Voix intense aux nuances complexes, Clara Luciani rappelle certaines chanteuses italiennes que l’on écoute volume au max en hurlant dans la voiture. Ces chansons populaires que l’on reprend à la guitare et que tout le monde connaît, simples et efficaces, faites pour être partagées. Malgré le fait qu’elle ne connaisse pas vraiment l’Italie, Clara Luciani a probablement hérité de la profondeur et du caractère de cette terre. Texte, voix, guitare, peu d’ingrédients pour un résultat authentique, sans triche.
Monstre d’amour, premier EP, sortie le 28 avril
Tu as un prénom italien, d’où vient ta famille ? Quel est ton rapport à cette terre, l’Italie ?
Je vais te décevoir, je ne parle pas italien. Mais mon grand-père est sicilien, il s’appelle Giovanni. Je n’ai pas trop développé ma culture italienne, mais ma mère me chantait tout le temps des chansons en italien. Cet été, je voudrais aller à Rome, découvrir l’art, Michel-Ange, toutes les choses que j’ai apprises en école d’art.
Je posais la question parce que je trouve que ta musique est en continuité avec la tradition de la chanson italienne. Ce sont des chansons à voix, des voix souvent masculines, profondes et denses. Je pense à Patty Pravo, Mia Martini, Loredana Bertè… ces femmes-là.
Je ne connais pas malheureusement, mais j’aimerais écouter. J’adorerais.
Quand on te dit que tu as une voix transgenre, tu en penses quoi ? C’est souvent ce que l’on disait à ces chanteuses, justement.
Je comprends le truc. Je pense néanmoins que ma voix n’est pas uniquement masculine, je peux aller très bas mais aussi partir dans des aigus. Quand j’étais petite, à la chorale, on me faisait chanter avec les garçons, c’est vrai. Mais j’espère que l’on ne se dit pas quand je chante que je suis un homme. (rires)
C’est insolite de faire des chansons à voix avec sa seule guitare aujourd’hui…
Pour moi, il était évident que j’allais faire une musique simple, épurée, avec un accent mis sur la voix. Mes chansons, à la base, sont enregistrées avec le dictaphone de mon iPhone, quatre accords et ma voix, le squelette est très maigre. Ce sur quoi ma musique repose est assez fragile et simple, il était donc normal de choisir un langage avec peu d’ingrédients efficaces. De plus, je trouve qu’une bonne chanson est souvent constituée de peu de choses, elle doit pouvoir se chanter aisément guitare-voix.
Effectivement, dans ta composition comme dans ton clip « Pleure Clara, pleure », on perçoit une certaine envie de dépouillement.
J’ai une espèce de phobie du mauvais goût. « Phobie » est peut-être un grand mot, mais disons que je trouve que les choses de mauvais goût sont souvent celles qui sont à la mode à un moment donné. On les regarde quelques années après et on se dit qu’en fait, ce n’était pas beau. J’ai envie de faire quelque chose d’intemporel, et pour moi, dans la notion d’intemporel, il y a une certaine sobriété. Si tu prends quelqu’un comme James Dean, il était habillé normalement, T-shirt blanc et jean, mais quand on regarde la photo, c’est incroyablement moderne.
Tu n’as pas envie d’être à la mode, donc.
Non, je n’en ai pas envie. Pas du tout.
Tu écris les textes de tes propres chansons. Tu lis beaucoup ?
Oui, absolument, j’adore.
Que lis-tu ?
J’ai eu une grosse période XIXe siècle, avec Flaubert et George Sand. Maintenant, j’essaie de me moderniser un peu ; j’ai découvert un auteur qui s’appelle Steve Tesich, il a écrit un bouquin extraordinaire qui s’appelle Karoo. Je peux lire un peu tout et n’importe quoi ; l’un de mes drames, c’est que même si je lisais tout le temps, je n’arriverais pas à lire tout ce qui a été écrit.
Tu écris uniquement des textes de chansons ou bien tu écris aussi des romans, des histoires ?
Quand j’étais petite, je voulais être écrivaine. Ce n’est d’ailleurs pas exclu que je m’y remette, que j’écrive un jour autre chose que des chansons. Mais il est clair que dans le travail de composition, l’écriture est la partie que je préfère.
Les chansons que tu écris sont, on ne va pas se mentir, assez tristes. Pourquoi donc ?
Tristes ? Ah bon ? (rires) Oui, en effet, cet EP est triste parce que je voulais, en quelque sorte, cicatriser une rupture difficile. Je n’avais pas envie de me forcer et de mettre du soleil alors que je ne le ressentais pas. Je ne voulais pas composer la chanson de l’été. Je voulais raconter une histoire un peu triste, comme elle l’a vraiment été. Un truc que tu regardes a posteriori et à propos duquel tu te dis : « C’était dur, mais c’est passé ». Je ne suis pas forte pour inventer des histoires, alors je raconte des choses qui me sont réellement arrivées. Peut-être que l’album sera plus lumineux, parce que je ne suis pas triste en permanence, je peux aussi chanter le bonheur.
Tu crois que les chansons tristes saoulent les gens ?
Oui, peut-être. Moi, ça ne me dérange pas, parce que je n’écoute pas la musique uniquement pour danser, j’écoute la musique pour le plaisir de l’écouter, donc je peux tout à fait aimer une chanson triste. Danser, m’amuser, ce n’est pas mon but premier.
Un sujet sensible : est-ce que tu trouves que quand on fait de la musique et qu’on est une femme, on a plus de mal à s’imposer ? Je reformule : certains journalistes ont du mal à prendre les femmes musiciennes au sérieux, je pense à cet article de Gonzaï sur Cléa Vincent qui allait très loin dans les propos sans aucun but précis. As-tu eu à subir des choses comme ça ?
Est-il nécessaire de dire que même en 2017, être une femme implique que l’on est moins crédible dans n’importe quel secteur ? Dans la musique, c’est encore pire. Souvent, dans les articles, on me colle des épithètes comme « la fille jolie », « la grande et élancée », « avec sa taille de mannequin »… Qu’est-ce que ça fout là ? Est-ce que si j’étais un mec on utiliserait les mêmes adjectifs ? Les mecs, tout simplement, ont le droit d’être moches. Ce que tu me dis sur Cléa, là, ça me touche. On ne dirait pas les mêmes choses d’un homme, j’en suis sûre.
Vis-à-vis de ce lexique, tu te sens comment ?
Mal à l’aise. Je suis comme je suis, je ne suis parfois pas à l’aise avec mon corps, j’ai appris à m’accepter comme tout le monde. Si j’avais voulu jouer sur mon apparence, j’aurais fait des photos, j’aurais fait mannequin. Le fait est que je fais des chansons.
Françoise Hardy ou Lio pourraient dire les mêmes choses. Sauf que nous, on est en 2017.
Carrément. Des fois, les gens me parlent de Françoise Hardy, et il me disent : « Sauf qu’elle n’écrivait pas de chansons ». Mec, de quoi tu parles ? Bien sûr qu’elle en a écrites. Mais pour eux, comme elle était belle, elle était aussi forcément débile. Il y a toujours des remarques stupides comme ça : « Elle est jolie et en plus, elle n’a pas l’air bête », « Ce n’est pas possible, c’est son pote qui lui écrit les textes ».
Une fois, j’étais en concert avec La Femme. C’était mon premier, alors j’avais essayé de me pomponner, j’avais juste mis une robe assez simple. Je monte sur scène et j’entends un plouc qui hurle : « Eh ben celle-là, ils ne l’ont pas choisie pour sa voix ! ». C’est con, mais depuis je ne porte que des pantalons sur scène.
Alors Clara Luciani ne deviendra pas « la chanteuse qu’on aime détester » ? Tu n’es pas l’héritière de Carla Bruni ?
Mais pas du tout ! Par contre, ce n’est pas vrai que j’ai dit que je préférais mourir plutôt que de devenir la nouvelle Carla Bruni. Après écoute, si les gens parlent mal de moi, je m’en foutrai. Quoi que tu fasses, quand tu es exposé, tu dois t’attendre aux dérives d’Internet. Mais je ne sortirai jamais avec un Nicolas Sarkozy. Ça me fera une raison de moins pour être critiquée. (rires)
Quels souvenirs retiens-tu de ta collaboration avec La Femme ?
C’est super important pour moi. Je venais de débarquer à Paris, je pouvais jouer avec des mecs trop cool, j’étais super contente. J’avais 19 ans, j’étais au tout début. Je continue de bosser un peu avec eux de temps en temps.
Tu as fait quoi comme études ?
J’ai fait un peu d’histoire de l’art. Mais j’ai dû arrêter très vite, parce que d’Aix je suis venue à Paris pour me consacrer entièrement à la musique. Mais je ne pouvais pas faire des études, de la musique et en plus bosser pour avoir de l’argent pour vivre ici. J’ai préféré bosser et faire de la musique.
Tout quitter pour sa passion, ça demande une certaine radicalité.
Oui, tu te retrouves déstabilisé. Tu acceptes le fait que ta vie sera instable, que tu n’auras jamais de CDI… Enfin, on peut être très doué en musique et ne pas avoir envie de s’y consacrer de cette façon-là. Je pense aussi que les écoles servent jusqu’à un certain point, mais la créativité ne s’apprend pas dans une salle de cours. Ce n’est pas parce que tu apprends la technique que tu apprends la créativité, que tu apprends à raconter des histoires.
Cela s’apprend en lisant des livres, par exemple…
Carrément. Il ne faut jamais arrêter de lire.
Nouveau clip « Comme toi » :