Suite à son DJ set explosif lors de la première édition de l’INASOUND Festival, nous sommes partis à la rencontre de Feadz, DJ et producteur.
Feadz est un artiste singulier : en tant que producteur, il a sorti des EPs sur B-Pitch ou encore Ed Banger, produit une grande partie des tubes d’Uffie (« Pop The Glock », c’est lui), et un unique album Instant Alpha. Mais Feadz est avant tout un DJ depuis plus de trente ans, qui est passionné par cet exercice. La plus grande particularité de ses « gigs »? L’imprévisible.
Manifesto XXI – Pedro Winter a dit qu’un bon DJ, c’est quelqu’un qui sait faire danser les gens. Tu partages cette idée ?
Feadz : Evidemment. On peut rien dire contre. C’est une bonne définition.
Pourtant quand on t’écoute en DJ set, on sent que tu as aussi cette volonté de faire découvrir des morceaux à ton public. Ce paramètre est-il également essentiel pour être un bon DJ ?
Je pense qu’un DJ va chercher du son qui lui parait implacable. Et quand tu joues du son « implacable », et bien les gens dansent ! Si tu joues un morceau où les gens ne dansent pas, ce n’est pas grave. Ils ne sont peut-être pas prêts, ce n’est pas de ta faute. Être DJ c’est te surprendre toi-même avant tout. Tu vas chercher des morceaux que tu trouves cool sur ton ordinateur ou chez un disquaire. Tu les apprécies chez toi avec tes enceintes, mais quand on te donne la chance de pouvoir les jouer dans un club, ils prennent une toute autre dimension. Une dimension « extraordinaire ».
Tu t’es déjà censuré à ne pas passer des morceaux en club que tu apprécies écouter chez toi par exemple ?
Non. Il y a un morceau pour chaque circonstance. C’est ça qui est chouette dans notre travail. On te met dans une salle avec un son spécial. Tu vas essayer de trouver les meilleurs morceaux qui conviennent au système son, à l’ambiance, au public. Donc chez toi tu peux prendre des claques en écoutant des morceaux, mais tout est une question de contexte. Il faut ressentir ces choses.
Revenons sur le DJ set que tu viens de réaliser. Tu as de nouveau prouvé que l’éclectisme est une de tes qualités, en passant un morceau de Hamza suivi d’un remix de Masters at Work par exemple. Tu voyages entre les époques et les styles. Est-ce que pour toi la musique est « datée » ?
Oui. Par exemple, en avril 2019, il peut y avoir un morceau de mars 1996 qui sonne comme « bon ». Il y a des morceaux qui sont bons, des années après. À cause du mixage, des sonorités… Il y a plein de raisons différentes. Et il y a toujours des morceaux « old-school » qui résonnent spécialement mieux en ce moment. Et ça c’est hyper intéressant. Il y a des morceaux qui sont parfaitement calibrés pour l’époque, et d’autres qui ne sont pas encore prêts pour leur époque. Et à côté, il y a des morceaux intemporels.
C’est aujourd’hui qui me met sur les traces du passé.
Tu t’intéresses toujours à ce qui se fait de nouveau dans le paysage musical ?
Je ne cherche que des trucs d’aujourd’hui. Et c’est aujourd’hui qui me met sur les traces du passé. C’est-à-dire que si je trouve un track techno d’un artiste que je trouve mortel aujourd’hui, je vais faire mes recherches et écouter toute sa discographie. Et je peux découvrir ses anciens morceaux de cette façon. La musique, pour le DJ qui la joue, doit toujours être une nouveauté. Parce que s’il l’a jouée cinquante fois, il en a marre. Par contre, la nouveauté pour celui qui la joue, peut être découverte des années après sa sortie. C’est comme ça que je vois les choses. Il y a des moments dans la vie où tu n’as pas envie d’aller découvrir de la nouvelle musique. Et il y a des moments où tu te rends compte que tout te fait chier, et tu vas alors chercher sur Internet à balle pour avoir du neuf.
Et il y a des artistes que tu ne pouvais pas écouter avant et dont tu joues les morceaux aujourd’hui ?
Ça peut arriver. Ça arrive rarement pour moi, mais oui, ça peut arriver. Si je n’aime pas un artiste, c’est rarement possible qu’il y ait un morceau qui me plaise un jour. Et si je crois en quelqu’un, je vais même essayer de jouer ses moins bons morceaux car je crois en lui, et que je veux jouer tous ses morceaux. On est dans une époque « bizarre », non ? On est dans une société où les artistes doivent produire énormément. Du coup si il y en a un qui sort quelque chose d’incroyable, je veux tout connaitre de son oeuvre.
Le rap aujourd’hui est aussi travaillé que la techno dans ses productions.
Sur ton nouveau projet Sweez avec Mitch, tu explores une face du rap très éloignée de ce que tu jouais avant. Est ce que c’est la direction vers laquelle tu veux maintenant te diriger ou c’est juste un moment plaisir « one-shot » ?
Je ne pense pas que ça a été un virage. Les choses sont venues super naturellement, comme tout ce que je fais dans ma vie. Je ne fais jamais de calculs, de vision sur le long terme… Ce sont des choses hyper instantanées. Ce rappeur, c’est un pote d’enfance ; on était à l’école ensemble. Il m’a donné ses textes, j’ai tout auto-tuné, et j’ai fait la production de ces titres. Comme le font tous les producteurs avec les rappeurs aujourd’hui d’ailleurs. Il y a énormément d’ingénierie du son. Quand tu regardes Migos par exemple, c’est un produit d’ingénierie incroyable. Le rap aujourd’hui est aussi travaillé que la techno dans ses productions. Et pour revenir au projet avec Mitch, je pense qu’il n’y a qu’une chose qui importe dans ce milieu, c’est la sincérité. Même les gens qui font la pire daube pour moi, je sais qu’ils la font avec le cœur. Après ton cœur, il touche 10 000 personnes, il en touche cinq, c’est la vie. Moi, ce projet, je l’ai fait avec le cœur.
Lorsqu’on te voit sur les affiches de programmation, tu es toujours en DJ set, alors que tu es également producteur. L’idée de faire un live t’a-t-elle déjà tenté ?
Je suis un DJ. J’étais DJ bien avant de faire de la production, et si j’ai fait de la musique, c’était avant tout pour promouvoir ma carrière de DJ. Il y a des artistes qui construisent des murs avec des briques, des lives avec des couches de succession d’album par album, d’EP par EP… Moi, non. Je suis un vrai DJ pour de vrai. J’ai l’œil sur tout ce qu’il se fait dans ce monde, j’essaie en tout cas. Et j’adore faire de la musique à côté, parce que ça me plait aussi, et j’ai les machines pour. J’aime faire de l’hommage dans mes productions. Uffie, c’était des hommages au rap par exemple. L’album que j’ai sorti chez Ed Banger, c’était pour sceller une succession d’EPs que j’avais sortis sur ce label qui était important pour moi. Et pour finir, si je ne sors pas de disques, je ne suis pas booké. C’est scandaleux, mais la machine fonctionne comme ça…
Le clubbing est devenu un sport de riches.
Et sur la scène actuelle, il y a des DJs que tu trouves talentueux et que tu soutiens artistiquement?
Alors c’est sûrement une erreur de ma part, mais aujourd’hui, je ne sors plus. On ne m’offre plus de verres ou d’invitations à chaque soirée. Ça coûte cher de sortir. Il n’y a plus de soirées où tu vas juste pour écouter le DJ. Non : il va falloir que tu paies ton taxi pour y aller à l’aller, au retour, il va falloir que tu ailles payer des verres car personne ne va t’en offrir… Le clubbing est devenu un sport de riches, et c’est pour ça que la musique est devenue si inoffensive et nulle dans sa généralité. Il n’y a plus le même rapport à la musique selon moi. Aucun DJ ne me met des claques aujourd’hui, c’est pour ça que je suis toujours là.