Par Leslie Préel
Si le nom de Deena Abdelwahed ne vous dit encore rien, il est grand temps de vous mettre à la page. La jeune productrice tunisienne fait actuellement partie des artistes les plus prometteuses de la scène électronique et il y a fort à parier qu’elle fera beaucoup parler d’elle dans les mois à venir. Elle sera à la Villette Sonique le 27 mai prochain. Cela nous laisse largement le temps d’écouter et de réécouter son premier EP Klabb sorti sur le label InFiné (ici, notre interview filmée) au début du mois de mars.
D’emblée, le morceau qui ouvre Klabb donne le ton : des samples d’agressions verbales empruntées à l’activiste tunisien Jalel Brick côtoient la poésie furieuse de Jalel Ddin Rrumi. La musique de Deena Abdelwahed est révoltée et bouillonnante. Circulez, il n’y a rien à voir (« Walk on, Nothing To See Here », le titre du morceau suivant), mais bien des choses à entendre : des rythmiques syncopées, des cantiques surréalistes et surtout la voix de Deena qui offre aux communautés queer le morceau « Ena Essbab » (à cause de moi, en français).
On se laisse envoûter par cette voix tantôt féminine, tantôt grave, tantôt robotique et déglinguée. L’EP finalement se clôt avec la mélodie hypnotique et oppressante de « Klabb », le titre éponyme, qui nous poursuit au-delà de l’écoute, entêtant. Et c’est parce que sa musique est à ce point entêtante, et qu’on était un peu jaloux-se du public du Berghain qui a pu l’entendre en mars, que l’on n’a pas résisté à l’envie de rencontrer Deena Abdelwahed.
Manifesto XXI – Tu sors ces jours-ci ton premier EP sur le label InFiné. C’est une étape importante pour un-e artiste, comment l’appréhendes-tu ?
Deena Abdelwahed : Je suis très reconnaissante de pouvoir gagner la confiance d’un label aussi établi et impliqué qu’InFiné !
À l’écoute de ton EP, on sent que la musique pan-arabe est une influence importante pour toi. Justement, peux-tu nous parler des artistes qui t’ont inspirée musicalement ?
Les artistes qui m’ont inspirée musicalement n’ont pas grand-chose à voir avec l’influence de musique pan-arabe dans mon son. Au contraire, c’est plutôt moi qui me sers de leurs expériences pour pouvoir exprimer ce côté personnel et identitaire en moi, qui est le vécu des pays arabes autant que de moi-même. Ces artistes sont majoritairement occidentaux: Aisha Devi, Kuedo, le label Fade To Mind, le groupe internet Classical Trax, le collectif Naafi, Night Slugs… Tout ce qui tend vers l’innovation de la musique « club » à l’échelle globale.
J’ai pu lire que ta musique « érigeait la basse en métronome d’une insurrection techno mutante, hédoniste et transgenre ». Peux-tu nous expliquer cette formulation ? Pourquoi parler d’insurrection techno ? Est-ce qu’il y a une dimension engagée, militante, dans ta musique ?
La musique club était une musique engagée à ses débuts. Mon engagement vient de mon vécu et des témoignages des autres. Je vois beaucoup d’injustice et ça devient de plus en plus alarmant. Je pense que le club est le lieu le plus adapté pour s’exprimer librement et se faire entendre pleinement. Alors j’en profite…
On t’entend chanter sur plusieurs morceaux, notamment sur le très beau « Ena Essbab ». Lorsqu’on a l’habitude d’être derrière les platines, ça ne doit pas être facile de prendre le micro et de se mettre à chanter ?
Oui et non… J’adore chanter ! Et hurler !
On trépigne d’impatience à la perspective de t’entendre, notamment à la Villette Sonique. Comment te sens-tu à l’idée de participer à un festival comme celui-là ?
Je suis comme vous, j’ai très hâte de jouer en plein air devant toutes sortes de personnes différentes !
On aura l’occasion, en avril, de te voir sur scène à la Déviation, pour la clôture du festival Trans-Form, le Festival des Créations Queer Contemporaines de Marseille. C’est une date importante pour toi ?
Oui, évidemment. J’aurais bien aimé rester pour tout le festival ! Je voudrais être assez proche, et pourquoi pas un jour « impliquée », dans les initiatives culturelles qui défendent les valeurs humaines.
Un coup de cœur musical récent ?
Ce que j’écoute maintenant ? Les nouveaux singles de Little Dragon.
Deena Abdelwahed sera à l’affiche de la soirée TUNIS ELECTRO, pour la clôture du 34e Festival des Francophonies en Limousin, samedi 30 septembre à 21h au Centre culturel John Lennon à Limoges.
renseignements : http://www.lesfrancophonies.fr