et le rendra visible entre le 2 et le 10 octobre.
Manifesto XXI : Est-ce que tu peux nous parler de cet événement ? Quel a été le point de départ ?
Juliette : Nos actions militantes partent toujours de ce qui nous touche et j’ai toujours été blessée par les postulats binaires de corporalité et de genres. Aussi loin que je m’en souvienne je savais déjà que ça puait l’arnaque et que je ne voulais pas m’y coller. Dans la manifestation (exposition collective, ateliers, conférences) Des sexes et des “Femmes”, tout est axé sur l’idée de dénaturaliser les concepts de “femme” et d’ ”homme”, de mettre à jour les mécanismes de leur construction sociale, tout en progressant dans la reconnaissance qu’ils sont la base des rapports de pouvoir et de domination existants.
Ça passe par différentes facettes d’un prisme via des sujets comme : l’inceste, le viol, les violences obstétricales et gynécologiques, le sexisme en médecine, les mutilations génitales, le travail du sexe, l’intersexuation, les transidentités, les sexualités. Employez le mot « femme » avec des pincettes car il n’a de réalité que dans son antagonisme avec le mot « homme ». Parce qu’employé à tort et à travers il renforce ces fictions douteuses. Artistiquement il y avait cette volonté de représenter des sexes de femmes (trans, intersexes, cis), et que ce ne soit pas des sexes normés, calibrés, toujours imberbes et blanc. De les faire vivre en dehors d’un rapport hétérosexuel auquel on nous assigne. Nos sexes sont une partie de notre sujet et non des objets.
Tous les thèmes changent des conférences classiques, comment les as-tu choisis ? L’un des thèmes est notamment l’inceste, est-ce que tu peux nous en parler un peu plus ?
Pour le coup je n’aurais pas pu avoir plus de plaisir à le préparer parce que ça a un sens et ça me parait nécessaire. Une toute petite pierre à l’édifice féministe. Quand je communique c’est principalement sur Facebook, ce sont des cercles assez safe, et pour le moment c’est préservé de réactions qui pourraient être violentes. C’est hyper stimulant. L’inceste, par exemple avec le livre de Dorothée Dussy, anthropologue et directrice de recherche au CNRS « Le Berceau des Dominations. Anthropologie de l’inceste. Livre 1. », a eu un énorme impact sur moi.
L’inceste, ça reste très tabou, on en parle pas, il y a très peu d’écrits dessus, même si on commence à voir émerger la notion de culture du viol, on ne parle pas du tout de la culture de l’inceste. S’il est sûr qu’il est tabou d’en parler, vu les proportions endémiques de l’inceste il n’est clairement par interdit de le faire. Une écrasante majorité des viols sont des viols intra-familiaux. Ces « grands hommes » comme Lévi-Strauss (bien sûr repris par la culture universitaire et institutionnelle) ont renforcé notre culture patriarcale fondée sur le style de la domination dont l’inceste est un outil primal, en décrétant en gros que ce n’était pas un sujet puisque ça n’existerait pas, étant donné qu’on serait censé-e-s passer de l’état de nature à l’état de culture avec l’interdiction de l’inceste. Or non seulement ça n’existe pas chez les autres espèces donc dans la dite « nature » et c’est une tradition chez l’homme – j’utilise le mot volontairement – mais l’inceste est aussi un outil primal de formation à l’exploitation et à la domination de genre et de génération (adultes/mineur-e-s). Le sexe est comme une arme, qui ne laisse pas de marques apparentes, mais une terreur massive.
L’espace sera-il en mixité choisie ?
Oui mais quelques tables rondes sont en mixité choisie sans hommes cisgenres. Par exemple celle sur les violences obstétricales et gynécologiques. D’autres sont ouvertes à tou-te-s comme pour l’inceste.
Envisages-tu une suite à cet événement ?
Je ne sais pas trop. J’aime ce mélange artistique et politique. Je vais voir déjà ce qui ressort de ce festival. Il y a tellement de sujets, tellement de suites, que je pourrais en faire dix. Au-delà de cet événement on sait qu’il y a des gens qui s’y intéressent et qui peut-être veulent aller plus loin. Le but c’est que ça sorte de cette salle-là.
Quelques mots sur le lieu ?
C’est un immeuble en autogestion tenu par des artistes. C’est super bien situé, ils donnent des cartes blanches, ils organisent des expositions collectives. J’étais très heureux qu’ils accueillent cet événement, c’est la première fois qu’ils font un format de ce type, et ils sont assez enthousiastes dans leur équipe !
Article : Clothes Barbie