Après une deuxième utilisation de l’article 49-3 de la Constitution par notre Manuel Valls pour faire adopter un projet de loi qui n’a pas le soutien populaire et qui réalise l’exploit de diviser dans tous les sens, on part sur une ambiance sociale sympa.
Frustrations, colères, débats autour du poulet dominical, tout y est. Rassurez-vous, pas d’analyse de la loi Travail, votre voisin Beber s’en chargera bien mieux que moi lors de la bière de 10h au PMU du coin. Ce qui pose souci, ce n’est pas tant que le gouvernement ait décidé d’un projet qui semble contrecarrer toute une palanquée d’idéaux, mais plutôt ce que cette méthode sous-entend pour la politique en France.
Les Français sont des PME comme les autres
Rappelons en quoi consiste cet article, ces deux nombres qui alimentent moult blagues sur les Internets (de type « Go utiliser le 49-3 pour mon bac/mes partiels/mon brevet de secourisme »).
Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, le projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
Lorsque Manuel Valls a discouru avant d’assener son coup de 49-3, deux choses prédominent : la vitesse, et l’intérêt des Français. De l’autre côté, lorsqu’il parle des effets de la loi, il semble se focaliser sur les petites entreprises.
L’ensemble de la population française serait-elle constituée uniquement de petites entreprises ? « Suis-je donc en réalité une PME ? » nous demandons-nous alors.
Sept Français sur dix condamnent l’utilisation du fameux article. La loi, puis la perspective de son imposition sans vote des députés, ont généré un fort dégoût populaire, un mouvement qui depuis plusieurs mois fait des blessés, casse des façades de banques et exaspère les spectateurs du JT de Pujadas. Côté population, on sent donc une légère exaspération.
Authority is the new black
Côté gouvernement, l’utilisation des deux nombres magiques sonne comme le caprice d’enfant impuissant. Alors oui, Hollande a dit que c’était un « déni de démocratie » et Valls souhaitait supprimer la majorité des pouvoirs de l’article en 2008.
People change, surtout en politique, puisque le contexte change, arrêtons le bashing individuel, laissons-le aux pages Facebook pseudo engagées. Souvent est cité Michel Rocard qui a beaucoup utilisé la bête lors de son passage au gouvernement pour relativiser. Mais à force de relativiser, on oublie de re-contextualiser : le gouvernement est aujourd’hui censé avoir une majorité, ce que n’avait pas Rocard (paix à son âme).
Est-ce la confusion « entre l’autorité et l’autoritarisme » comme l’a dit Jean-Claude Mailly ? N’oublions pas que le 49-3 est entré dans le game en raison d’une instabilité parlementaire de la IVe République tellement forte qu’elle en est presque drôle (plus long gouvernement : 16 mois). Aujourd’hui ce n’est plus le cas, l’exécutif est bien renforcé.
N’y a-t-il donc aucun moyen de pression pour rectifier le tir ? Les députés peuvent bien déposer une motion de censure, mais au risque de renverser le gouvernement, qui justement utilise l’article pour asseoir la primauté de l’exécutif, d’où l’échec de la motion dernièrement.
De plus, l’outil donné pour contrer le 49-3 (la motion de censure) cache en réalité un pari dangereux : quand on s’unit pour des arguments opposés (trop libéral/pas assez libéral), on se doute qu’il va y avoir un souci pour proposer une alternative.
La mort de la politique : place au politique
L’autoritarisme serait-il plus efficace ? Peut-être. Mais l’efficacité ne justifie en rien une telle attitude forcenée, un tel conflit sur une loi qui est loin d’être anodine.
Les manifestations, bien que discutablement organisées, ne sont pas violentes pour le plaisir, elles sont l’expression spontanée d’une souffrance, d’un dysfonctionnement. Autant dans cette expression que dans l’expression du gouvernement via l’article 49-3 en ressort une usure du système institutionnel, une démocratie agonisante.
Cette obsolescence indéniable, si elle appelle un changement de fond politique qui ne viendra peut-être que dans longtemps dans ce pays bloqué sur de nombreux points dans les années 50 et qui s’enorgueillit de valeurs à dépoussiérer, amène au moins notre génération à une réflexion. Le politique ne se fait plus par le politique. N’attendons plus qu’on nous reconstruise un enclos un peu plus grand.
Faisons de la politique dans les sphères que le 49-3 ne peut pas atteindre, puisque même la démocratie n’est plus du côté du peuple.